Ex-Premier ministre, argentier du pays, grands chefs d’entreprise et anciens hauts gradés de l’ANP devant les juges : Emballement judiciaire et association de non-dits

Ex-Premier ministre, argentier du pays, grands chefs d’entreprise et anciens hauts gradés de l’ANP devant les juges : Emballement judiciaire et association de non-dits

NAZIM BRAHIMI

L’appareil judiciaire s’est emballé avec la convocation ou l’arrestation de personnalités publiques, issues du monde politique, économique et militaire, dont certaines sont toujours en exercice, alors que d’autres ne le sont plus. Issad Rebrab, les frères Kouninef, Ahmed Ouyahia, Mohamed Loukal, Saïd Bey et Habib Chentouf sont tous poursuivis.

Cet emballement reste, cependant, accompagné de zones d’ombre et de non-dits, compte tenu de la renommée des personnes ciblées et de leur poids dans leurs champs d’exercice respectifs. Ces non-dits ne sont pas sans ajouter de la confusion à une situation politique nationale déjà dominée par l’interrogation sur fond de suspicions. La justice est manifestement mise à rude épreuve. Tout a commencé en début de semaine, quand l’ancien Premier ministre Ahmed Ouyahia et le ministre des Finances en poste, Mohamed Loukal, ont été annoncés comme convoqués au Tribunal de Sidi M’hamed (Alger) pour la journée de dimanche. Faite par la Télévision publique et relayée par l’Agence officielle, l’annonce n’avait laissé personne indifférent et les interprétations allaient bon train entre la satisfaction des uns et les appréhensions des autres. Si certains parlaient d’une avancée que venait d’enregistrer la Justice algérienne, d’autres ne se faisaient point d’illusion, concluant plutôt à une campagne de « chasse aux sorcières ».

Attendus au Tribunal dimanche, MM. Ouyahia et Loukal étaient aux abonnés absents, ce qui a suscité des interrogations multiples sur une double convocation qui continue de défrayer la chronique avec un second rebondissement annonçant la réception par Ouyahia et Loukal de leurs convocations émanant de la justice. En effet, l’ENTV livre à ce propos l’information selon laquelle les deux convocations ont été remises aux concernés, hier (lundi), par la Gendarmerie nationale. En outre, Djamel Ould Abbès, autre figure de la scène politique nationale et actuel sénateur au titre du tiers présidentiel, pourrait, lui, perdre son immunité parlementaire. Dans le même sillage, il est fait état de l’arrestation par la Gendarmerie nationale des quatre frères Kouninef, qui seraient dans le viseur de la justice.

La télévision publique précise que les frères Kouninef, (Réda, Abdelkader, Karim et Tarek) « sont soupçonnés d’avoir failli à leurs obligations contractuelles dans des marchés publics qu’ils auraient obtenus illégalement ». Les évènements ont pris par la suite une autre tournure avec l’annonce de l’arrestation par la gendarmerie du patron du groupe Cevital, Issad Rebrab. Une annonce à laquelle a vite réagi le premier concerné. « Dans le cadre des blocages de notre projet «Evcon», je me suis présenté de nouveau ce matin à la brigade de gendarmerie de Bab Jdid. Nous poursuivrons l’étude de l’affaire de nos équipements retenus au port d’Alger depuis juin 2018 », avait-on indiqué sur le compte Twitter officiel du P-DG de Cevital.

Le démenti ne sera pas, cependant, d’une longue utilité puisque M. Rebrab a été présenté au Tribunal de Sidi M’hamed, où il a comparu devant le Procureur de la République dans une enquête anti-corruption. L’homme d’affaires devra répondre des chefs d’accusation de « fausse déclaration relative aux transferts illicites de capitaux de et vers l’étranger, surfacturation d’équipements importés et importation de matériels d’occasion alors qu’il avait bénéficié d’avantages douaniers, fiscaux et bancaires ». Avant Rebrab et Kouninef, le monde de l’entreprise et des affaires a été éclaboussé, au début du mois, par l’arrestation de l’ancien président du Forum des chefs d’entreprise (FCE) Ali Haddad, alors qu’il se dirigeait vers la Tunisie.

Haddad, patron du groupe ETRHB, a été par la suite écroué à la prison d’El Harrach. La vague d’arrestations n’a pas également épargné des anciens grands officiers de l’Armée nationale populaire (ANP) puisque deux ex-commandants de région militaire sont poursuivis depuis dimanche. Il s’agit, en effet, d’un mandat de dépôt délivré par la Cour d’appel militaire de Blida contre Bey Saïd, l’ancien commandant de la 2e RM, et d’un mandat d’arrêt contre l’ancien commandant de la 1re RM, Chentouf Habib. Les deux hauts gradés de l’ANP sont poursuivis pour « dissipation et recel d’armes et de munitions de guerre et infraction aux consignes de l’Armée », a précisé la Cour d’appel militaire de Blida.

Au final, cette campagne pose bien des questionnements sur ses motivations et ses conséquences directes, notamment dans une conjoncture particulière que vit le pays, marqué par une crise politique et institutionnelle dont les facteurs de solution tardent à être réunis.