Face au terrorisme, l’Algérie fait cavalier seul

Face au terrorisme, l’Algérie fait cavalier seul

Fin décembre, l’armée algérienne officialisait le bilan de sa lutte contre le terrorisme. 109 individus tués, dont une dizaine de vétérans qui combattaient depuis les années 1990, et des centaines d’armes saisies. Un résultat salué par la presse, qui cherche à faire oublier le manque de coopération régionale.

L’Algérie, au croisement des réseaux criminels nord-africains (narcotrafics, armes, humains…), est en première ligne de la lutte contre les mouvances terroristes. Avec le Mali à sa frontière sud et la Libye à l’est, ce pays est un interlocuteur incontournable pour ceux qui cherchent à rétablir la sécurité dans la région. Le bilan annoncé par l’armée est-il à la hauteur ? Un ancien analyste du renseignement français, qui préfère rester anonyme, décrit ses réserves :

Ils font ce genre de bilan chaque année. Une centaine de terroristes abattus à chaque fois. Au bout de dix ans, ça en fait un bon millier… Et les maquis sont toujours là. Ils ne sont jamais pleins, effectivement, mais ils ne sont jamais vides non plus. La presse et le gouvernement se félicitent, mais sans jamais vraiment régler le problème.

Ce fin connaisseur de la région insiste sur l’absence d’opérations d’envergure. Le gros du travail de l’armée algérienne consiste à patrouiller dans les secteurs où opèrent les groupes criminels et jihadistes. En Kabylie, à l’est, et dans le Sahara, au sud, les Algériens ont quadrillé les zones sensibles pour protéger le nord urbanisé du pays. Mais dans ces secteurs, ils sont trop peu nombreux pour tout surveiller. Régulièrement, militaires et jihadistes se croisent, entrainant des accrochages meurtriers. En général, quelques terroristes sont tués. Parfois, c’est l’armée qui paie de quelques vies.

Une menace terroriste renouvelée en Algérie

Une bonne partie des réseaux d’Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI), à l’origine de la récente attaque de Ouagadougou, circulent par l’Algérie. Ces dernières années, les jihadistes ont également pris pour cible le pays et ses intérêts, avec notamment l’attaque du site gazier d’In Amenas en 2013 (39 morts) ou encore le double attentat suicide à Alger en 2007 (une soixantaine de tués). La vraie préoccupation des Algériens reste pourtant la montée en puissance de l’Etat islamique dans la région, comme l’explique notre ancien analyste :

Ils ont fait un gros effort sur l’Etat islamique. Dès qu’ils ont vu émerger une petite katiba [NDLR : Jund al-Khalifa, à l’origine de l’assassinat du Français Hervé Gourdel], ils l’ont exterminée. Pour eux, AQMI est un phénomène connu, qu’ils ont le sentiment de maîtriser. Par contre, ils craignent le pouvoir de séduction de l’Etat islamique. Ils voient des filières émerger, à destination de la Syrie.

On estime à un millier le nombre d’Algériens partis combattre en Irak et en Syrie. En juillet dernier, l’Etat islamique menaçait officiellement l’Algérie à travers une vidéo dans laquelle trois de ses ressortissants annonçaient la conquête prochaine de cette contrée qu’ils préfèrent appeler Andalousie, en référence à son histoire. Une partie de la jeunesse, qui n’a pas connue la guerre civile, peut se laisser tenter par les appels de l’islamisme radical

Maintenir la menace sur le pas de la porte

L’armée algérienne, si elle est l’une des mieux équipées et bénéficie de l’un des plus gros budgets de la région, n’a pas les moyens de contrôler l’ensemble du territoire. Il s’agit donc en général d’identifier les priorités. Emmanuel Dupuy, président de l’Institut prospective et sécurité en Europe (IPSE), décrit ainsi la problématique des autorités : « Veiller à ce que les terroristes soient repoussés le plus loin possible dans le territoire, voir hors du pays, et lorsqu’il le faut, aller les chasser. » Il note cependant des difficultés internes, affirmant que « les militaires sont pris dans des querelles d’ego entre services ».

Si l’armée algérienne se félicite de son bilan contre le terrorisme, elle ne semble cependant pas chercher à poursuivre les efforts trop loin. Sa doctrine lui interdit notamment d’intervenir au-delà des frontières, même si de récentes réformes ont autorisé les forces à les franchir en cas de poursuite de terroristes. Saïd Haddad, spécialiste de la région et enseignant à Saint-Cyr, note que ces hésitations ne sont pas propres aux Algériens :

Comme une bonne partie des capitales de la région, il y a une prudence face à des phénomènes que l’on ne maîtrise pas : les acteurs sont très mobiles et il est difficile de trouver les bons outils pour lutter contre eux. Etre trop visible dans la lutte contre le terrorisme, c’est aussi prendre le risque de devenir une cible prioritaire.

Blocages diplomatiques

La géographie de la région fait qu’il est peu probable de trouver des solutions sécuritaires sans coordonner les différents pays. L’Algérie s’est traditionnellement positionnée en médiateur dans les crises et continue de le faire. Cette semaine, des pourparlers ont ainsi lieu à Alger pour chercher une solution à la crise dans le nord du Mali. Malheureusement, les tensions qui opposent l’Algérie et le Maroc depuis 1975 (Guerre des Sables puis conflit dans le Sahara occidental), empêchent un dialogue efficace. Les deux pays ne pouvant s’entendre, les instances se multiplient avec à chaque fois des solutions algériennes et des solutions marocaines.

« Pour penser les réponses à la sécurité, il faut trouver une solution au problème algéro-marocain, estime Saïd Haddad. Leurs oppositions ont des conséquences sur l’ensemble de l’infrastructure sécuritaire. » Même constat pour Emmanuel Dupuy : « Les principaux pays qui ont des capacités diplomatiques, militaires et même religieuses ne sont jamais présents dans les mêmes instances. »

L’armée a créé un verrou entre le nord urbanisé du pays et les régions plus sauvages du sud et de l’est, respectivement frontalières du Mali et de la Libye, deux zones de crises majeures.