L’environnement institutionnel, politique et idéologique est responsable de cet état de fait qui menace de faire plonger l’Algérie dans le groupe des pays les moins avancés (PMA).
“Au projet du mieux-vivre ensemble, sur lequel nous étions partis à l’Indépendance du pays, est en train de substituer, très largement, le cauchemar du mal-vivre en semble.” C’est, du moins, ce qu’a indiqué Mohamed Bouchakour, économiste, docteur d’État en sciences de gestion, qui a animé, hier à l’hôtel Sofitel d’Alger, “Les matinales de Care” sur “le dialogue public-privé dans l’Algérie d’aujourd’hui”.
M. Bouchakour avertit que la persistance dans le “pseudo- dialogue” autour du partage de la rente fera plonger, inéluctablement, l’Algérie dans le groupe des pays les moins avancés (PMA). Pour le conférencier, seul un dialogue social global, authentique et permanent peut extirper le pays de cette descente aux enfers et permettra la construction d’un nouveau contrat social. Pour autant, les préalables à la mise en place de ce type de dialogue sont-ils réunis ? L’exposé de M. Bouchakour a mis en évidence combien l’environnement institutionnel, politique et idéologique est défavorable à la mise en place d’un dialogue public-privé fécond.
Pour les pouvoirs publics, tout va bien, ou presque. Les indicateurs socioéconomiques affichent de nettes améliorations au cours des dernières années. Le dialogue est correctement pris en charge, à travers la tripartite et le Conseil national économique et social (Cnes). Le conférencier évoque la 16e tripartite qui a débouché sur la signature du pacte économique et social de croissance. Pour les acteurs de la société civile, au contraire, tout va mal. L’économiste affirme même que des personnes qui occupent des postes de haute responsabilité, en aparté, reconnaissent que tout va mal. En matière de contrat social, “les Algériens vivent mal et ils ont de plus en plus de difficultés à vire ensemble”, soutient le conférencier.
Le dialogue social est un leurre. Pour se faire écouter, il faut avoir une capacité de nuisance, la corruption et l’appartenance à des clans. M. Bouchakour parle de la prolifération des suicides, du phénomène de la violence, de la délinquance qui tend à se transformer en criminalité et de l’émigration clandestine, qui sont autant de manifestations du mal-vivre ensemble.
“Des phénomènes, qui prennent une ampleur significative, et qui nous amènent à nous interroger sur la qualité du contrat social”, note l’économiste. Pour M. Bouchakour, en faisant référence à la notion du “Titanic” utilisée par le collectif Nabni, la collision pour l’économie algérienne a eu lieu à partir du moment où le Peak Oil (pic de production d’hydrocarbures) est déjà dépassé. “Nous sommes en train de prendre de l’eau”, soutient le conférencier. M. Bouchakour qualifie la tripartite de cadre réducteur et imparfait.
Il se limite à des doléances qui portent surtout sur des préoccupations conjoncturelles. La représentativité est limitée. Les grandes décisions, lorsqu’elles sont prises, ne trouvent pas leur traduction sur le terrain. L’économiste relève deux grandes tares du dialogue social : il est enfermé dans une logique de distribution de la rente avec des choix souvent contestables, voire condamnables. Il ignore la relève des hydrocarbures et les conditions économiques et énergétiques.
M. Bouchakour énumère le coût du non-dialogue : les grands choix sont toujours en éternelle gestation. Les pouvoirs publics renoncent à une source d’expertise importante de terrain et une connaissance fine des réalités économiques nationales. L’absence de dialogue prive les entreprises d’une lisibilité suffisante pour faire des anticipations. Enfin, les décisions souffrent de déficit de légitimité et d’appropriation par les bénéficiaires et autres parties prenantes. Selon Abderrahmane Hadj-Nacer, expert, ancien gouverneur de la Banque centrale, la leçon qu’on retient de “la révolution du Jasmin”, c’est que si elle ne se passe pas trop mal, c’est grâce à l’existence d’acteurs sociaux reconnus de part et d’autre qui a permis un dialogue.
En Algérie, le problème n’est-il pas de définir les acteurs réels qui pourraient participer au dialogue ? S’interroge l’ancien gouverneur de la Banque d’Algérie, évoquant “l’informel” dans l’économie, dans la politique et dans la représentation des travailleurs. Abderrahmane Hadj-Nacer estime que le dialogue public-privé “est un sujet impossible”, évoquant la mise en place d’un schéma théorique qui correspond plus à un montage institutionnel en trompe-l’œil. L’ancien gouverneur de la Banque d’Algérie regrette qu’on n’aborde pas “la place de l’Algérie dans le contexte des nations”.
M R