Alors que va s’ouvrir à Paris le procès de la banque UBS, l’évasion fiscale « à la papa » qui traversait la frontière suisse avec une valise de billets est dépassée, remplacée par des schémas plus sophistiqués. Désormais, la plupart des administrations fiscales nationales ont mis en place l’échange automatique d’informations, censé empêcher les pratiques qui valent à UBS d’être jugée pour « démarchage bancaire illégal » et « blanchiment aggravé de fraude fiscale ».
Cet échange d’informations, qui doit encore prendre de l’ampleur pour se généraliser entre tous les pays, devrait permettre à chaque Etat d’être informé sur les comptes de ses ressortissants à l’étranger. Elaboré au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pendant une dizaine d’années, dans la foulée de la crise financière de 2008, cette mesure met fin à l’évasion fiscale « à la papa », comme l’ont définie les élus communistes Alain et Eric Bocquet, auteurs du livre « Sans domicile fisc ». « L’image ancienne de l’homme d’affaires qui prenait son attaché case avec des billets et qui allait les mettre sur un compte en Suisse est effectivement révolue », a expliqué à l’AFP Manon Aubry, porte-parole de l’ONG Oxfam France.
« L’évasion fiscale est plus compliquée et plus complexe qu’avant. Paradoxalement, on a peut-être moins de gens qui en font, mais ces méthodes font perdre plus d’argent (aux Etats) », dénonce-t-elle toutefois. Un point de vue qui n’est pas partagé par Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE. – Fraude fiscale « marginalisée » « En termes d’opacité, d’échange de renseignement, on a vraiment changé les choses » avec l’échange automatique d’informations, a-t-il affirmé à l’AFP, convaincu que « la fraude fiscale, qui était auparavant au coeur du réacteur, est désormais maginalisée ». Sous la menace de se retrouver sur la liste noire des paradis fiscaux de l’OCDE, les pays se sont progressivement adaptés aux normes, à l’exception de Trinidad et Tobago, pays caribéen qui est toujours mis à l’index.
Malgré cette avancée, les scandales se sont succédé, révélés principalement par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), sur les pratiques de grands groupes et de personnalités qui cherchent à déposer leurs revenus là où ils seront moins taxés. Les « LuxLeaks » en 2014, les « Panama Papers » en 2016 et plus récemment les « Paradise Papers » en novembre 2017 ont mis en cause des personnalités et des entreprises ayant échappé au fisc grâce à des montages financiers complexes. « Si vous voulez cacher de l’argent aujourd’hui, ce n’est pas tellement des structures sophistiquées qu’il faut mettre en place, mais des structures criminelles », a commenté M. Saint-Amans. « C’est ça la nouveauté. Aujourd’hui aucune banque suisse n’accepte votre argent », a-t-il assuré, contraignant les évadés fiscaux à passer, selon lui, « du côté obscur », en se rendant coupable de délits. Pour Mme Aubry, en revanche, le problème, ce ne sont plus les particuliers, mais les groupes internationaux qui procèdent à +l’optimisation fiscale+, en clair qui réduisent leurs impôts grâce à des montages comptables sophistiqués, parfois parfaitement légaux. « Derrière les progrès affichés dans la lutte contre la fraude fiscale des particuliers, nous sommes en train de perdre complètement la bataille de l’évasion fiscale des multinationales », a-t-elle admis.
A chaque scandale, les gouvernements et institutions montent pourtant au créneau, lançant une multitude de propositions pour empêcher ces pratiques. Le commissaire européen Pierre Moscovici a publié l’an dernier une liste qui comprenait initialement 17 pays, soit beaucoup plus que celle de l’OCDE, mais sans mentionner pour autant les pays de l’Union européenne souvent pointés du doigt pour leurs régimes fiscaux avantageux, comme le Luxembourg ou les Pays-Bas. Depuis, cette liste a été réduite et ne compte plus que sept pays: Guam, la Namibie, Palaos, les Samoa, les Samoa américaines et Trinité-et-Tobago et les îles Vierges des Etats-Unis. Pour les frères Bocquet, les fraudeurs ont « toujours un temps d’avance ». « Ils vont faire attention aux nouvelles règles, mais ils vont ensuite inventer d’autres systèmes », ont-ils assuré. AFP