Examen-adoption par l’APN de la nouvelle loi sur les associations,Printemps arabe et… hiver algérien

Examen-adoption par l’APN de la nouvelle loi sur les associations,Printemps arabe et… hiver algérien
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Par Mhand Kasmi

L’hémicycle de l’APN du boulevard Zirout-Youcef connaîtra à n’en point douter ce mardi 13 décembre 2011 une ambiance «historique» des grands jours à l’occasion de l’examen-adoption du dernier projet de loi entrant dans le cadre de la batterie de textes législatifs encadrant les réformes initiées par le discours à la nation du premier magistrat du pays, le 15 avril dernier : la nouvelle loi sur les associations. Une occasion inespérée, unique dirions-nous, pour l’ex-parti unique, le FLN, tout au moins sa partie «non redresseuse», de savourer une juste revanche sur le sort : sacrifier rituellement et enterrer au plus profond des voûtes souterraines de l’amphithéâtre de l’APN, converti pour l’occasion en arène, toutes les conquêtes démocratiques du peuple algérien obtenues de haute lutte après octobre 88, point de départ d’un processus politique qui s’est fait en dehors de lui et le plus souvent contre lui.

Le maître de cérémonies, le Professeur Ziari, qui vient de se fendre d’une virulente opération de défense de son appartenance partisane FLN, peut pavoiser publiquement en troquant la régalienne et solennelle toque républicaine de troisième personnage constitutionnel de l’Etat, censée frémir au moindre frisson émancipateur de la nation, contre le couvre-chef réducteur de chef d’orchestre des manœuvres de coulisses de la dernière poignée de députés mal élus, dont la seule véritable motivation en cette fin de législature se résume à une unique et angoissante question existentielle : «Comment négocier le statut d’ex-futur député ?» Et si l’ultime tâche de Ziari «chargé de mission» au cours de cette législature devait être celle d’un simple torero convertissant la dextérité manuelle du coup de scalpel du médecin d’hier en coup de grâce liberticide asséné en plein cœur à la nation aujourd’hui, ce sera tant pis pour la médecine qui perdra là et définitivement l’un de ses plus doués chevaliers servants. La fin de la curée sera signée d’un retentissant «mission accomplie, chef !» prononcé solennellement à l’issue du vote par une minorité-majoritaire de députés FLNRND tout heureux de retrouver leur solidarité agissante de frères ennemis ! A quel prix ? Raconter l’épopée du mouvement associatif en cette veille d’exécution capitale, c’est faire l’éloge funèbre d’une liberté tout autant capitale qu’on s’apprête à immoler sur l’autel de réformes dressé — comble de l’ironie — au moment où la nation se prépare à honorer symboliquement le rite de passage à l’année 2012 qui verra la célébration d’un demi-siècle de liberté. Une liberté, qui deviendra demain, après la promulgation des lois des «réformes» version «printemps arabe», plus que jamais surveillée. La tradition associative que les tenants du mouvement de re-étatisation et du verrouillage «rampant» du champ politique et social algérien s’apprêtent à parachever à travers le vote du dernier instrument législatif devant en codifier l’expression constitue l’une des libertés fondamentales qui est consubstantielle au combat du peuple algérien pour sa liberté. Le recours par les «Algériens musulmans» qu’étaient nos parents et grands-parents au mécanisme juridique moderne de l’association pour exprimer leurs différences d’abord culturelles, puis de plus en plus politiques face au colonisateur, date en réalité du début du siècle dernier. C’est en effet en1904 que l’application de la loi française sur les associations a été étendue en Algérie, bien que des associations aient déjà été créées dès 1902 comme la Rachidia à Alger. Un premier tournant se caractérisant par l’éclosion de nouvelles associations et une politisation de plus en plus perceptible de leur action est enregistré au lendemain de la célébration arrogante et fastueuse par la grosse colonisation du centenaire de la colonisation. Il se traduit par un maillage du territoire national à travers la prolifération de nombreuses sociétés sportives, nawadi, groupements professionnels. A partir des années 1940, on assiste à la structuration du mouvement de la jeunesse dans les associations notamment les Scouts. Analysant le mouvement associatif algérien pendant la colonisation, René Galissot écrit : «L’association charrie de la modernité de part sa nature et fonctionne aussi comme une contre-société en opposition à la colonisation. » Au lendemain de l’indépendance, la compréhension du fait associatif dans notre pays renvoie invariablement à la nature du système politique jacobin mis en place, ainsi qu’au sens de l’évolution des rapports qu’entretiennent l’Etat et ses institutions avec la société. Dans le domaine des libertés publiques, dont le mouvement associatif constitue l’une des composantes essentielles, ces rapports ont connu depuis l’indépendance du pays deux grandes périodes : 1962-1988 : rapports d’hégémonie de la puissance étatique renvoyant à l’organisation de l’Etat selon les principes de l’idéologie socialiste développée dans les textes fondamentaux ; 1989-2010 : rapports s’inscrivant dans le cadre de la mise en œuvre de lois libérales dans un contexte de détérioration constante de la relation de l’Etat avec la société. Depuis l’indépendance et jusqu’en 1989, le processus de restructuration de la société algérienne a été, comme chacun le sait, fortement marqué par l’installation d’un pouvoir centralisateur omniprésent dans tous les secteurs d’activité de la société. Les pouvoirs politiques qui se sont succédé depuis se sont voulus les agents principaux, sinon exclusifs des transformations économiques et sociales au double plan tant de leur conception que de leur réalisation.

L’hégémonie de la puissance étatique sur les institutions, sa conception globalisante de l’ordre social, ainsi que les a priori défavorables envers le mouvement associatif ont empêché toute tentative d’autonomisation de ce mouvement. Dans ce contexte, l’Etat s’est toujours référé et appuyé sur les formes de structuration — entendre instrumentalisation — qu’il fondait à sa guise et de manière dirigiste (organisations de masse, unions professionnelles, etc.) pour en faire ses soutiens inconditionnels et les diffuseurs privilégiés de son idéologie sous la direction du parti unique. Les instruments de diffusion idéologique et l’arsenal juridique fortement contraignant (l’ordonnance n°71/79 du 3 décembre 1971 puis plus tard la loi 87-15 du 21 juillet 1987 comportaient des restrictions défavorables à toute vie associative libre) ont conduit à la constitution d’une vie associative indigente et appauvrie à dessein. En ce sens, l’Etat s’est en quelque sorte retrouvé érigé en élément constitutif incontournable de l’espace associatif. C’est ce qui fait écrire à l’observateur averti qu’est René Galissot : «L’autonomisation d’une action associative devient suspecte et se trouve somme toute illégale sinon interdite hors de l’encadrement établi. L’objectif de l’Etat est somme toute d’interdire que le mouvement associatif se reconstitue en contre-société et reprenne une fonction de contestation de l’ordre étatique… » A partir de 1988 et à la faveur de l’ouverture démocratique programmée au forceps et tambour battant, de nombreuses restrictions vont être levées par la loi 90-31 du 4 décembre 1990 relative aux associations. Cette loi peut en effet être considérée comme fondatrice d’un mouvement associatif libéré pour la première fois des contraintes politico-administratives et des ingérences des ramifications locales de la lourde machine administrative qui en assure la gestion. Inscrite en bonne place dans la Constitution à orientation franchement libérale promulguée en 1989, la liberté d’association conjuguée à la conquête d’autres libertés publiques telles que la liberté de réunion et de presse ont en effet été à l’origine d’une euphorie citoyenne et d’un engouement rarement égalé pour la création d’associations.

C’est la mise en œuvre de cette loi qui a permis un développement sans précédent dans l’histoire de l’Algérie post-indépendante de ce qui est communément qualifié de «mouvement associatif ». De 11 000 associations environ recensées au moment de la promulgation de la loi 87-15 du 21 juillet 1987 principalement sportives, religieuses et de parents d’élèves, leur nombre est passé, selon une estimation du Conseil national économique et social datant de 2002, à 66 231 !… En 2004, le nombre des associations est officiellement estimé par le ministre de l’Intérieur à 73 000 !… Des espaces nouveaux sont ainsi investis pour la première fois : social, culturel, religieux, droit des femmes, droits de l’homme, mouvement berbère, professionnel, environnement, en plus des catégories traditionnelles : sportives religieuses et parents d’élèves de tout temps importantes et tolérées… Toutes les catégories sociales sont pour une fois interpellées. Mais cette «explosion» du fait associatif fut très rapidement «rattrapée» par la tare congénitale dont était porteur le contexte de «démocratie débridée» qui en avait permis l’éclosion, un contexte de crise aiguë aux niveaux économique, social et politique. Passée les moments d’euphorie, le mouvement associatif a vite connu un désenchantement laissant place aux lectures les plus restrictives et surtout à l’application de plus en plus bureaucratique de l’esprit de cette loi qui a ainsi été vidée de tout son contenu «d’ouverture». C’est ainsi que, selon le ministre de l’Intérieur (déclaration devant les députés de l’APN en 2004), sur les 73 000 associations recensées en 2004, seules 5 000 activaient régulièrement ! Peut-on continuer de considérer aujourd’hui un tel mouvement, qui subit de plein fouet la crise aiguë que vivent aujourd’hui les espaces d’intermédiation entre l’Etat et les citoyens, comme un lieu privilégié et un cadre organisé d’apprentissage de la culture démocratique d’où peut émerger progressivement une société civile, capable de s’imposer en jouant un rôle de médiateur et relais entre les attentes nombreuses et diverses de la population et les pouvoirs publics ? La réponse est bien évidemment et franchement oui, si l’Etat finit de se convaincre de la fin historique du «tout- Etat» et des pratiques hégémoniques populistes et stérilisantes attentatoires à la vitalité démocratique qu’il continue d’affectionner et si les citoyens de leur côté se débarrassent de la posture d’assistés perpétuels qui génèrent des demandes surdimensionnées qui brouillent et encombrent lesdits espaces d’intermédiation. Pour ce faire, beaucoup d’entraves se devaient d’être levées pour ne pas voir une fois de plus les bourgeonnements constatés dans le mouvement associatif se briser sur les aspérités abruptes que dessinent un arsenal juridique à dessein flou, incomplet ou ces dernières années à relent bureaucratique, voire coercitif difficilement dissimulé. En effet, les nouveaux espaces que le dynamisme relatif du mouvement associatif a pu développer (investissement de nouveaux espaces d’utilité publique comme l’environnement, le développement durable, la protection du patrimoine, la professionnalisation de l’encadrement des associations) se devaient d’être consolidés, élargis et approfondis. Ce ne semble malheureusement pas être l’option qu’a choisie le législateur algérien et surtout pas celle des députés de la Chambre basse qui s’apprêtent à assécher et dévitaliser l’arsenal législatif algérien de tout le souffle d’ouverture que lui ont insufflé les réformes du gouvernement Hamrouche il y a plus de vingt ans, au nom de nouvelles réformes imposées par un printemps arabe qui tarde à fleurir en Algérie. Pourtant, le simple approfondissement et enrichissement du cadre législatif existant aurait constitué le meilleur des cadeaux à offrir au peuple algérien si jaloux de toutes ses libertés en cette veille de célébration du cinquantième anniversaire d’une indépendance chèrement recouvrée.

M. K.