En plus de devoir accuser, hébétés, le choc de la mise en scène où l’on a pu voir le président-candidat si diminué par les séquelles de son AVC, lors d’une épreuve télévisée cruelle dans un salon du Conseil constitutionnel, les Algériens assistent à la démission collective de candidats, quittant la compétition.
Certes, les doutes légitimes sur la régularité du scrutin peuvent décourager les plus téméraires mais il semblerait que les opposants au candidat du pouvoir en place n’aient guère plus confiance en leur peuple. Sinon, pourquoi ne pas tenter de battre, par une adhésion massive des citoyens, le gladiateur si fatigué du sérail ?
La victoire assurée d’Abdelaziz Bouteflika, au cas où il se présenterait, a été annoncée par ses adversaires. S’accordant tous à déclarer que «le candidat de l’administration sera celui qui arrachera haut la main la présidentielle». Ce discours ayant servi à mener une sorte de campagne de mobilisation contre le clan présidentiel soupçonné de vouloir présenter son candidat coûte que coûte, en dépit de ses déboires de santé. L’axe rhétorique consistant à jumeler le forfait de la candidature d’un homme devenu impotent et celui de la fraude massive inévitable.
Sentiment d’abandon
Du coup, on a l’impression que les concurrents, franchement hostiles à l’entrée dans l’arène du vieux gladiateur malade, s’étaient préparés à leur retrait pour éviter de participer à des joutes où ils savaient n’avoir aucune chance de prendre le dessus.
D’ailleurs, à part Sofiane Djillali qui prétend que la récolte des signatures n’aurait pas été un obstacle pour lui, les autres challengers se sont gardés d’évoquer cet aspect un peu humiliant. Comment un prétendant à la magistrature suprême, qui n’a pas pu franchir cette étape des milliers de paraphes, peut-il se figurer que son retrait symbolique de la compétition aura une incidence sur l’opinion publique ? Suffit-il de laisser le champ libre au candidat décrié, accompagné de ses lièvres, pour susciter une crise politique utile dans un pays où la grande majorité de l’électorat boude systématiquement les urnes ?
On peut craindre un effet inverse chez les citoyens qui perçoivent le retrait comme une capitulation face au système, comme un aveu de faiblesse. Pour preuve, ce début d’ouverture des médias lourds où des chaînes de télévision privées proposent des débats politiques qui tranchent un peu avec les programmes publics balisés. Beaucoup de téléspectateurs intervenant sur les réseaux sociaux reconnaissent apprécier l’échange d’idées contradictoires et avouent même en avoir besoin pour pouvoir décider dans l’isoloir. N’y aurait-il pas un déficit de communication entre ces candidats à la présidentielle et les Algériens ?
Un champ politique verrouillé
Bien entendu, c’est aussi la conséquence de la fermeture des médias publics, depuis la courte aventure démocratique correspondant à l’avènement du multipartisme en Algérie au lendemain de la révolte du 5 octobre 1988. On aura aussi remarqué que la plupart des candidats à la présidentielle n’ont pas de base partisane.
Même Benflis, qui n’a pas voulu quitter la course, pour l’instant, ne compte sur aucun parti pour le soutenir quoiqu’il ait fait entendre qu’une frange du FLN, sa structure d’origine, lui soit acquise. Pour sa part, le clan présidentiel n’ignore pas la précarité de ses adversaires en matière d’appareil politique capable de vaincre un président sortant qui a su s’entourer de ministres puissamment introduits dans les milieux d’affaires influents ou dans le tissu associatif du pays.
Des ministres disposés à se battre pour leur candidat et qui n’ont pas caché leur audacieuse détermination à maintenir leur camarilla au pouvoir. Une audace qui s’exprime par les dernières images d’un président pitoyable, presque réduit au rôle de marionnette afin de servir les ambitions de «sa clientèle» pour reprendre l’expression de Louisa Hanoune, la patronne du PT, cette opposante loyaliste dont la méthode consiste à accuser l’entourage avec ardeur pour mieux épargner Bouteflika.
C’est peut-être ce qui risque de faire la différence ce 17 avril : l’écart de motivation chez les candidats affolés par la candidature ubuesque du président sortant et l’absence de scrupule chez les pro-Bouteflika. A moins que la rue ne vienne rééquilibrer les rapports de force. Mais à quel prix ?