Exportation des produits agricoles : Quelle politique soutenir et quel bilan applaudir ?

Exportation des produits agricoles : Quelle politique soutenir et quel bilan applaudir ?

Par Aissa Manseur*

Les exportations hors hydrocarbures, et depuis toujours, ne représentent qu’un taux très minime du volume global des exportations, ainsi entre 2008 et 2018 ce taux présentait une moyenne qui n’excède pas les 4% avec une valeur moyenne de 2 milliards de dollars us, et qui sont dominées par les produits dérivés des hydrocarbures ! Durant une décennie aucune amélioration n’a été enregistrée et notre économie reste toujours quasi-dépendante aux hydrocarbures, même après l’effondrement des prix du pétrole, les pouvoirs publics n’ont fourni aucun effort pour élaborer une politique et dresser une stratégie adéquate pour la promotion de ces exportations, nos programmes et nos stratégies n’ont jamais pu dépasser le stade des slogans !!

La stratégie nationale des exportations est-elle toujours d’actualité ?

La stratégie nationale des exportations, élaborée durant l’année 2017, avait pour but la diversification de l’économie nationale et des exportations. Huit secteurs ont été identifiés comme prioritaires. Il s’agit des produits pharmaceutiques, les technologies de l’information et de la communication (TIC), les produits alimentaires et agricoles, équipements de transport (composants automobiles), l’électronique, les produits de la pétrochimie, les matériaux de construction, les cuirs, les textiles et le tourisme.

Le ministère du Commerce a assuré que tout est prêt pour promouvoir les exportations hors hydrocarbures, ainsi l’année 2019 a été proclamée année des exportations hors hydrocarbures, mais les statistiques du commerce extérieur de l’Algérie des services des Douanes pour les six premiers mois montrent que les exportations hors hydrocarbures restent toujours marginales, avec près de 1,31 milliard de dollars US, ce qui représente 6,90% du volume global des exportations, contre 1,45 milliard de dollars US à la même période en 2018, en baisse de 10,01%.

Se focaliser uniquement sur l’accompagnement de l’exportateur est insuffisant !

Le groupe de travail chargé de l’élaboration du plan d’action national pour l’accompagnement des exportateurs de produits agricoles a soumis des propositions concernant plusieurs domaines, dont les transports et la logistique, la métrologie, l’accréditation et l’évaluation de la conformité, l’offre exportable, les réglementations juridiques et financières.

C’est très utile de penser à accompagner les exportateurs des produits agricoles, mais qu’en est-il des agriculteurs fournisseurs de ces produits ?

On parle des produits agricoles comme si on les crée par décision ou alors on les fait apparaître par une manœuvre de baguette magique ! Aucun mot n’est soufflé à propos des agriculteurs qui doivent nous fournir ces produits exportables pour lesquels on élabore toute une stratégie ! L’agriculteur demeure l’acteur ignoré du processus de l’exportation.

Promotion des exportations des produits agricoles, régulation et contrôle du marché local comme prélude !

Avant d’élaborer une stratégie pour l’exportation des produits agricoles, il est plus que nécessaire de réguler et contrôler le marché local de ces produits. La régulation conduit à l’approvisionnement régulier du marché et évite les pénuries, l’une des causes de la flambée des prix, comme elle conduit également à mettre «hors d’état de nuire» les spéculateurs, cause principale de l’envolée des prix. Certains produits susceptibles d’être exportés (pomme de terre, dattes, l’huile d’olive…) sont cédés localement à des prix qui ne peuvent jamais être compétitifs sur les marchés internationaux. L’écoulement de ces produits sur les marchés locaux procure beaucoup plus de bénéfice que de les exporter ! Alors il est vraiment plus intéressant de vendre localement et gagner plus !

On n’exporte pas l’excédent !!

Beaucoup de personnes y compris des responsables disent «on doit atteindre l’autosuffisance alimentaire et dégager un excédent à  !». C’est totalement faux et si on résonne ainsi on ne pourra jamais gagner la bataille de l’exportation et nos produits ne trouveront jamais une place sur les marchés extérieurs. La production agricole à exporter doit être produite en tant que telle !

Des produits destinés à l’exportation, des produits labellisés, certifiés, en quantité suffisante et en qualité irréprochable. Cet objectif ne peut être réalisé que si on se tourne vers les agriculteurs, en leur offrant les outils nécessaires d’accompagnement et de soutien pour nous offrir ces produits.

Il faut tout d’abord cibler les produits susceptibles de conquérir des parts de marchés à l’international, des produits qui peuvent survivre dans un milieu concurrentiel pas du tout clément. Ces produits, ne pouvant être obtenus avec les systèmes de production actuels qui ne s’articulent pas sur des bases techniques adéquates, la mise à niveau des agriculteurs est plus que nécessaire.

Il faut leur inculquer les bonnes pratiques culturales nécessaires au respect strict de l’itinéraire technique des différents produits ciblés et leur apprendre à procéder techniquement lors de la conduite des cultures. L’utilisation raisonnée des fertilisants et autres produits phytosanitaires doit être respectée rigoureusement, le refoulement des produits agricoles récemment par divers pays pour cause de présence de pesticides doit nous servir de leçon et nous inciter à faire des efforts considérables dans ce domaine

Pérenniser les opérations d’exportation, clé de réussite du processus

Il est extrêmement important que nos exportateurs respectent leurs engagements vis-à-vis de l’opérateur étranger concernant les quantités à exporter, ainsi que le respect des délais. Assurer une production pérenne est incontournable pour pérenniser également l’acte d’exportation, des ruptures répétées, de fourniture des produits agricoles pour les marchés extérieurs peuvent être fatales et porter atteinte à la «solvabilité» de nos exportateurs. Si on arrive à gagner des parts de marchés, il est dans notre intérêt de les préserver.

A l’heure actuelle a-t-on une production «exportable» suffisante ? Les procédures d’exportation sont-elles assez souples pour accélérer le processus ?

La logistique pourra-t-elle être au rendez-vous pour pouvoir acheminer les produits vers leurs destinations dans les meilleurs délais ?

Pourquoi un tel recul dans le processus d’exportation des produits agricoles ?

L’Algérie était connue pour être un pays exportateur de produits agricoles, cette réputation a disparu au fil des ans.

Le pays qui jadis exportait toute une panoplie de produits agricoles est devenu un pays presque totalement dépendant de l’étranger concernant les produits stratégiques à l’instar des céréales et du lait. Durant l’année 1964, soit deux années après l’indépendance, notre pays a exporté 600 000 qx de céréales (blé dur et orge), 240 000 tonnes d’agrumes, 26 000 tonnes de dattes et 55 000 tonnes de produits maraichers (pomme de terre, carotte et tomate). Après plus d’un demi-siècle, c’est un recul total, pire encore puisqu’on importe plus de 70% de nos besoins en céréales, l’exportation des dattes n’a connu également aucune évolution significative (on exporte actuellement 30 000 tonnes !), pour les agrumes l’Algérie a exporté 17 tonnes en 2017 !!

A qui incombe cette situation de désarroi ? On peut toujours dire que le développement du secteur agricole tout entier a été victime de la rente pétrolière ! Les recettes d’exportation des hydrocarbures couvraient largement l’importation de produits alimentaires !

L’agriculture comme alternative aux hydrocarbures, oui, mais…

L’agriculture comme alternative aux hydrocarbures suppose une exportation «massive» des produits agricoles qui doit alimenter le Trésor public par des dizaines de milliards de dollars. En 2018, les recettes pétrolières ont atteint 38 milliards de dollars US.

Où on est-on de cette situation, alors qu’actuellement la valeur de l’exportation de ces produits n’est représentée que par les dattes avec 64 millions de dollars (en 2018), les autres produits ne figurent même pas dans les bilans statistiques du commerce extérieur de l’Algérie !

L’agriculture a encore un long chemin à faire pour pouvoir jouer son rôle prépondérant dans l’économie nationale.

L’exportation des produits agricoles ne peut en aucun cas, au moins à moyen terme, se rapprocher du niveau des recettes pétrolières.


*Expert consultant en agriculture et conseiller à l’export