Sonatrach a sa banque, la BEA, et toutes les opérations financières sont contrôlées par les plus hautes autorités du pays
Il fallait arrêter un processus de détournement et de pillage à grande échelle. Imaginons que l’entreprise publique Sonatrach ait procédé au placement des 400 milliards de DA…
Arrivé à une étape charnière du procès de l’affaire El Khalifa, et pour cause, la journée de jeudi a été entièrement consacrée au liquidateur de la banque. Badsi Moncef arrive à la barre dans une salle d’audience l’atmosphère alourdie par un silence pesant. Avec beaucoup d’assurance et de maîtrise, le liquidateur constitué partie civile dans cette affaire, déclare avant tout propos, que son premier souci lorsqu’il a été désigné en 2003, était de stopper l’hémorragie.
Il précisera que le plus important à ses yeux était de lever les risques qui menaçaient le pays et l’économie nationale, à travers cette affaire, qui est devenue le scandale financier du siècle. Il argumente, en affirmant que le préjudice était déjà si grave, que si Sonatrach s’était prêtée à ce jeu, la banqueroute n’aurait pas été uniquement celle de la banque, mais de tout le système bancaire et financier du pays.
Dans ce sens, pour certains observateurs, l’affaire El Khalifa était sciemment orchestrée pour gangrener l’économie nationale. «Je suis convaincu qu’il fallait arrêter un processus de détournement et de pillage à grande échelle. La catastrophe aurait été encore plus dramatique pour l’économie nationale si l’entreprise publique Sonatrach avait procédé au placement des 400 milliards de DA», a déclaré M.Badsi.
Cette grave révélation est néanmoins prise avec des pincettes, notamment ceux qui connaissent bien le fonctionnement des plus importantes institutions du pays. Il faut savoir que Sonatrach a sa banque, la BEA, et toutes les opérations financières sont contrôlées par les plus hautes autorités du pays. On voit, en effet, très mal la première compagnie d’Afrique se hasarder à réaliser des placements bancaires aussi importants, de son propre chef. Les observateurs qui connaissent bien le dossier remettent en cause la crédibilité des propos du liquidateur sur ce point précisément. De plus, il faut souligner que beaucoup d’épargnants reprochent à M.Badsi d’avoir mal géré le dossier. Beaucoup trop de clients ont été laissés sur la route. Le liquidateur a-t-il donc quelque chose à se reprocher sur ce dossier? s’interrogent encore les observateurs.
Pour se justifier, M.Badsi avouera que sa tâche était particulièrement ardue, dans le sens où la situation était si compliquée à son arrivée que l’urgence était de préserver les immobilisations et biens de la banque et procéder à un état exhaustif de l’ampleur des dégâts. D’un autre côté, M.Badsi explique qu’il était important de poursuivre et de développer le travail effectué par l’administrateur M.Djellab. Il dira à ce sujet que celui-ci lui avait remis en passation un dossier complet et minutieusement élaboré. Ceci étant, l’opération n’était pas aisée pour autant, et ce, en raison du brouillard, de l’atmosphère de suspicion et de la panique profonde qui entouraient cette affaire à son éclatement. Ceci en plus du fait, que son travail portait autant sur la situation à l’intérieur du pays, qu’à l’extérieur.
Le premier fait grave relevé par le liquidateur était, sans conteste, l’état des archives de cette banque. Il faut savoir que ce service est très important dans une banque, dans le sens où c’est ce qui permet de maintenir un équilibre dans la gestion et de procéder aux inventaires.
Or, celui d’El Khalifa Bank, était presque inexistant dans toutes les agences. Il citera comme exemple, les centaines de cartons comportant des écritures bancaires, jetés dans des locaux. Il affirmera que cela était une preuve irréfutable du manque de professionnalisme des dirigeants de cette banque, «dont le seul souci, était de dilapider et de piller jusqu’aux comptes de leurs propres clients». Le liquidateur ajoutera qu’il était question de rapatrier 1,2 million de dossiers, c’est dire l’ampleur et la complexité de sa mission. Et ce, en plus des 200.000 dossiers et 33 millions d’écritures éparpillées sur toutes les agences.
Arrivé aux fameux comptes d’ordre, M.Badsi ne put s’empêcher d’affirmer que ce qu’il a déclaré jusque-là n’était qu’une petite partie de la supercherie.
Il dira que ces comptes d’ordre renfermaient certaines opérations qui faisaient réellement obstacle à toute opération de contrôle. Et pour cause, l’aspect douteux de ces opérations, et leurs domiciliations en attente, «avaient permis aux gestionnaires d’introduire un immense flou dans la comptabilité générale de la banque», dira-t-il. Il prendra et voudra pour preuve la situation de 2002 où le compte d’ordre abritait frauduleusement le solde de 97 milliards, lesquels, en réalité, représentaient les ressources de la banque, et non sa trésorerie.
Ce montant annoncé par Abdelmoumen, ne dénotait en aucun cas, la bonne santé financière de la banque. Et pour cause, les écritures entre agences en suspens, affichaient 66 milliards de dinars qui ne figuraient pas dans la comptabilité. Ceci, en plus du fait que l’année suivante, le compte créance affichait 77 milliards de dinars. Ce dernier allait atteindre 104 milliards de dinars en 2014, alors que selon M.Badsi, la liquidation allait encore prendre trois ans, pour clôturer et 5000 comptes à déboucler.
A ce stade de l’audition, le liquidateur informe que le débouclage des écritures inter-agences, peut encore révéler des plaies financières importantes. Il fera allusion au volume important de transferts illégaux, de l’ordre de 689 millions de dollars. Il explique que ces opérations se faisaient par le biais d’une escroquerie qui consistait à établir plusieurs contrats pour un seul produit, qui, dans la majorité des cas, s’avérait inutilisable, à l’image des centrales de dessalement d’eau de mer. Mais ce qui est plus grave aux yeux du liquidateur, c’est de manipuler, pour ne pas dire se servir, sur les comptes des correspondants pour transférer des fonds.
Cela, en plus des découvertes incongrues qu’il a faites au tout début de son contrôle. Il s’agit de factures vierges, des comptes qui affichaient des soldes dits «dansants», autrement dit, des montants variables sur une même période. Ce qui relevait clairement d’une pratique et d’une gestion mafieuse.
Il ajoutera à ce propos, qu’il apparaît que certaines agences, notamment celles de Chéraga, des Abattoirs, de Koléa, Blida et El Harrach, étaient totalement sous le contrôle de certaines personnes de la direction générale. Par ailleurs, M.Badsi dira que les différentes inspections avaient démarré sur de très mauvaises bases, mais ce n’était pas facile de retrouver des éléments de contrôle, dans l’anarchie qui régnait dans la comptabilité de cette banque, en plus du fait que plusieurs déclarations faites par les responsables de celle-ci se sont avérées ou fausses, ou contradictoires. Le liquidateur signale également un fait assez révélateur dans la gestion de cette banque, à savoir le volume d’erreurs qui se répétaient inlassablement, dans les mêmes agences et sur les mêmes opérations.
Interrogé sur le constat qu’il peut faire à ce stade de la liquidation, M.Badsi dira qu’il avait retardé la vente de certains biens de la banque, pour réaliser un meilleur bénéfice, du fait que le marché immobilier enregistre une hausse continue. Pour la situation arrêtée à ce jour, le liquidateur fait état d’une vente d’une carcasse de 23 milliards de centimes à la direction des douanes, d’un local à Zighoud Youcef et d’un hôtel à Béjaïa cédé pour le fonds algéro-koweitien pour un montant de 100 milliards de centimes et de trois hélicoptères à 18 millions de dollars et les 2 ATR à Air Algérie à 15 millions de dollars. Ceci étant, il ne manquera pas de signaler qu’il avait pris la décision d’accélérer les choses pour les jours prochains. Puisque les grandes failles qui ont conduit à la banqueroute de cette banque, commençaient à s’entrevoir. Au terme de son audition, M.Badsi conclura en affirmant que le sort de cette banque aurait totalement été différent si ses dirigeants n’étaient pas foncièrement véreux. Il ajoutera que la bonne conduite et le respect de la déontologie sont des principes fondamentaux pour une gestion pérenne d’une banque. Surtout que celle-ci avait de réelles potentialités pour prospérer, si sa gestion de départ avait été saine.
Le juge Antar lèvera la séance dans une salle abasourdie par les propos du liquidateur. A cette phase du procès, on ressent fortement dans les coulisses du tribunal de Blida, que le passage du liquidateur d’El Khalifa Bank, marque timidement le début de la fin de ce procès qui est à son 26ème jour.
L’étape à venir concernera les plaidoiries et les délibérations. Elles commenceront après la reprise aujourd’hui de l’audition des parties civiles.