Une bavure ? Une exécution? Jeudi 23 juin, Dial Mustapha, 42 ans, père de 5 enfants, manoeuvre de profession, a été tué par des militaires sur la route nationale menant de la ville d’Azazga à Yakouren, sur les hauteurs de Kabylie. Blessé par des tirs à l’intérieur d’une maison, l’homme a succombé à ses blessures quelques centaines de mètres plus loin. Pour la famille de la victime, pour les habitants de la région, Mustapha a été exécuté par des soldats de l’armée. Pour le ministère de la Défense qui a ordonné une enquête, il s’agit d’une méprise. Enquête sur une mort qui provoque l’émoi.
DNA a reconstitué les faits en interrogeant plusieurs témoins.
Parmi ces témoins, il y a Khaled Benkaci, le propriétaire de la villa où se trouvait la victime au moment des faits. Il y a aussi Hakim, un voisin, qui habite à une cinquantaine de mètre de cette demeure qui a été investie par les militaires.
En outre, DNA a pu consulter une dizaine de photographies prises sur les lieux peu de temps après le passage des militaires. Les autorités militaires et civiles ont été destinataires de ces documents qui devraient être versés à l’enquête judiciaire.
Azazga, jeudi 23 juin, 13h 30. Un convoi de l’armée dont les unités sont stationnées en masse dans cette région très boisée distante d’une quarantaine de 40 kms de Tizi Ouzou roule à vitesse réduite.
Le convoi remonte lentement la route pour regagner la ville de Yakouren, connue pour être un des fiefs des groupes armés affiliés à Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI).
Sur cette route donc, une bombe artisanale, enfouie prés d’un pilon électrique, explose à une centaine de mètres de l’hôpital d’Azazga.
Un militaire est tué sur le coup, plusieurs autres sont blessés. Panique générale.
Comme de coutume, la riposte s’organise. Les militaires se déploient, tentent d’organiser une riposte.
Un groupe reste sur les lieux de l’embuscade, d’autres militaires partent à la recherche de leurs assaillants. Ils investissent alors une villa située à quelques centaines de mètre des lieux de l’attentat.
Cette villa appartient à un ancienne capitaine de l’ALN, le capitaine Mohamed Benkaci, dit « Rougi », un ancien révolutionnaire de l’armée connu et très respecté dans la région.
Son fils, Khaled, sa femme, leur enfant ainsi que Mustapha Dial, le manœuvrier, s’y trouvent lorsque les détonations se font entendre.
Khaled et sa famille sont au premier étage de la villa.
Un groupe de militaires, peut-être 8 ou 10 selon le témoignage que Khaled a livré à DNA, fait irruption dans la villa.
Ils tirent dans toutes les directions. Les meubles de la cuisine sont cassés, le frigidaire renversé et brisé, le salon détruit, le téléviseur cassé.
Mustapha Dial, le manouvrier, se trouve lui au premier étage. Il est blessé aux pieds par les tirs des militaires. De grosses flaques de sang se forment sur le carrelage.
Un autre groupe de militaires monte au premier étage où se trouvent Khaled et sa famille.
L’étage est fouillé de fonds en comble. L’armoire et les tiroirs sont renversés. La chambre du couple est sens dessus-dessous. La femme de Khaled supplie les militaires d’épargner la vie de son mari. Celui-ci est amené en bas de la villa.
Pendant ce temps, Mustapha Dial, grièvement blessé, est trainé par des militaires à l’extérieur de la résidence.
Hakim, 36 ans, transporteur, voisin de Khaled, est présent sur les lieux. Il se trouve à une cinquantaine de mètres de la scène. Il raconte à DNA.
« J’ai entendu le bruit d’une bombe, je suis sorti de chez moi. J’ai vu des militaires courir dans tous les sens. Ils tirent des rafales dans toutes les directions. Partout, des cris, des tirs. J’ai vu trois ou quatre militaires sortir de la maison de mon voisin en trainant un homme blessé. »
Cet homme, c’est Mustapha Dial.
A-t-il été trainé vers la route avant d’être achevé froidement par les militaires sur la route ? Les militaires l’ont-ils laissé vivant, gisant dans sa marre de sang, avant de quitter les lieux ? A-t-il quitté villa, blessé, de son propre chef, pour regagner la route avant d’y laisser sa vie ?
A ce stade des faits, une chose parait certaine : le manoeuvre a été blessé à l’intérieur de la villa de la famille Benkaci, les traces de sang faisant foi.
De ce qui s’est passé ensuite, les témoignages divergent. Le ministère de la Défense nationale parle d’une méprise. Les témoins évoquent une exécution sommaire.
Selon plusieurs témoignages recueillis par DNA, Mustapha Dial n’est pas sorti seul de la maison des Benkaci. Il a été plutôt trainé vivant vers la route nationale menant d’Azazga vers Yakournen, avant d’être achevé d’une ou de plusieurs balles.
Hakim, le voisin des Benkaci, raconte encore : « J’ai vu le corps de la victime qui gisait par terre. Il a du recevoir plusieurs balles au thorax. Son visage est tuméfié. Les militaires l’on roué de coups avant de l’achever. Des commerçants qui ont assisté à la scène se sont portés volontaires pour témoigner de cette exécution. »
Selon nos informations, ces commerçants ainsi que ces riverains se sont portés volontaires pour faire des dépositions devant la justice.
Le corps de la victime est resté pendant plus d’une demi-heure avant d’être évacué pour l’autopsie.
Hakim raconte un autre fait troublant qui accréditerait la thèse d’une exécution.
« Dans les poches de la victime, des militaires disent qu’ils ont trouvé des balles. Un officier habillé en civil est venu me voir pour me dire : ‘Nous allons l’accuser d’être un terroriste. Nous avons trouvé des balles dans les poches de ses vêtements.’ J’ai dit à cet officier que ce n’est pas possible. Nous connaissons tous la victime. C’est un pauvre père de famille qui n’a rien à voir avec le terrorisme. Il travaille dur pour faire vivre ses enfants. De plus, son employeur, le fils du capitaine Rougi, est connu dans toute la région. C’est un commerçant intègre. Un fils de bonne famille. D’ailleurs, le bar que gère la famille Benkaci a fait récemment l’objet d’une attaque terroriste. C’est une accusation fallacieuse. Pour dissimuler leur forfait, les militaires veulent faire passer la victime et son employeur pour des terroristes. C’est une histoire qui ne tient pas debout… »
Une histoire qui ne tient pas de bout…
C’est que dans cette affaire où un homme, un père de famille, a perdu la vie, chacun tient son bout de vérité.
Pour la famille de la victime, pour le propriétaire de la villa investie par les militaires, pour le voisin, les commerçants et les riverains, pour les élus de la région, les habitants d’Azazga, la mort de Mustapha Dial relève d’une exécution pure et simple. Doublé d’une expédition punitive.
Pour le ministère de la Défense, il s’agit plutôt d’une méprise. Une enquête est en cours.
Samedi 25 juin. Mustapha Dial a été enterré dans son village Oumaden. Les autorités s’y sont précipités pour promettre à la femme du défunt un toit et une pension.
Sa famille attend aujourd’hui une vraie enquête sur ce qui s’est passé ce jeudi 23 juin sur une route d’Azazga.
Photos DNA : Les photos montrent le domicile de la famille Benkaci peu de temps après le passage des militaires jeudi 23 juin. Sur la photo de Une, on peut voir les traces de sang de la victime.