Le mois de Ramadhan a été de tout marqué par des soirées animées par des maîtres de la chanson chaâbi, parmi ceux qui ne cessent d’être à l’écoute des générations entières, on ne peut omettre de citer Dahmane El Harrachi, qui a marqué le chaâbi par sa voix, ces textes mais surtout sa morale.
Bâtie autour du chaâbi, genre populaire de La Casbah d’Alger. La musique de Dahmane EL Harachi a gardé certaines lignes mélodiques pour les notes et une nette propension aux proverbes et aux dictons puisés dans la tradition poétique orale quant aux mots. Le chaâbi tel qu’il a été «institué» par El-Anka regorge d’allégories émises en semi-dialectal et de citations pompées dans le «melhoun», celui de Dahmane use d’un parler simple de tous les jours, compréhensible par l’ensemble de la communauté maghrébine. Ce qui explique, en partie, son large succès.
Né le 7 juillet 1925 à El Biar, Dahmane El Harrachi, de son vrai nom Amrani, a grandi à EI-Harrach (ex-Maison Carrée), dans la banlieue algérienne. Son père, Cheikh EI-Amrani, était le muezzin de la Grande Mosquée de la capitale algérienne et il a élevé son fils dans le respect des principes musulmans, complétés par ceux dispensés par l’école coranique et l’école primaire qu’il suivra Jusqu’à l’obtention du certificat d’études, diplôme à l’époque comme un excellent sauf-conduit pour le marché de l’emploi. Le jeune homme s’essaiera plutôt à l’exercice de métiers divers dont la cordonnerie et pendant sept ans, le boulot de receveur de tramway sur la ligne EI-Harrach-Bab et Oued. C’est au cours de cette période qu’il entame quelques prometteurs débuts musicaux, intégrant une troupe d’amateurs et donnant des concerts un peu partout en Algérie. En 1949, il se rend en France et s’installe d’abord à Lille, puis à Marseille et enfin à Paris qu’il ne quittera pratiquement plus. C’est dans les cafés, embués par les vapeurs éthyliques de la nostalgie qu’il se produit régulièrement. Dans ces endroits-tremplins, où l’on vient humer l’air du « pays », Dahmane, qui est un impressionnant instrumentiste (il était un virtuose du banjo), chante de sa voix rocailleuse, modulée par l’alcool et le tabac, les classiques du chaâbi et surprend par son interprétation hors des sentiers battus.
Élégant, bonne gueule d’atmosphère et buveur, le bluesman des faubourgs séduit, bouleverse et remue les consciences. Surnommé « Aznavour » dans le milieu artistique alors qu’il est à comparer aux chantres du bleu à l’âme du delta du Mississipi. Dahmane s’imposera définitivement par ses propres compositions hantées par la silhouette d’Alger la Blanche, les visions de femmes possédant la grâce d’une perdrix et la finesse d’une colombe ou l’effroi suscité par «la plus haute de solitudes», du au déracinement.
A travers ses chansons composées dans les années 50. Dahmane El Harrachi incarnait la modernité au sens baudelairien du terme, c’est-à-dire non pas «le triomphe du nouveau, la glorification du progrès ou la suprématie des avant-gardes » mais le besoin de retrouver «la morale et l’esthétique du temps. » Le parcours artistique d’EI-Harrachi porte la marque de son vécu et traduit toutes les déclinaisons de l’Immigritude. Observateur attentif et vigilant du milieu de ces travailleurs appelés à «construire des maisons qu’ils n’habiteront jamais» ou des autoroutes qu’ils n’emprunteront pas. Dahmane (diminutif d’Abderrahmane) a toujours évité de tomber dans le misérabilisme alors ambiant. Ce que contredisait un peu sa vie dissolue, mais il disait des choses à la fois vraies et belles car c’était un pessimiste gai. Découvert sur le tard par la nouvelle génération. EI-Harrachi a eu droit à sa première scène digne lors du Festival de la musique maghrébine qu’il s’est tenu à la fin des années 70 à la Villette. En Algérie, terre qu’il n’a jamais cessé d’évoquer à sa façon joliment imagée, il fera deux apparitions avant de connaître une fin tragique, le 31 août 1980. Dans un accident de voiture sur la corniche algéroise qu’il sublimait par-dessus tout.
De Dahmane il nous reste un vaste répertoire et un documentaire réalisé par Hadi Rahim pour la Télévision algérienne intitulé : « Saha Dahmane » relevant toute la truculence du personnage. Récemment, Rachid Taha lui a rendu hommage en reprenant un de ses titres majeurs: Ya Rayah « Candidat à l’exil. Tu auras beau voyager où tu veux un jour tu reviendras. » En un chant sobre comme de coutume, Dahmane a su résumer le cours d’une destinée. La sienne.
Par : Kahina Hammoudi