Fermeture de routes, émeutes et autres manifestations: Pour quels résultats?

Fermeture de routes, émeutes et autres manifestations: Pour quels résultats?
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Ces actions pénalisantes pour les autres ont-elles contribué à améliorer le quotidien des initiateurs?

Par-delà les différends entre élus et administrations locales d’un côté et les populations en colère de l’autre, il est nécessaire désormais de s’intéresser à une autre ire qui gronde non loin des lieux où se déroulent les actions. Ceux qui, très nombreux, voire la totalité des citoyens, subissent les fermetures de routes et des mairies et daïras affichent clairement leur désapprobation. De ce côté, l’on s’interroge sur les résultats con-crets de ces actions. En effet, aujourd’hui, l’écrasante majorité de la population s’interroge sur l’efficacité du mode d’action qui consiste à exprimer sa colère en fermant les routes, les sièges des daïras, des mairies et autres administrations comme les antennes de l’ADE. Depuis des années, la wilaya de Tizi Ouzou connaît quotidiennement la fermeture d’au moins une route ou un siège.

Pour pénétrer les profondeurs de ces populations qui grondent, nous avons choisi deux cas qui ont marqué l’actualité de la semaine qui s’est écoulée.

La tragique fin de la fermeture de la route de Makouda par les populations du village M’liha et les émeutes de Ouaguenoun qui ont abouti à l’arrestation d’un jeune recherché lors de l’enterrement de sa grand-mère.

La colère est grande. Le danger est d’autant plus imminent. Les plus avisés craignent que si ce genre d’action continue dans le futur des conflits naîtront entre populations interposées. L’on verra des incidents fâcheux où les populations refuseront d’obéir aux villageois qui ferment les routes et les sièges des mairies. L’éventualité est vraiment dommageable mais fortement probable.

Fin tragique d’une banale fermeture de route

Pour exprimer leur colère face à l’abandon dont ils souffrent depuis plusieurs années, ils ont prévu diverses actions de colère. Ils ont d’abord procédé à la fermeture des routes qui relient le chef-lieu de leur commune Makouda vers les villes voisines. Le lendemain, des jeunes en colère, ont rajouté à la liste des fermetures, la RN72, très fréquentée au niveau du lieu dit Zaouïa.

La journée a été un véritable calvaire pour les milliers d’usagers de cet axe routier au trafic très dense. Les gens ne pouvaient pas rejoindre leurs lieux de travail et ne pouvaient pas vaquer à leurs occupations quotidiennes. Des milliers de personnes se sont résignées à retourner chez elles. Les jeunes qui ont procédé à la fermeture de la route ne voulaient rien entendre justifiant leur action par la misère dans laquelle est resté leur village depuis l’indépendance. Le soir venu, l’action n’a pas seulement contraint les populations à passer la nuit dehors, pis encore, il y a eu deux morts et deux véhicules calcinés. Jusqu’à hier, l’état du village n’a pas changé d’où la question sur l’utilité de ce genre d’actions.

Tout ça pour ça…

Désormais, les populations doutent de l’utilité de ces actions. Une tournée à travers cette commune, justement, où nous avons recueilli des témoignages renseigne sur le ressentiment général quant à ces actions. «Ça fait des années qu’on organise ces fermetures, mais aujourd’hui on voit que notre commune est toujours la dernière. Aucun résultat, si ce n’est le dégoût des gens qui en souffrent», affirme avec dépit, Samir, un jeune de Makouda.

Toujours au chef-lieu de cette commune, un vieil homme n’a pas hésité à fustiger les jeunes. «Ils ferment les routes pour demander leurs droits. Ce n’est pas sage tout ça. Il suffit qu’ils ouvrent leurs yeux pour voir que ce sont des citoyens comme eux qui en souffrent», dit-il, plein d’amertume.

Que gagne la population à brûler les camions de la voirie?

Ces deux derniers jours, la commune de Ouaguenoun a été secouée par des heurts avec les services de l’ordre. Des émeutes ont duré deux nuits et deux journées. Les jeunes reprochaient aux services de sécurité d’être venus interpeller un individu recherché lors d’un enterrement.

Lors des échauffourées, les jeunes ont barricadé les routes du chef-lieu de leur commune et ont lancé des pierres sur le siège de la sûreté urbaine de la daïra. La colère a été exprimée violemment, mais l’on ne dénombrait, heureusement, aucun blessé dans les camps de la police comme dans celui des jeunes. Des deux côtés les pertes sont minimes. Toutefois, hier, l’indignation était grande parmi les populations locales. La condamnation a été unanime, à propos du camion de la voirie communale brûlé lors des émeutes de la première nuit. Dans les cafés du chef-lieu de daïra qui est aussi celui de la commune, le sujet était sur toutes les lèvres.

L’acte est unanimement jugé injustifiable. «Que gagne-t-on à brûler le camion qui ramasse nos ordures? C’est de la folie!» s’écrit un vieux retraité assis à la table d’un café de Tikonbaïne. Un autre vieil homme nous racontait l’histoire que l’on raconte jadis en Kabylie à propos d’un individu qui avait dissimulé le matériel que devaient utiliser les villageois venus enterrer son père. «Passons sur le sujet du «qui a raison, qui a tort».

Les jeunes ont manifesté leur colère maladroitement et les gens ne les condamnent pas. Ce qui est condamné par les gens ici à Ouaguenoun, c’est l’individu qui a mis le feu au camion de la voirie communale. Cherchait-il vraiment l’intérêt de ses concitoyens ou autre chose?, s’interroge un autre jeune universitaire.

Gare aux conflits ouverts sur l’inconnu entre populations interposées!

Aujourd’hui, beaucoup s’interrogent sur l’utilité de ce mode d’action pourtant en vogue. «Moi, je vais vous dire pire que ça. Dans l’avenir, si ça continue, nous allons assister à des bagarres et des conflits ouverts entre populations interposées.

Les gens en ont marre de se voir obligés de retourner à la maison. Moi, personnellement je n’accepterai plus que des gens me refusent le passage même au prix de ma vie», assure un jeune qui semble en avoir ras-le-bol.

Les citoyens excédés

«Même si on comprend la souffrance de ces gens, il n’est pas acceptable d’interdire à quelqu’un de passer son chemin. C’est vraiment contraire à la logique et à la démocratie», tonne un autre. Un peu plus loin, d’autres jeunes rappellent que les jeunes morts ce jour-là dans leur véhicule calciné n’avaient rien à voir. Il fallait demander des comptes aux élus et non aux autres concitoyens. «C’est nous qu’ils ont punis et non les élus qui eux restent au chaud», fulminent-ils.

A Boudjima, la fermeture du siège de la mairie s’est terminée également par l’intervention de quelques citoyens qui ont décidé d’en découdre avec ceux qui l’ont fermé. N’était-ce la sagesse de ces derniers, cela aurait pris une tournure dramatique.

Un groupe de jeunes est en effet venu dans l’intention de forcer le portail fermé par d’autres jeunes pour exprimer leur colère face au maire. Après des discussions animées, les jeunes ont préféré ouvrir le portail évitant ainsi un conflit ouvert sur l’inconnu.

La responsabilité incombe aux élus qui refusent le dialogue

Dans la foulée de ces deux évènements et de ceux qui les ont précédés, il y a un fait incontournable que tous les témoignages corroborent. Les populations qui agissent de la sorte n’ont pas l’intention de nuire aux autres en fermant les routes comme les sièges des communes. Cela étant, l’intention ne justifie pas le méfait. «Moi, j’ai participé plusieurs fois à la fermeture du siège de la mairie. Je peux vous assurer que je l’ai fait à cause de l’attitude méprisante du maire. Il a refusé de nous recevoir en tant que comité du village malgré maintes demandes. Mais aujourd’hui, je regrette de l’avoir fait, car je me rends compte que nous avons sanctionné les gens ordinaires qui avaient besoin de l’état civil. Je crois que nous aurions dû refuser l’accès uniquement au maire et aux élus», témoigne Ali, un jeune de la commune de Boudjima. En fait, les responsables des administrations incriminées ont un rôle dans tout cela, mais les plus en vue sont incontestablement les élus. Dans ces cas de fermetures, les élus ne se sont pas rangés du côté des populations qui les ont pourtant élus. «Qui a élu ces maires qui nous narguent tout le temps? c’est nous et nous qui payons nos choix en fait. Qui souffrira de l’absence du camion de la voirie? c’est nous et nous qui payons pour nos actes. Il faut vraiment changer notre façon de voir et de faire, car dans un proche avenir, si nous continuons sur cette voie, nous allons vivre des drames et des conflits entre villages. Faisons en sorte que chacun fasse son travail. Le citoyen doit jouer son rôle, l’élu le sien, le policier le sien», martelait un autre jeune de la même commune. «Nous croyons faire des pas vers la démocratie mais hélas, je vois que nous faisons le chemin inverse. C’est le retour à l’anarchie et aux années sombres.» Nous avons préféré conclure sur ce témoignage qui illustre parfaitement la situation.