Le ministre du Commerce reconnaît que l’ajournement de la mesure relative au paiement par chèque pour les transactions de plus de 500 000 DA “donne des signaux négatifs et peut même favoriser le secteur informel”.
“L’ampleur, prise par l’informel, reste un des principaux obstacles à la stabilité et à la transparence nécessaire à une relance économique soutenue et au développement de l’investissement productif créateur d’emploi et générateur de richesse”, a reconnu, hier, le ministre du Commerce, Mustapha Benbada, à l’ouverture du Colloque international sur l’économie informelle en Algérie organisé, à l’hôtel Hilton, par le Cercle pour l’action et la réflexion autour de l’entreprise (Care).
Le ministre va encore plus loin. Il constate que “de multiples entreprises, qui activent dans la légalité et dans le respect de la législation et de la réglementation, se trouvent fortement menacées dans leur existence par ce phénomène qui freine tout effort de croissance”.
Selon M. Benbada, si, par le passé, l’informel constituait un refuge pour une petite frange de la population sans revenu ou à la recherche de ressources financières supplémentaires pour subvenir à ses besoins, son expansion actuelle obéit, de plus en plus, à des objectifs occultes, des motivations de gains faciles, d’enrichissement illicite et d’évasion fiscale. Les résultats d’enquêtes réalisées ces dernières années par le secteur du commerce démontrent que ce phénomène affecte, à des degrés différents, plusieurs branches d’activité, notamment les services, l’industrie de transformation, l’agriculture, le commerce extérieur et la distribution tant au stade de gros que de détail. Bien qu’il soit difficile de cerner avec exactitude l’ampleur de ce phénomène, au regard de sa nature occulte et de ses pratiques frauduleuses, il n’en demeure pas moins que les actions des investigations menées par les services de contrôle ont permis la découverte, au titre des trois dernières années, des transactions commerciales sans factures pour un montant global de plus de 155 milliards de dinars. “Le phénomène pourrait constituer à terme une menace sérieuse pour l’outil national de production et risque ainsi de mettre en péril les fondements de l’économie nationale dans son ensemble”, avertit le ministre. Mustapha Benbada relève que le manque d’entreprises spécialisées dans la grande distribution et le déficit en infrastructures commerciales ont, dans une large mesure, favorisé le développement des zones d’activités commerciales souvent situées dans des sites inadaptés. “Des rues, des ruelles, des entrées d’immeubles, jardins et autres espaces publics sont quotidiennement envahis par une multitude de personnes qui s’adonnent à l’exercice d’activités commerciales dans le désordre, sans titre légal, causant toute sorte de nuisance aux riverains. Ces activités ont fini par s’incruster dans le décor ambiant de nos villes, villages, cités et quartiers, s’élargissant toujours davantage, tout en se sédentarisant au détriment de la quiétude des citoyens et des intérêts des commerçants légalement établis”, note le ministre du Commerce. Interrogé sur le recul du gouvernement concernant la mesure relative au paiement par chèque pour les transactions commerciales de plus de 500 000 DA, M. Benbada reconnaît que l’ajournement d’une telle mesure “donne des signaux négatifs et peut même favoriser le secteur informel”. Mais, a-t-il précisé, le gouvernement n’a pas abandonné la mesure. “Nous avons juste décidé, sur orientation du président de la République, de différer son application pour mieux préparer le terrain”, a-t-il rappelé, indiquant qu’il a constaté que “les opérateurs économiques n’étaient pas réticents à cette mesure, du moins les associations professionnelles légalement établies”. Des mesures ont été prises par les pouvoirs publics à l’effet de lutter contre les différentes fraudes et d’atteinte à l’économie nationale. Le ministre du Commerce rappelle que l’État a mobilisé une enveloppe de plus de 4 milliards de dinars pour la réalisation et l’aménagement des espaces commerciaux de proximité, dont la concrétisation devrait aboutir à l’insertion “des intervenants informels” dans le tissu commercial légal. Le gouvernement a adopté, également, un plan complémentaire de réalisation de marchés couverts et de proximité avec un financement de 10 milliards de dinars sur le quinquennat en cours. L’État a décidé d’exonérer les commerçants nouvellement installés dans les sites aménagés de l’impôt forfaitaire unique pour les deux premières années d’activité. À l’issue de cette période, ils bénéficient également d’un abattement sur une période de 3 ans, 70% la première année, 50% la deuxième et 25% pour la troisième et dernière année. L’économiste péruvien, Hernando de Soto, réputé mondialement pour ses travaux sur l’intégration de l’informel dans les pays en développement, évoque d’autres pistes, soulignant l’importance du droit comme régulateur essentiel de l’activité économique. “Ce qui est en jeu avec l’informel, c’est le droit”, assène Hernando de Soto, expliquant que “plusieurs petits systèmes de droit, c’est l’anarchie”. L’informel est un secteur qui produit son propre droit. Le droit officiel est divorcé de la réalité. L’argumentation d’Hernando de Soto repose sur l’idée que les agents économiques qui agissent dans l’informel sont contraints à le faire par l’État, à travers l’effet pervers de son intervention administrative et fiscale. Selon lui, les “informels” sont contraints à se réfugier dans l’informalité, essentiellement à cause des démarches bureaucratiques et des coûts de la formalité. La solution, suggère-t-il, est de faire en sorte que “travailler” informellement soit moins bon marché que travailler formellement. Tout un programme.
M R