Ex-militaires victimes du terrorisme : « La nation nous a oublié, l’Etat nous a abandonné…»

Ex-militaires victimes du terrorisme : « La nation nous a oublié, l’Etat nous a abandonné…»

Dimanche, 19 décembre. Intérieur Sénat. Le Premier ministre Ahmed Ouyahia tonne : « Oui, le terrorisme a été défait sur le terrain grâce à l’engagement exemplaire de l’Armée nationale populaire, des forces de sécurité de la République et des citoyens volontaires ». Dimanche, 19 décembre. Extérieur Sénat. Ancien militaire mutilé au cours d’une opération anti-terroriste dans les années 1990, Nabil parle : « Nous sommes les oubliés de la Nation. L’Etat nous a abandonné ».

Le Premier ministre Ahmed Ouyahia est venu devant les membres du conseil de la Nation pour présenter son programme de politique générale, Nabil et ses camarades d’infortune, ex-militaires mutilés durant la lutte anti-terroriste, eux se sont présentés devant les portes du Sénat pour présenter leurs doléances. Meurtris dans leur chair, hantés par les traumatises de la guerre, démunis, abandonnés par l’Etat, ils sont venus protester contre leurs conditions de vie. Comme d’habitude, les autorités ayant décidé que les manifestations publiques ne sont pas tolérées, le rassemblement est interdit. Certains ex-soldats ont été passés à tabac, d’autres embarqué au commissariat de la ville.

Intérieur Sénat. Le Premier ministre déroule son discours, celui-même qu’il avait prononcé, à quelques nuances près, devant les députés de l’Assemblée en octobre dernier. Il parle : « Oui, le terrorisme a été défait sur le terrain grâce à l’engagement exemplaire de l’Armée nationale populaire, des forces de sécurité de la République et des citoyens volontaires ». Il parle encore : « Le Gouvernement réaffirme sa solidarité et l’engagement que la République assumera toujours ses devoirs de reconnaissance et de soutien aux familles des victimes du terrorisme ».

Extérieur Sénat. Plusieurs dizaines, voire des centaines – 600 d’après un de leur délégué-, d’anciens éléments contractuels de l’Armée nationale populaire (ANP), mutilés dans la lutte antiterroriste, manifestent pour réclamer leurs droits. Autour d’eux, un impressionnant dispostif de sécurité est déployé pour les dissuader. Moncef, ancien soldat qui vit désormais avec une prothèse au pied, celui-ci ayant été arraché au cours d’une opération contre un groupe terroriste, parle : « Nous sommes venus devant les élus de la peuple, non pour revendiquer une quelconque faveur, mais pour exiger la concrétisation sur le terrain de nos droits, pourtant reconnus et écrits noir sur blanc sur des documents officiels de l’Etat ». Plusieurs de ses camarades, tous portant des séquelles graves de blessures contractées durant leur lutte héroïque contre l’hydre terroriste, approuvent.

Ces derniers, dont un représentant a été reçu la matinée par l’un des vice-présidents du Conseil de la nation et insatisfaits des explications fournies, décident d’improviser une marche ou d’occuper la rue. Mal leur en pris : Leur action est stoppée sans ménagement par l’impressionnant dispositif policier déployé sur place. Certains sont violemment malmenés devant des passants et des journalistes incrédules.

Intérieur Sénat. Le Premier ministre continue de dérouler son discours. Ahmed Ouyahia parle du terrorisme qui a été vaincu, de la politique de réconciliation nationale « approuvée par le peuple », de la consolidation de l’Etat de droit, du renforcement et de la protection des droits et des libertés des citoyens…

Extérieur Sénat. Le dispositif de sécurité repousse les manifestants sur les trottoirs du Boulevard Zighout Youcef. Moncef est embarqué par la police et emmené au célèbre commissariat Cavaignac avant d’être relâché au bout d’une heure. « Je n’ai signé ni PV ni aucun autre document. Ils ont pris mon identité et m’ont relâché. »

Nabil est venu d’Annaba pour manifester son désarroi. « Nous sommes les oubliés de la Nation», se plaint-il. Nabil rappelle que des actions similaires et pour les mêmes revendications ont été menées devant le ministère de la défense en octobre 2009 et en janvier 2010 et devant l’Assemblée populaire nationale (APN) en septembre dernier.

Un courrier a également été adressé au président de la République, Abdelaziz Bouteflika. En vain. Leurs doléances se sont perdues dans les méandres de l’administration. « Jusqu’à présent, aucun officiel n’a daigné nous répondre, raconte Nabil. Nous avons pourtant eu des garanties que toutes nos doléances allaient être prises en charge. »

Moncef appuie : « On nous admettant à la retraite après notre inaptitude totale, ils nous ont promis des logements sociaux ainsi que d’autres facilités et avantages. Or, hormis le droit à la retraite et une indemnité pour l’invalidité qui varie selon le degré d’infirmité ne dépassant pas les 2 800 DA pour les invalides à 100%, aucune de nos revendications n’est prise en charge depuis 2003 ». Depuis sept ans. Sept ans à ferrailler contre l’oubli, l’indifférence et le mépris.

Ces handicapés à vie, qui ont perdu un bras ou une jambe, un œil ou les deux ou même leur appareil génital, réduits à porter des couches jusqu’à la fin de leurs jours, ne demandent pourtant pas la lune.

Ils sollicitent notamment la revalorisation de leur indemnité d’invalidité et la revalorisation de leur retraite militaire. Ils demandent également l’application de la décision 913 du 3 avril 1999 relative au taux d’invalidité des victimes du terrorisme, et celle du décret présidentiel de 2006, relatif à l’indemnisation des victimes de la tragédie nationale. Ils revendiquent en outre la révision des taux de leur incapacité physique, le maintien des indemnités d’invalidité et des retraites des victimes décédés à leurs familles et ayants droit. Ils demandent enfin la mise en place de services spécifiques au niveau des hôpitaux militaires pour cette catégorie de blessés ainsi qu’une « Médaille du blessé ».

Intérieur Sénat. Le Premier ministre finit de prononcer son discours. Les Sénateurs applaudissent. Certains ministres se présentent devant les journalistes pour quelques déclarations en aparté. Le Premier ministre s’engouffre dans sa limousine et quitte le Conseil de la Nation.

Extérieur Sénat. Les anciens soldats de la République sont encore là sur les trottoirs, d’autres sont repartis chez eux en emportant leurs pancartes, leurs béquilles ou leurs prothèses. Moncef parle encore une dernière fois. « Est-ce trop demander que d’exiger leurs droits à vivre dans la dignité ? Je ne le pense pas. Aux heures difficiles, nous avions bien répondu présents et sans nous poser trop de questions à l’appel de notre pays pour combattre le terrorisme ».