Si les acquis d’Octobre 88 ont survécu à la déferlante de la violence terroriste durant la décennie noire, ils seront graduellement remis en cause, voire enterrés, depuis notamment l’arrivée d’Abdelaziz Bouteflika au pouvoir en 1999.
Trente ans se sont écoulés depuis les événements du 5 Octobre 1988. Violemment réprimé par pouvoir de l’époque, incarné par le parti unique (FLN) et l’armée, le soulèvement populaire d’Octobre 88, essentiellement mené par les jeunes, n’avait pas été vain. Au contraire, il aura été salutaire pour le pays, en ce sens qu’il l’avait libéré du joug du parti unique et donné lieu à des changements significatifs aussi bien au plan politique, qu’économique et social. Après ces événements douloureux, des réformes profondes seront engagées, avec l’arrivée de Mouloud Hamrouche à la tête gouvernement, sous, toujours, l’ère du président Chadli Bendjedid. Ces réformes ont porté essentiellement sur l’ouverture politique, syndicale et médiatique. Elles ont permis de poser les premiers jalons d’une Algérie démocratique. La révision constitutionnelle de 1989 avait ainsi permis l’avènement du multipartisme politique, du pluralisme syndical, l’ouverture médiatique, l’instauration des élections libres, mais aussi la promotion des libertés collectives et individuelles. Les Algériens avaient alors, réellement, cru à la naissance d’une véritable république démocratique, à telle enseigne que les problèmes de crise économique furent relégués au second plan. La période du gouvernement Hamrouche, entre 1989 et 1991, a été, en effet, une véritable bouffée d’oxygène pour le pays. Mais qu’en est-il trente ans après le
5 Octobre 88 ? Que reste-t-il des acquis arrachés de haute lutte par le peuple ? Si les acquis d’Octobre 88 ont survécu à la déferlante de la violence terroriste durant la décennie noire, ils seront graduellement remis en cause, voire enterrés, depuis notamment l’arrivée d’Abdelaziz Bouteflika au pouvoir en 1999. Les premières restrictions commenceront notamment en 2001 avec l’interdiction des marches dans la capitale, décrétée le 18 juin de la même année, soit quatre jours après la marche violemment réprimée du mouvement des “arouchs”, dans le sillage du “printemps noir” de la Kabylie, un soulèvement également réprimé dans le sang. La restriction des libertés ira crescendo. Les partis politiques, les syndicats et les médias n’échapperont pas aux tentations liberticides du pouvoir. En effet, en dehors des partis de la clientèle, ceux de l’opposition sont constamment confrontés aux interdictions. Les libertés politiques sont confisquées. Les élections, comme les processus électoraux, sont contrôlées par le régime qui se donne, à travers la fraude, les assemblées qu’il veut. L’alternance au pouvoir, un principe cardinal de la démocratie, est supprimée par Bouteflika pour pouvoir pérenniser son règne. Le retour à la limitation des mandats présidentiels ne change rien à la situation de déni démocratique, puisque le chef de l’État ne veut toujours pas lâcher le fauteuil, malgré son état de santé qui ne lui permet plus de gouverner. Outre la trituration de la Constitution à sa convenance, le pouvoir a resserré l’étau sur, également, les activités associatives et syndicales, à travers le vote de lois très sévères et limitatives des libertés. La majorité des organisations les plus représentatives éprouve les pires difficultés à s’émanciper. La presse indépendante est constamment sous la pression des sociétés étatiques d’impression mais elle est aussi et surtout souvent privée de la manne publicitaire encore et toujours monopolisée par l’État. Ces quelques exemples illustrent parfaitement la régression politique et le détournement des acquis d’Octobre 1988. Au plan de l’investissement économique, c’est le règne de l’arbitraire. Les clientèles ont toutes les facilités, le reste des entrepreneurs endure les pires blocages. Et, pour être encore édifié sur le détournement de la révolution d’Octobre, il n’y a qu’à voir ce qui se passe actuellement au Parlement où un conflit clanique bloque une institution. Une institution censée être l’émanation de la volonté populaire mais qui se soumet à l’autorité de l’Exécutif. On en est dans l’avant-Octobre 88.
Farid Abdeladim