La question qui fait débat : faut-il ou non publier les photos de Ben Laden mort ? Trois jours après l’opération commando lors de laquelle le chef terroriste a été tué d’une balle dans la tête, la Maison Blanche n’a pas encore décidé de publier une ou plusieurs des photos de la dépouille. L’administration Obama est tiraillée entre la volonté de prouver la mort de l’ennemi public numéro 1 et la nécessité de ne pas choquer l’opinion avec des photos « atroces ». La question fait également débat dans les journaux américains.
Lundi 02 mai, au lendemain de l’assaut, des élus du Congrès américain avaient réclamé la publication de photos du cadavre de Ben Laden pour prouver à l’opinion publique mondiale que la traque de l’homme le plus recherché du monde est bien terminée. Alors faut-il ou non les publier?
« Nul doute qu’une photographie du corps d’Oussama Ben Laden finira par être diffusée », a déclaré mardi 03 mais le directeur de la CIA à la chaîne NBC News.
« Le gouvernement discute évidemment de la meilleure manière de procéder, mais je crois que personne n’a douté un seul instant qu’au bout du compte, une photographie sera présentée au public », a souligné Leon Panetta dans une interview à la chaîne.
« Je serai franc, la publication de photos d’Oussama Ben Laden après cette fusillade est sensible, et nous évaluons la nécessité de le faire », a affirmé le même jour le porte-parole de la Maison Blanche, Jay Carney.
La question est selon lui de savoir si une telle publication « sert ou dessert nos intérêts, pas seulement ici mais dans le monde entier ».
Lors de l’assaut sur la résidence mené par une équipe d’élite de l’armée américaine, Oussama Ben Laden a été touché par une balle au dessus de l’œil gauche. Selon la chaîne ABC News, la Maison Blanche détient plusieurs clichés de Ben Laden pris au Pakistan, sur les lieux de la tuerie, en Afghanistan où le corps a été transporté dans la soirée pour y être identifié par l’une des femmes de Ben Laden ainsi que sur le porte-avion USS Carl Vinson d’où la dépouille a été immergée en mer,quelque part au large du Golfe d’Arabie.
Des officiels américains qui ont vu ces photos indiquent à ABC News que « la tête porte une blessure par balle au front et une partie du cerveau est visible ».
Une autre personne qui a consulté une douzaine de ces clichés affirme à la même chaîne que ces photos ressemblent à « une scène d’un mauvais crime ».
C’est que pur l’heure l’absence de preuves visuelles sur la mort du chef d’Al Qaïda continue de nourrir le doute sur sa disparition à telle enseigne que l’on évoque un scénario hollywoodien.
Des adeptes de la théorie du complot ne manquent d’affirmer, en particulier sur internet, que les Etats-Unis avaient monté cette histoire de toutes pièces.
Ainsi, des montages photos circulant sur la toile montrent Ben Laden le visage ensanglanté et tuméfié ou allongé à côté d’un militaire américain, ce cliché étant tiré du film La Chute du Faucon noir de Ridley Scot.
Mais le débat sur l’opportunité de publier des photos de Ben Laden ne concerne pas seulement l’administration américaine, il s’étend également aux professionnels des médias. Faut-il ou non rendre public des clichés jugés « atroces » ?
Dans un article publié mercredi 4 mai, le Washington Post évoque cette problématique en donnant la parole aux directeurs de journaux et aux responsables de grandes agences de presse.
« Evidemment, je ne peux pas dire si ou comment nous allons publier une photo que nous n’avons même pas vu », affirme Bill Keller, rédacteur en chef du New York Times.
Il a ajouté : « Généralement, nous évitons de publier les photos qui sont gratuitement horribles. Mais le mot clé est « gratuit », concernant les images, en plus d’être dérangeantes, n’ont pas une grande valeur journalistique. Les photos d’Oussama Ben Laden mort ont certainement une grande valeur journalistique. »
Le directeur photo d’Associated Press, l’une des plus importantes agences photo au monde, souligne lui que l’agence étudiera scrupuleusement toutes les photos de Ben Laden avant de les distribuer à ses clients, en le mettant en garde éventuellement sur la nature de ces clichés.
Pour sa part CNN explique que s’il elle n’a pas une charte particulière pour l’usage de « contenu macabre », elle n’évalue pas pour autant chaque image qu’elle diffuse ou met en ligne.
C’est peu dire que ces fameux clichés de Ben Laden mort constituent aujourd’hui une vraie problématique qui vont au delà des intérêts géostratégiques des Etats-Unis.
C’est que la question de publier ou non des photos sensibles s’est déjà posée en juillet 2003 lorsque les deux fils de Saddam Hussein, Oudaï et Qoussai, ont été tués par l’armée américaine.
Fallait-il on non publier les clichés des corps mutilés des deux enfants de Saddam ? Sam Feist, producteur à CNN, répond par l’affirmative, estimant que ces photos constituaient de preuves évidentes que les deux hommes étaient bel et bien morts.
Moins de huit ans après, le débat est toujours d’actualité.
« Cela parait démodé, mais nous sommes un journal lu par des familles », déclare de son côté Liz Spayd, rédacteur en chef du Washington Post. « Nous sommes conscients que des enfants lisent le journal, et nous ne voulons pas publier quoi que ce soit à titre gratuit. Dans le même temps, nous ne voulons pas cacher ce qui se passe. »
Même si Washington se résout à rendre public ces fameux clichés, le débat ne continuera pas moins de faire rage.