Malgré la déception de la suspension de trois matchs dont il a écopé, Sofiane Feghouli était heureux de nous recevoir, à Valence. Une fois n’est pas coutume, le numéro 10 algérien nous a servi de guide dans l’une des plus belles villes de la Méditerranée où il se sent, désormais, comme un poisson dans l’eau. Ce ne fut pas une interview classique avec les questions d’un journaliste et les réponses d’un joueur, c’était un échange spontané autour de boissons rafraichissantes en cette période de canicule qui s’abat sur tout le pourtour du Mare Nostrum, puis au bas de l’immeuble où réside notre international et enfin à la Cité des sciences, l’un des endroits les plus visités de Valence. A travers cet échange pas comme les autres, on a redécouvert un homme attachant, très humble, qui aime l’Algérie et les Algériens par-dessus tout. C’était tellement agréable et spontané qu’on n’a même pas senti le temps passer. Appréciez vous-même l’échange !
L’actualité en ce moment, c’est la suspension, disons injuste, dont vous avez écopé. Vous y pensez encore ?
Comme c’est tout neuf, j’y pense toujours, oui. Maintenant, je ne peux rien faire, j’ai pris trois matchs. Je trouve que c’est injuste, mais il faut l’accepter, c’est le destin, voilà. Je patienterai et je maintiendrai ma forme aux entraînements.
Vous êtes un peu énervé par cette décision ?
Enervé, non ! Je suis plutôt déçu parce que c’est une décision injuste. Heureusement qu’il y a le stage de l’Equipe nationale.
Le recours formulé par le FC Valence pour vous enlever le deuxième carton n’a finalement servi à rien…
Même le premier carton, je ne le méritais pas, mais le recours n’a finalement pas abouti, ni pour le premier ni pour le deuxième cartons.
Cette suspension ne risque-t-elle pas de stopper votre élan, après un très bon début de saison ?
Non, je ne pense pas. J’ai déjà un match avec l’Algérie. A mon retour, il y aura un match de championnat puis on enchaîne vite avec la Ligue des champions. Non, je ne vais pas perdre le rythme de la compétition. Trois matchs, ça paraît beaucoup à première vue, mais comme il y a Algérie-Libye puis le match de Ligue des champions face à Borissov, je ne vais pas ressentir un manque de compétition.
Si l’on comprend bien, le stage de l’équipe d’Algérie est bien tombé ?
Entre guillemets, oui. J’ai joué un match de Ligue des champions mardi et j’ai eu le temps de bien récupérer, en prévision du stage de l’Equipe nationale. Ce match contre la Libye me permettra de garder le rythme. Mais j’aurai le temps de souffler un peu parce que n’oubliez pas que je n’ai pas arrêté depuis le début de saison.
Cette suspension est donc un mal pour un bien…
Si on veut le prendre comme ça, oui. Pour la sélection, oui c’est un mal pour un bien parce que je vais arriver plus frais pour le match de la Libye. Mais sincèrement, si ça ne tenait qu’à moi, je préfère jouer régulièrement parce que je suis un compétiteur. Je préfère jouer deux fois par semaine que de me contenter de m’entraîner.
Il y a beaucoup de joueurs qui aimeraient être à votre place, c’est ça ?
Sûrement, oui. Moi-même, j’ai vécu ça à mes débuts à Valence.
Vous partez quand à Alger ?
Lundi, incha’Allah.
Vous êtes impatient d’être en sélection ?
Comme toujours, oui. Ça fait toujours plaisir de revenir en sélection et de retrouver son ambiance. En plus, c’est un match très important. J’ai hâte de revenir voir mes amis de la sélection, mais j’ai surtout hâte d’en découdre avec la Libye.
L’ambiance en sélection, tout le monde en parle. Tout le monde dit que c’est extraordinaire. Avant de venir en sélection, vous attendiez-vous à ça ? Aviez-vous une image de ce que pouvait être cette ambiance ?
Quand on est à l’extérieur, on ne peut pas juger une ambiance qu’on ne connaît pas encore. Personnellement, je suis comme ça, je n’aime pas émettre un avis sur quelqu’un que je ne connais pas encore. Mais quand je voyais les matchs de l’Equipe nationale, l’esprit et la solidarité sur le terrain, je me disais que l’ambiance ne pouvait être que très bonne. Une fois dedans, je me suis rendu compte qu’elle était encore plus belle. C’est super bien d’être en sélection et cela se traduit aussi sur le terrain. Quand on voit notre classement Fifa avec cette 24e place jamais décrochée, on se rend compte que l’Algérie grandit, elle est plus forte chaque jour.
C’est vrai que quand on voit le match d’Oum Dorman, on se dit qu’une solidarité pareille ne peut être que le fruit d’une ambiance extraordinaire au sein du groupe…
Si le groupe ne vit pas bien, il n’arrive pas, en effet, à gagner des matchs aussi importants. C’est la force de toutes les grandes équipes. Ce sont des mecs très forts, mais ce sont surtout des mecs qui sont heureux d’être ensemble.
Quand on a 20 ans et qu’on regarde la sélection de son pays réaliser un match légendaire comme ça, on se dit quoi ? ‘‘J’aimerais bien y être’’ ou ‘‘je préfère écrire ma propre histoire plus tard’’ ? Qu’est-ce qui nous passe par la tête ?
J’étais simplement un supporter. Je voulais que mon pays gagne, qu’il se qualifie en Coupe du monde. Mais j’étais aussi prêt à en découdre si on faisait appel à moi. Aujourd’hui que je suis joueur, que je suis acteur, c’est totalement différent. C’est plus de responsabilités, mais c’est aussi une fierté et un privilège. Maintenant, je veux participer à l’écriture d’une nouvelle page de l’histoire du football algérien, je veux gagner des titres et faire rêver le peuple algérien. Avant, j’étais un simple supporter, maintenant, je suis à la fois supporter et acteur, et ça c’est magnifique.
Peut-on dire que pour le moment, tout va bien pour vous en sélection ?
Vous savez, je n’aime pas trop parler de ma personne. Si vous parlez de l’équipe, oui on sent qu’on avance petit à petit. Il nous reste à faire un match sérieux pour aller en Coupe d’Afrique. En Coupe du monde, on a la double confrontation face au Bénin qui nous attend et qu’on doit réussir pour bien se positionner. Donc pour le moment, tout va bien.
Vous nous avez toujours dit que vous ne vous posez jamais de limites, et là vous nous parlez du Bénin. La qualification en Coupe du monde est-elle dans nos cordes ?
Absolument ! On a toutes les cartes en main pour réussir à atteindre nos objectifs. Il faut y croire surtout et se donner les moyens pour ne pas avoir de regrets à la fin. Personnellement, j’y crois fermement parce que si je me pose des limites à 22 ans, je n’irai pas loin. On a les qualités pour, et petit à petit on est en train d’engranger de l’expérience pour les nouveaux. Je suis persuadé que ça va se faire inch’Allah, car cette équipe a un potentiel fort et elle est jeune.
Qu’est-ce qui manque à cette équipe pour écrire une autre belle page de l’histoire du football algérien ?
Tout simplement le temps, je dirais. Le temps, parce qu’on ne peut pas tout faire en 24 heures. Il faut laisser le temps à cette nouvelle génération, à ce staff de travailler. On voit bien que l’Algérie arrive à gagner à l’extérieur, elle marque des buts… Des choses auxquelles on n’était pas habitués auparavant. Il y a une certaine régularité dans les résultats qui s’installe. C’est excellent tout ça !
Justement, vos débuts ont coïncidé avec une belle victoire en Gambie et un but de… Feghouli. Vous attendiez-vous à d’aussi bons débuts ?
Ce match en Gambie, j’y ai pensé et j’y ai repensé plusieurs fois, mais je ne suis jamais attendu à un tel scénario. C’était le début idéal pour un nouveau joueur en sélection et c’est ce que je souhaite à tout nouveau joueur qui arrive en sélection de réussir de tels débuts. Ce n’est pas évident pour un début et c’est moins évident en Afrique.
Quelle est la chose qui vous a le plus marqué depuis que vous êtes en sélection ?
C’est la fraternité entre les joueurs, mais c’est aussi et surtout l’engouement du public algérien pour l’Equipe nationale. Je n’ai jamais vu ça de ma vie. A domicile, on se sent invincibles. Je savais qu’on avait un public merveilleux, mais une fois sur le terrain, je me rends compte qu’on a les meilleurs supporters du monde. Et de loin ! Même à Casablanca, il y avait environ 2000 supporters qui ont créé une ambiance magnifique. C’est cela qui m’a marqué depuis que je suis en sélection.
Quel est le joueur qui vous a le plus aidé ? Le premier qui est venu vers vous en sélection ?
Franchement, dès mon arrivée, j’ai été adopté par tout le monde. Il y avait les joueurs bien sûr, mais il y avait aussi les membres des staffs technique et administratif, le staff médical aussi. J’ai été accueilli comme un frère et je me suis vite senti à l’aise. Ces choses-là, on ne les trouve nulle part. Ce sont ces petits détails qui sont en train de nous faire avancer. C’est pour ça que je vous disais que j’avais hâte de revenir en sélection, parce que je m’y sens chez moi.
On vous voit comme le joueur du FC Valence ou comme de la sélection comme tous les autres ?
C’est vrai que parfois, on me demande comme ça fait de jouer contre Barcelone, mais c’est juste de la curiosité. Sinon, en sélection je suis Sofiane, je ne suis pas Feghouli ni Soso le joueur de Valence. Je suis un joueur de plus de l’Equipe nationale où tout le monde est sur un même pied d’égalité. Et cela me plaît vraiment.
Vous portez le numéro 10 depuis quelques matchs, le plus lourd fardeau en Algérie. Ressentez-vous une responsabilité supplémentaire ?
On sait que pour les Algériens, le numéro 10 a une grande histoire. De grands joueurs l’ont porté avant moi. Je l’ai pris comme j’ai pris le 8 à Valence qui a aussi une histoire, car le fait d’être en sélection, c’est déjà une grande responsabilité avec ou sans le 10. Ce n’est pas une chose à laquelle je pense forcément.
Parlons un peu des Libyens. Vous êtes l’un des rares joueurs à ne pas s’être plaints à Casa. Les Libyens étaient-ils réellement agressifs ?
On savait tous qu’ils allaient nous provoquer, le coach nous avait déjà mis en garde en nous montrant quelques vidéos de leurs matchs précédents. On a bien vu que leur principal atout, c’était la provocation du début jusqu’à la fin du match, mais c’est quand même une équipe qui a de la qualité. On ne se qualifie pas à la CAN par hasard. Ils sont bons, mais ils sont surtout des provocateurs, mais comme on s’y attendait un petit peu, à aucun moment on est sortis de notre match. On a réalisé une belle prestation, on a répondu présents dans les duels, on a bien géré et l’objectif pour lequel on était à Casablanca, on l’a atteint.
On a parlé de crachats et d’insultes pendant le match. Avez-vous déjà vécu ça ?
Je ne vais pas rentrer dans les détails sur ce qui s’était passé sur le terrain, mais je n’ai pas le souvenir d’avoir vécu ça. Peut-être une fois ou deux en jeunes, mais jamais en professionnel. Moi, je me souviendrai de la victoire, pas de ce qui s’est passé sur le terrain. Les Libyens savent très bien ce qu’ils ont fait. Pour ma part, la page, je l’ai déjà tournée. Ça ne sert à rien d’envenimer les choses.
A la fin du match, vous vous êtes dit ‘’El Hamdoullah, je n’ai pas été blessé’’ ou ‘‘El Hamdoullah nous avons gagné’’ ou les deux à la fois ?
Je me suis dit ‘‘El Hamdoullah, on a gagné et personne n’est blessé et c’est dommage que le match se soit mal terminé’’.
Comment avez-vous réussi à garder votre calme en fin de match, malgré les coups que avez pris ?
Je sais que j’ai une grande responsabilité, dès que je suis en sélection. Je représente tout le peuple algérien et je dois donner l’image d’un professionnel. J’avoue que des fois, les nerfs peuvent prendre le dessus, mais je sais que je dois me contrôler pour ne pas commettre des choses inhabituelles pour moi. Je suis un footballeur et la meilleure des manières de répondre aux provocations, c’est de donner le meilleur de moi-même dans le jeu et c’est ce que je sais faire de mieux.
Le 14 octobre, il y aura Algérie-Libye, ce sera sans doute un match difficile, mais il y aura surtout beaucoup de provocation de la part des Libyens. Comment allez-vous faire pour ne pas entrer dans leur jeu ?
On doit rentrer sur le terrain avec la détermination de gagner et de se qualifier. Comme au match aller qui a été pour moi un match référence, surtout en ce qui concerne l’état d’esprit. On a gagné les duels, on leur a été supérieurs dans la possession du ballon, on a été plus dangereux qu’eux et on a surtout gagné. Il faudra réaliser le même match sinon mieux, si possible. On ne répondra pas à leurs provocations, mais dans le jeu, on ne se laissera pas faire, croyez-moi !
L’Algérien est connu pour avoir le sang chaud. Comment va-t-il pouvoir se contrôler ?
Mais ça reste un match de foot quand même. On a gagné au match aller, on a notre public qui va nous pousser à fond. On a tous les atouts en main, donc ça ne sert à rien de répondre à la provocation. On doit jouer, jouer, jouer et avoir du répondant, c’est tout.
Quel est le message que vous pouvez adresser aux supporters pour qu’ils ne répondent pas eux aussi à la provocation ?
Mon message est simple : je leur demande de nous encourager et de nous pousser, de la première jusqu’à la dernière minute, mais que ça reste dans le contexte du football. Simplement avec cela, on fera la différence pour aller en Coupe d’Afrique. Si on sort de notre match, les conséquences peuvent être très graves et cela, aucun Algérien ne le souhaiterait. Les supporters doivent faire très attention.
Quand vous voyez la Zambie, une équipe qu’on a souvent battue, remporter la CAN, ça vous donne des idées pour la prochaine Coupe d’Afrique ?
Il faut d’abord se qualifier. Après, on sait que ça ne va pas être facile parce qu’en Afrique, ce n’est jamais facile de s’imposer. La Zambie a mérité son titre, mais elle a rappelé à tout le monde que tout est possible en football. Ça peut donner des idées, oui. Quand tu prends les joueurs zambiens individuellement, ils ne sont pas supérieurs à nous, mais leur force, c’est que ce sont des mecs qui se connaissent depuis longtemps. C’est ça qui manque à l’Algérie, le temps de se connaître et de travailler ensemble.
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Le FC Valence orphelin de son guerrier algérien
En l’absence de Sofiane Feghouli, le FC Valence a été battu 1 à 0 dans le derby local face à Levante. Une défaite due essentiellement au manque de combativité des joueurs valencians auxquels il manquait sans doute Sofiane Feghouli que le public adore justement pour son abattage sur le terrain et son esprit de guerrier.
Pourquoi il n’accorde pas beaucoup d’interviews
Sofiane Feghouli est facilement abordable. Très sociable, il répond à toutes les sollicitations de ses fans de plus en plus nombreux, que ce soit à Valence ou à Alger. Avec la presse par contre, il est plus discret. Non pas parce qu’il refuse les sollicitations des médias, mais juste parce qu’il n’aime pas répéter la même chose plusieurs fois. Quand Feghouli décide de parler, c’est qu’il a des choses à dire. Avouez qu’à 22 ans, c’est bien pensé !
Avec Feghouli, c’est boulot-dodo !
Même s’il connaît très bien la ville de Valence, Feghouli n’est pas le genre à trimballer dans les rues. Son plus grand souci, c’est la récupération. Pour lui, la sieste c’est sacré pour pouvoir récupérer des forces. Maintenant, on comprend comment il a pu tenir le coup, après la saison infernale qu’il a passée l’année dernière.
Après trois semaines de cours, il comprenait déjà l’espagnol
Sofiane Feghouli n’a pas commis l’erreur de Medhi Lacen qui a mis du temps à maîtriser la langue de Cervantes. Après trois semaines seulement de cours, il comprenait déjà l’espagnol. Aujourd’hui, il s’exprime très bien et c’est ce qui lui a permis sans doute de se faire une place dans cette équipe de Valence où la concurrence fait rage. En plus de son immense talent, bien sûr.