Zaphira, en son for intérieur, brûle cette passion qui la pousse à exprimer par le pinceau sa foi, en des couleurs qu’elle a voulues vraies et authentiques.
«Je suis fascinée par le message qui émane du Coran!» C’est avec cette conviction que l’artiste-plasticienne Zaphira Yacef pense ouvrir le débat, en se gardant toutefois de se considérer comme une spécialiste des «choses» de l’Islam. Elle n’est pas exégète, certes, mais architecte de formation qui dit, dans une récente déclaration, «c’est dans ce texte que l’on trouve la clé de la vie».
Ainsi, qui l’empêcherait de pénétrer ce débat, avec ses propres moyens, répliquons-nous, en ces temps où l’Islam est intrinsèquement voué à tous les excès, car altéré par les incompréhensions des uns et l’ignorance des autres et, on ne le dira jamais assez, par le manque de courage d’aucuns parmi les soi-disant chargés d’érudition qui se gardent de dire la vérité devant la dégradation et la malveillance engendrées par le fanatisme, cet «enfant dénaturé de la religion», que dénonçait Voltaire?
Bravo la culture…,dans un de ses sanctuaires: le Bardo
En ce mois sacré de Ramadhan, la culture qui, aujourd’hui, se distingue par son riche programme qui va dans le concret, battant en brèche la mélancolie de l’événementiel récurrent et de l’insipide kermesse qui lui a été imposée, il fut un temps, nous offre au Musée national du Bardo une vitrine d’une haute facture et d’un style exceptionnel qui s’adresse à la raison, en un parfum suave de spiritualité.
«Iqra, Chemin vers la lumière…», c’est ainsi que l’artiste-peintre a intitulé son exposition pour nous faire apprécier de lumineux tableaux qui nous pénètrent dans une ambiance de recueillement et nous ouvrent la voie pour une meilleure compréhension des Saintes Écritures. Tracés dans une noble matière, à partir d’une calligraphie d’un style qui découle d’une conception propre à l’univers de l’Islam, les toiles de Zaphira Yacef nous déambulent, sous l’effet d’une forte dose de mysticisme, dans les étapes de la foi, en commençant d’abord par cet élément essentiel, qui est relevé et anobli dans le premier précepte de Dieu à son Prophète Mohammed (Qsssl), lequel précepte appelle à la conscientisation de l’homme par l’instruction, l’éducation et la culture.
De ce fait, l’élément essentiel par lequel l’artiste Zaphira Yacef a préludé son exposition – à la satisfaction de tous les connaisseurs qui attendaient impatiemment son ouverture – est ce panneau d’arabesques agréablement agencé, en des couleurs sobres, où l’on peut lire, dans les deux langues, un commentaire sur le chapitre «El Alaq, le caillot de sang». Ce panneau représente le premier message de Dieu à son Prophète, transmis par l’archange Gabriel, en quelques versets d’une brillante guidance exposant l’essence de l’Appel divin.
«Iqra! Lis au nom de ton Maître, Celui Qui a créé. Il a créé l’homme d’un caillot adhésif. Lis! la bonté de ton Maitre est infinie. C’est Lui Qui fit de la plume un instrument du savoir.» (versets 1,2,3 et 4) A partir de là, et pour contenir cette richesse qui nous vient du Saint Coran, ce sont plusieurs salles du Musée national du Bardo qui s’ouvrent pour accueillir le public, dans la chaleur et la convivialité ramadhanesques, et lui offrir ce spectacle par trop mystique qui exhale de fortes saveurs d’amour, d’entraide et de piété.
C’est également dans ce sanctuaire de la culture que l’on apprend comment concilier notre population, surtout la jeunesse, avec le musée, dans le sens large du terme. En effet, car cette remarquable structure éducative, réalisée dans le style néo-mauresque, indépendamment de nombreuses autres dans notre vaste territoire, s’impose comme l’un des moyens incontournables pour éduquer et aller au-devant de cette strate importante dans la société qui, pour l’instant, ignore de larges pans de son Histoire, y compris certains aspects essentiels de notre patrimoine culturel et spirituel.
Ainsi, la contribution du Musée national du Bardo, en somme du ministère de la Culture, ne peut passer inaperçue, en ces grandes occasions du mois sacré de Ramadhan, et la chaleur de l’accueil dans cette merveilleuse structure garantit la réussite de toute opération en direction d’un monde qui a soif d’apprendre et de se cultiver.
Une exposition spirituelle pour un voyage initiatique
Dans cette atmosphère d’émulation, et pour mieux réussir cette rencontre qui lui tenait à coeur et qu’elle a préparée avec grand soin, Zaphira Yacef qui a exploré le vaste domaine du soufisme – cette doctrine initiatique au sein de l’Islam -, est venue donc avec ces chefs-d’oeuvre qui couronnent son effort de méditation et nous présentent les lettres énigmatiques du Coran. C’est dire aussi qu’elle a de l’endurance…, cette artiste! Mieux encore, elle a une carapace dure…, elle qui avoue que «(sa) calligraphie est dans l’art naïf et qu'(elle) n’a jamais fait d’école», en somme, une autodidacte dans cette pratique, abordant des sujets de l’Islam qui, jusqu’à l’heure, sont tellement controversés.
A l’entendre se confesser, naturellement et humblement, plus d’un parmi les artistes et calligraphes souhaiterait avoir son niveau de perception dans cet art fabuleux de même que dans l’élaboration de ses tableaux qui n’ont rien à envier à ceux d’éminents spécialistes des arts plastiques. Et comment n’allons-nous pas confirmer la force artistique de Zaphira Yacef quand nous avons en mémoire plusieurs de ses expositions, depuis 1994, aussi bien dans son pays qu’à l’étranger et dont la dernière, la plus fastueuse, s’intitulait: «La semence d’amour et les 99 noms d’Allah».
Dans cette exposition, elle a dû introduire à la peinture de chacun des quatre-vingt-dix-neuf noms d’Allah, comme le mentionnait Amine Idjer dans Liberté, un ornement calligraphique accompagné de belles paroles du texte sacré, suivies des aphorismes soufis afin d’inciter le lecteur à trouver asile, réconfort et guidance.
Oui, Zaphira est une artiste-plasticienne qui se spécialise dans le spirituel, malgré le fait qu’elle déclare franchement n’avoir pas encore atteint ce stade.
Elle ne le sent peut-être pas, mais nous le constatons à travers des détails qui nous sautent aux yeux, à travers ses oeuvres qui traduisent sa profonde croyance et sa foi inébranlable qui la conduisent à chercher constamment des explications autour de sujets ésotériques qui séduisent et qui ont certainement façonné les cultures existantes, puisqu’elles renferment un trésor de «sagesse». C’est alors qu’à chaque instant, exhortée par le Tout-Puissant à plus de réflexion, elle va, consciente, exposer le mystère de ces versets liminaires qui entoure ces 29 sourates codées par des lettres et qui, jusqu’à présent, reste entier depuis plus de quatorze siècles. Personne n’a réussi à donner, concernant ces lettres énigmatiques, ne serait-ce qu’un début d’explication.
Le Prophète Mohammed, lui-même (Qsssl) n’a pas donné de précisions claires à leur sujet, se contentant de faire transcrire consciencieusement la révélation, nous explique Farid Gabteni dans «Le Soleil se lève à l’Occident-Science pour l’Heure». Peut-être que cet hypothétique «Idjtihad», quelque peu figé aujourd’hui en terre d’Islam, reprendrait-il demain sa place au sein des exégètes et ferait-il quelques pas en avant, à l’aide de Sciences qu’Allah, le Transcendant, nous a léguées, pour nous instruire sur les miracles scientifiques du Coran?
Entre-temps, l’exposition de l’artiste Zaphira Yacef, de par sa consistance et la profonde ferveur qui s’en dégage, traduit fidèlement cette éducation qui est une règle de conduite en Islam, une matière indispensable, donc essentielle pour générer les meilleures potentialités et construire des communautés qui ne sauraient faillir devant les épreuves du temps ou céder aux caprices des événements.
Elle traduit également cet enseignement qui est la vertu cardinale de ceux qui veulent donner à leur vie un cadre plus juste qui les fait aboutir au travail sérieux, à l’émulation et au rendement. Alors, compte tenu de tout cela, l’artiste Zaphira nous présente ce produit sain, dans cette bienheureuse occasion qui est semblable à ce «voyage initiatique», pour nous rappeler que l’Islam nous exhorte à nous éduquer, à nous élever et, par conséquent, à évoluer pour mieux réussir.
Zaphira: «Ma foi, je l’exprime par le pinceau»
Quelle pédagogie que cette exposition qui renvoie aux visiteurs ce caractère ornemental et spirituel des «Arts de l’Islam»! Mais en réalité, c’est plus que cela, et nous l’avons démontré à travers les paragraphes précédents. C’est en effet un travail consistant et sérieux qui va dans le sens de ce grand débat d’idées que veut engager, présentement, la jeune génération d’artistes, aidée par les quelques «doués de raison» qui essayent de découvrir quelques secrets du Coran, sinon de se rapprocher de la vérité pour la mettre à la disposition des chercheurs ou tout simplement des croyants qui veulent perfectionner leurs connaissances dans ce domaine.
Et Zaphira en fait partie, incontestablement car, en son for intérieur, brûle cette passion qui la pousse à exprimer par le pinceau sa foi, en des couleurs qu’elle a voulues vraies et authentiques. Ainsi, en plein dans ce décor prodigieux, elle fait parler ce pinceau, en de tendres expressions, qu’interprètent des images d’un éclat impressionnant…, des images qui s’expriment par de meilleurs sentiments dont le calme et la sérénité qui transcendent ce fanatisme exacerbé de «gourous», en manque d’arguments convaincants.
Incontestablement, Zaphira a sa façon de peindre, car dans sa diversité et sa simplicité, elle nous promène dans cet espace mystique où s’impose la lumière avec tous ses reflets et où se sent l’accessibilité au message par ces images qui parlent d’elles-mêmes, en allant droit au coeur.
N’est-elle pas sur les traces de ces grands qui ont fait que l’oraison se mêle à la danse et la prière à l’art? En effet, commençons par citer quelques poètes soufis qui nous ont subjugués par leurs «qaçaïde», ces poésies évocatrices, converties en chants expressifs qui utilisaient le système traditionnel du «maqâm».
Parmi ces grands, les Sidi Boumediène Choaïb (le patron de Tlemcen), Mohieddine Ibn Arabi (l’Andalou), Dhu-L-Nun (l’Égyptien), El Harraq, (le maître soufi marocain), Djalàl Al-Din Er-Roumi (le Persan), Ibn Mansour El Halladj (l’Irakien), ou encore Attâr et Saâd Eddine Mahmoud Chabestari (les deux, venant de Perse). La musique, quant à elle, a été adoptée par les mystiques musulmans comme support de méditation et moyen d’accéder à des états de grâce et d’extase pour «nourrir l’âme». Pour ce qui est du chant, l’exemple de Cheikh Hamza Chakkour, de la Mosquée omeyyade de Damas, est significatif quand il exalte l’amour divin et loue son prophète Mohammed (Qsssl) d’une voix profonde et sublime.
Enfin, la peinture, nous y revenons, pour dire que Zaphira ne reste pas seule dans ce créneau ô combien prodigieux. Il y a Rachid Koraïchi, et ses lithographies où domine l’utilisation des signes et des symboles propres à la mystique soufie. Lui aussi intervient dans ce créneau pour rendre hommage à «l’héritage des grands maîtres de l’Islam» et montrer ainsi une «image apaisée» de cette religion dans un contexte marqué par tant d’incompréhensions.
En conclusion, il faut être convaincu que Zaphira Yacef qui dit: «Ma foi, je l’exprime par le pinceau», continue son immersion dans l’art sans complexe et sans tabous. Ainsi, l’immersion dans ce noble domaine de la fille d’«El Behdja», ou de «Bled Sidi Abderrahmane Eth-Thaâlibi», est soutenue par sa volonté, elle qui a grandi dans la Cité aux couleurs diverses, dans un ensemble de moeurs et de coutumes partagées par une population au comportement humain remarquable… Oui, sans complexe d’autant qu’elle a cette facilité dans la transmission du message dans un effort pédagogique, pour une évolution sereine, afin de lever les nombreuses équivoques qui nous feront franchir d’autres étapes dans le cadre de la réussite et du progrès.