«Je suis optimiste jusqu’à la naïveté»
«Un film fort, dur et lyrique» dixit Martin Scorsese! Un soutien de taille du cinéaste américain qui croit en ce bijou cinématographique, troisième long métrage du réalisateur marocain. Un film qui sort le 21 août dans les salles en France. Souvenez-vous, Mort à vendre avait ouvert la 11e édition des Rencontres cinématographiques de Béjaïa en juin dernier. Un bon coup de flair donc de la part des organisateurs qui ont misé sur ce film plein de grâce et de poésie malgré son tragique dégoulinant. Acteur, réalisateur, scénariste et monteur, Faouzi Bensaïdi a ses films dans la peau allant jusqu’à concevoir les scènes comme des tableaux «chorégraphiques» qui laissent entendre jusqu’au-boutisme la musique intérieure de chacun de ses personnages…jusqu’aux larmes. Film noir, mélangeant avec habilité noirceur, rêverie et espoir, Mort à vendre peint la rage du désespoir d’une jeunesse qui ne baisse pas les bras..même si, dira Faouzi, Bensaïdi «l’on est condamné à répéter les mêmes erreurs…».
L’Expression: Le Maroc connaît aujourd’hui une certaine évolution et liberté de ton cinématographique indéniables, à en donner pour preuve, les longs métrages Casanegra, Sur la planche, et maintenant votre film Mort à vendre, notamment. C’est dû à quoi à votre avis?
Faouzi Bensaïdi: Il y a un mouvement de fond qui ne date pas d’une année ou deux mais qui remonte à la fin des années 1990. Après des décennies de conflits; entre l’opposition et le pouvoir, un apaisement, une envie de réconciliation, une envie farouche aussi de gagner des espaces de liberté et de les garder, chez les journalistes, les cinéastes et puis les musiciens un peu plus tard. L’arrivée de la gauche au pouvoir et d’un nouveau roi, une société civile très dynamique, la jeunesse de notre génération de cinéastes…tout cela a sûrement participé à rendre possible et non négociable cette liberté de ton
Votre film est un thriller psychologique plus qu’un film policier puisque sa structure narrative nous mène, petit à petit, à sonder les angoisses des trois protagonistes, à savoir ces trois jeunes délinquantes en prise avec la poisse de la vie. Il y a certes une intrigue dramatique, mais si joliment magnifiée par des plans/tableaux que ça rend le film, aussi bien oppressant, que respirable paradoxalement et ce, malgré sa fin. Pourquoi d’abord ce sujet?
J’ai toujours planté ma caméra du côté des perdants, de ceux qui n’ont pas les moyens de leurs rêves, de ceux à qui la vie n’offre pas le choix. Mais cet ancrage social du film ne le fait pas tomber, je l’espère, dans un réalisme plat…le cinéma est là pour porter un regard sur des personnages de tous les jours, sur des lieux qu’on croit sans beauté et d’élever tout ça au rang d’une tragédie moderne
Pourquoi avoir choisi aussi d’interpréter le rôle du flic dans le film? Ça doit être d’autant plus difficile de passer de derrière à devant la caméra et tenter d’assurer les deux à la fois?
Ce n’est pas si difficile que cela, au contraire, jouer me permet d’être encore plus près de mes comédiens et de mon film, c’est l’assumer physiquement quelque part, donner son corps à son film. L’invention du metteur en scène qui ne fait que de la mise en scène est très récente. Au théâtre et durant des siècles, le metteur en scène était un acteur, l’acteur chef de la troupe ou l’auteur. Cette nouvelle position du réalisateur, à savoir le type qui n’a aucune qualité spécifique a produit beaucoup de faiseurs et peu de véritables cinéastes…des gens qui savent surtout bien s’entourer et qui sont de bons exécutants, des chefs de chantiers, qui font des films qui se tiennent, qui marchent, qui marchent très bien et surtout très vite, mais qui ne vont pas très loin
L’amertume, la mélancolie et la chute sont aussi perceptibles dans le film de Nadir Moknache, Goodbye Morocco où vous jouez le rôle de l’ami et homme à tout faire presque aux côtés de Loubna Azabal. Comment appréhende-t-on ce jeu d’acteur? Comment avez-vous travaillé ce rôle-là?
Le rôle s’est construit en étroite collaboration avec Nadir qui, par ailleurs, est un excellent directeur d’acteurs, et d’une autre manière avec Loubna, j’aime bien construire avec des petits riens, des détails pris dans la vie, de ma mémoire, des gens que j’ai connus et de l’imagination aussi. J’ai beaucoup aimé ce personnage d’Ali et je sentais que Nadir l’aimait aussi et le connaissait très bien, ça se voit dans le regard qu’il porte sur lui dans le film.
De Mort à vendre à Goodbye Morocco, finalement, les issues sont quasi similaires. Des films noirs en quelque sorte. Vous aimez donc ce genre d’histoire?
Oui, mais sans préméditation, je suis toujours attiré par les abîmes, par les moments de la vie où tout bascule, et de plus en plus mes illusions sur les êtres humains se perdent et mon travail se teinte de mélancolie et de noirceur, mais sans perdre ma tendresse pour les femmes et les hommes, leur faiblesse, leur vulnérabilité, la mienne, la nôtre me fascine
La scène dans la voiture où l’on entend un morceau de musique raï, de Cheba Djenet je crois, est une pure fulgurance cinématographique qui m’a particulièrement touchée et qui d’ailleurs rappelle bien une autre scène du cinéma de Moknache: Beyouna accoudée au bar dans Viva Lalgérie. Comment faire dans ce cas pour être juste et pas du tout mélodramatique?
Se souvenir du conseil d’Ingrid Bergman à sa fille Isabella Rossellini: «N’oublie pas quand tu joues que tu n’es pas seule dans le plan, il y a la lumière, la musique que mettra le réalisateur plus tard, le montage…»
Un homme face à sa déchéance qui en même temps se sent prêt à tout, car anéanti de l’intérieur. Et n’a plus rien à perdre. Cet homme, il est là, il réfléchit ou peut-être pas, il est simplement submergé par l’émotion, la haine. Le rythme du film marque une pose. C’est un peu le calme avant la tempête. C’est un peu comme dans Mort à vendre, ces moments d’extrêmes finesses, de poésie et d’amour j’entends, partagés entre ces deux jeunes gens avant la fin fatidique…Une sorte de tragédie des temps modernes des amants maudits ne pensez-vous pas?
Oui, c’est très juste, c’est un film contemporain qui essaie de raconter, à sa manière, quelque chose d’éternel «l’amour impossible», voué aux fins malheureuses, la condition tragique de l’homme et sa solitude éternelle…
Avez-vous vécu des instants similaires dans votre vie, si je puis me permettre et comment en sortir pour en faire le deuil?
Oui, j’ai connu des trahisons en amitié, c’est plus dur que la trahison en amour, ce que j’en fais ici dans mon film, c’est une tragédie moderne où les personnages s’engagent dans un engrenage qui, très vite les dépasse et les broie…ce n’est pas le cas de ce que j’ai vécu…mais on parle, c’est vrai, souvent des faits personnels pour broder nos histoires
Cette mort-là, d’une jeunesse en perdition, pourrait s’apparenter à celle d’une nation jeune qui se cherche aussi et apprend de ses bêtises…
Il est difficile d’apprendre de ses bêtises, on aimerait tellement, mais je ne sais pas pourquoi on est condamné à répéter les mêmes erreurs comme si l’Histoire n’existait pas
Dans la vie, êtes-vous un optimiste? Car les protagonistes que vous filmez paraissent paradoxalement bien combatifs..
Oui, je suis optimiste jusqu’à la naïveté, mais ça ne veut pas dire que j’ai des illusions, je suis lucide et j’essaie de protéger consciemment cette naïveté qui aide à vivre..