Farid Bourennani, spécialiste de l’économie réelle, à propos de l’orientation des investissements du pays : “Une centaine de projets redondants, ce grand gaspillage de l’argent public”

Farid Bourennani, spécialiste de l’économie réelle, à propos de l’orientation des investissements du pays :  “Une centaine de projets redondants, ce grand gaspillage de l’argent public”

On va enregistrer une surproduction dans plusieurs filières dont l’impact est la mise en péril de plusieurs entreprises, voire un pan de toute une industrie.

Contacté par Liberté, Farid Bourennani, spécialiste de l’économie réelle, sur la déclaration du Premier ministre Abdelmalek Sellal lors de la 20e tripartite sur les créneaux d’investissement saturés, estime que la mission du gouvernement n’est pas de pointer du doigt des situations antiéconomiques mais d’anticiper et de prendre des décisions pour éviter un tel phénomène.

Concernant les minoteries, l’Algérie a une capacité de production trois fois supérieure aux besoins nationaux. Ses effets pervers sont que les minoteries sont rationnées par l’OAIC qui ne fournit que 50% de leurs besoins. Elles ne tournent en un mot qu’à 50% de leur capacité. En d’autres termes, la moitié ne devrait pas avoir sa place sur le marché. “C’est un grand gaspillage de devises”, l’État est censé être régulateur, déterminer les besoins du pays et accorder des autorisations d’investissement qui permettent de répondre aux besoins projetés. La responsabilité de cet échec et de ce gaspillage revient à l’État régulateur.

Une centaine d’usines de production de médicaments

On risque d’avoir le même phénomène dans les cimenteries. Il faut savoir que les besoins de l’Algérie sont pour ce produit de 23 à 24 millions de tonnes/an. Nous avions un déficit que l’on comblait dans l’urgence par des importations de résorption de crises. Cela générait des crises avec un prix qui allait du simple au double. À l’image de ce qui se produit actuellement sur les aciers pour la construction.

Aujourd’hui, nous avons de nouvelles cimenteries qui sont entrées en production, des projets de nouvelles cimenteries et des projets d’extension de capacités et de rénovation d’anciennes cimenteries publiques. En 2017, l’Algérie atteindra et dépassera de 2 millions de tonnes, l’autosuffisance dans les ciments courants.

En 2019, il y aura 10 millions de tonnes de surcapacité et si l’ensemble des projets validés par le CNI voient le jour, il y aura fin 2020-2021 près de 20 millions de tonnes d’excédent. Les pouvoirs publics considèrent que ces cimenteries vont pouvoir exporter et donc le ciment fera partie de nos exportations hors hydrocarbures. Or, la réalité est tout autre. Le ciment est un produit qui s’exporte mal et dans notre cas, il ne s’exportera pas du tout car la mise à FOB, la logistique de transport jusqu’au chargement des navires, coûte très cher et rend toute opération d’exportation impossible. Les pays qui exportent ont des cimenteries sur l’eau.

Cela signifie que la fin du process de production se termine sur le navire. Or, nous nous avons des cimenteries en plein champ, c’est-à-dire à l’intérieur du territoire. Le ciment par essence a pour débouché un marché régional : il se vend sur un rayon de 300 kilomètres. Au-delà, il ne devient plus compétitif. Du coup, “on aura un marché où les nouvelles cimenteries seront plus compétitives que les anciennes du secteur public qui produiront au ralenti et risquent de s’arrêter”, souligne Farid Bourennani. L’État, en un mot, met en péril son industrie publique.

Dans le médicament, il y a eu une centaine de projets dont certains sont redondants. Ils concernent les mêmes classes thérapeutiques. Il y a lieu de regarder la complémentarité de ces projets par rapport à nos besoins en médicaments tout en gardant à l’esprit que toute redondance induit un gaspillage dans l’utilisation de devises. À ma connaissance, l’État n’a pas joué son rôle de régulation dans ce domaine.

Comment générer des ressources en devises pour le pays

Par ailleurs, il est paradoxal de décrier tardivement les méfaits des actions passées dans les minoteries et les cimenteries et présentement de commettre des décisions similaires dans l’industrie automobile qui auront des conséquences néfastes dans le futur. Nous avons une série de mini-usines de montage automobile avec des taux d’intégration extrêmement faibles de tout au plus 10%. L’objectif optimiste des promoteurs est d’arriver à des taux d’intégration de 40% dans cinq ans.

Les quantités produites au départ et à terme sont faibles. Les conséquences de cette démarche sont les suivantes : si on a un taux d’intégration de 10%, cela veut dire que le restant, c’est-à-dire 90% seront importés. Ce sont donc des usines grosses consommatrices de devises. Elles accentuent les importations d’intrants et de pièces d’assemblage. Le coût de revient de ces véhicules est et sera élevé avec le risque que ces produits en raison de leur cherté ne trouvent pas preneurs.

Il convient de méditer l’exemple de l’Inde. Ce pays a créé une joint-venture avec Renault pour produire le modèle Quid qui est vendu au client final à partir de 3 500 dollars, environ 50 millions de centimes et où le taux d’intégration au départ est de 80%. C’est un véhicule contemporain qui inclut tous les équipements modernes.

De ce fait, “je préconise qu’à l’avenir, l’Algérie devrait, sauf motifs stratégiques, n’investir que dans les projets où le taux d’intégration est de 50% au démarrage de l’usine, des projets où notre compétitivité rend les produits ou demi-produits éligibles à l’exportation”, suggère Farid Bourennani.

Enfin, nos décideurs, au lieu de se focaliser sur la réduction des importations, qui dénote un repli sur soi et un manque d’idées et de vision devraient penser à des solutions qui génèrent des devises pour l’Algérie. Des solutions de sortie de crise (crise de la balance des paiements, de la balance budgétaire, de la parité monétaire et de l’hyperinflation) existent, il faut se donner les moyens de les voir et les exécuter.