Une manifestation «millionnaire » selon ses organisateurs s’est déroulée hier au Caire et dans plusieurs villes égyptiennes, notamment le bastion de la révolution, Suez pour défendre les objectifs du soulèvement qui a renversé le président Hosni Moubarak, il y a cinq mois, accusant l’armée au pouvoir de traîner les pieds pour réaliser des réformes et faire avancer la justice.
Sur l’emblématique Place Tahrir du Caire, la foule portait des banderoles sur lesquelles on pouvait lire «Notre révolution continue» ou «Le peuple demande la réalisation des promesses du Printemps arabe». Le cheikh Mazhar Chahine, qui dirigeait la prière du vendredi sur la place, a appelé les manifestants à «continuer d’oeuvrer à la réalisation des nobles objectifs de la révolution que sont le changement, la liberté et la justice sociale».
Il a appelé à un gouvernement «qui soit capable de répondre aux aspirations des gens qui se sont révoltés pour avoir une vie digne». «Le pouvoir se moque de nous. Il pense que la révolution est finie et que les gens vont rester à la maison. Il se trompe et c’est pour cela que nous sommes ici», a affirmé un manifestant.
De fait Les partisans du changement et les organisations des droits de l’Homme ont demandé aux Égyptiens à descendre en masse dans la rue pour manifester leur mécontentement face à la gestion de la transition par le Conseil supérieur des forces armées qui dirige le pays. Ils lui demandent en particulier des comptes pour la répression sanglante de janvier. La colère des partisans du changement se cristallise sur l’impunité qu’ils soupçonnent le Conseil des forces armées de vouloir accorder à la police.
C’est sur ce mot d’ordre qu’ils ont convaincu les Frères musulmans de manifester avec eux malgré leurs divergences politiques. Ce sont en effet les tirs à balles réelles des policiers qui ont fait la majorité des morts aux premiers jours de la révolution. Une répression sanglante, au Caire, mais surtout en province, loin des caméras du monde entier focalisées sur la Place Tahrir.
En particulier à Suez, au nord-ouest du pays où mercredi dernier, des centaines de manifestants ont attaqué à coups de pierres le tribunal et le siège de la police pour protester contre la libération sous caution de l’ancien chef de la sécurité de la ville et d’une dizaine de policiers accusés d’avoir tué des manifestants en janvier dernier.
Les manifestants étaient également plusieurs milliers à Alexandrie (nord), la deuxième ville du pays, et près de 10 000 à Suez (nord-est), selon des correspondants de presse. À Ismaïlia, sur le canal de Suez, des milliers de personnes ont scandé «à bas le maréchal». À Charm el-Cheikh, sur la mer Rouge, des centaines de manifestants se sont rassemblés devant l’hôpital où se trouve Hosni Moubarak pour demander qu’il quitte la station, où sa présence est accusée de nuire au tourisme.
Ces rassemblements répondent à l’appel de mouvements de jeunes, pro démocratie et de partis laïcs. Le puissant mouvement des Frères musulmans, qui avait dans un premier temps hésité à s’y rallier, a finalement appelé à manifester. Le gouvernement avait appelé les manifestants à «préserver le caractère pacifique des rassemblements» et mis en garde contre «les complots visant à inciter au chaos pour ternir l’image du pays».
L’armée égyptienne, adulée au lendemain de la chute de Moubarak pour sa retenue durant le soulèvement et pour ses promesses de démocratisation du pays, est aujourd’hui la cible de critiques de plus en plus vives.
Les manifestants demandent tout particulièrement la démission des responsables de l’ancien régime encore dans les allées du pouvoir et de la haute administration. Ils demandent aussi à l’armée de cesser d’utiliser les tribunaux militaires pour juger les civils, ainsi que la levée de la loi sur l’état d’urgence en vigueur tout au long des trente années de règne de Moubarak.
La relaxe en début de semaine de trois ex-ministres de Moubarak inculpés dans des affaires de corruption a aggravé le sentiment de frustration d’une partie de la population.
Le pouvoir a tenté au cours des derniers jours de répondre à certaines revendications, en annonçant par exemple la création d’un fonds d’aide sociale et médicale pour les familles des victimes de la révolte du début de l’année. Il a également décidé de dissoudre les conseils municipaux, élus sous Moubarak et toujours contrôlés par ses amis politiques.
Mokhtar Bendib