Au fil des années, la presse algérienne a certes évolué en quantité (plus de 340 titres sont recensés), mais pas forcément en qualité. Il devient urgent d’investir dans les bonnes pratiques du métier, la formation et une revalorisation du statut et des salaires.
En Algérie, la presse écrite n’a cessé d’évoluer quantitativement, depuis la libération du secteur à l’investissement privé en 1990, sous l’effet de l’ouverture démocratique de 1989.
Selon les chiffres officiels et actualisés, fournis par le ministère de la Communication, la presse institutionnelle comptabilise 119 titres. Les entreprises privées sont nettement plus présentes sur le marché avec près de 300 publications. 140 quotidiens, dont 122 d’informations générales, sont édités et autant de périodiques. La majorité de ces publications ont une visibilité sur le Net, qui sert aussi de support à plusieurs journaux exclusivement électroniques.
Dans le détail, 14 journaux consacrent leurs colonnes au sport. Cinq sites Web informent sur l’actualité sportive nationale et internationale et la commentent. Sept magazines sont dédiés au monde de l’automobile et plusieurs à la culture, à la femme ou au people. Il existe six publications économiques et cinq spécialisés dans les nouvelles technologies de l’information.

D’innombrables revues médicales paraissent occasionnellement (elles sont généralement distribuées gratuitement). 39 revues scientifiques sont tirées par des institutions d’enseignement supérieur ou de recherche. Globalement, l’Algérie possède environ 80 publications spécialisées et près de 140 périodiques, en sus des bulletins et revues édités par des partis politiques et des organismes divers. D’année en année, le champ médiatique suit les contours d’une courbe ascendante. Les statistiques, livrées au fur et à mesure par la tutelle en attestent.
Elle recensait, en 2008, quelques 291 publications, 193 une année plus tôt et à peine une cinquantaine à l’orée des années 1990 au moment de la libération du champ médiatique dans le sillage de l’ouverture démocratique de 1989. Cette floraison de la presse écrite dénote, au regard de certains observateurs avertis, une richesse indéniable et une avancée sûre dans le processus démocratique. “Aucune richesse ne nuit. Aussi bien celle du pétrole avec ses milliards de dollars que celle de la production éditoriale. Ce qui est inutile ou bien plutôt nuisible, c’est la manière dont on se sert de cette richesse.
Pour être au service de l’intérêt général et du bien public (service public ?), sans pour autant oublier les intérêts commerciaux et économiques, sans pour autant oublier ses tendances politiques (la fameuse ligne éditoriale), et non au service d’intérêts étroits, occultes, affairistes, régionalistes, extrémistes, dogmatiques…”, soutient l’universitaire Ahcen Djaballah.
Pour lui, il ne convient pas de se sentir libre sans jouir véritablement du pouvoir de choisir, quelque soit l’objet référé. “Je ne me sens libre que quand j’ai le choix : de choisir mes titres de presse écrite, mes radios et mes télés… De préférence toutes algériennes ! Même si c’est mal fait ou mal exprimé… Et, à ce niveau, personne n’est en droit de juger à la place du lecteur… Tout ce qui peut être fait, c’est d’établir, en toute transparence, un cadre régulé”, estime-t-il.
Le ministre de la Communication, Hamid Grine, établit, pour sa part, un constat plus sévère de la réalité de la presse écrite nationale. “Est-ce qu’ils (les journaux, ndlr) sont tous utiles ? Utiles à qui ? Utiles à quoi ? À la démocratie ? Peut-être, mais alors il faut qu’ils soient plus compétitifs et qu’ils soient de véritables entreprises de presse et non des organes dévoreurs de pub étatique, vivant d’elle, ne respirant que par elle.”
Se basant sur ses connaissances du secteur, acquises avant sa nomination au gouvernement (il a exercé le journalisme pendant de longues années et a assumé des charges de directeur de communication dans des multinationales) et la base de données collectée par les différents services de son département, il souligne qu’uniquement une vingtaine de quotidiens (sans compter les journaux sportifs qui ciblent un lectorat précis) sur les quatre centaines ont une existence effective sur le marché.
Des buralistes d’Alger-Centre, que nous avons approchés pour avoir un état sur les ventes, confirment la tendance. Ils disent qu’ils ne gardent sur les étals que les journaux qui se vendent régulièrement bien. Les autres sont renvoyés, en fin de journée aux distributeurs, sans que les paquets soient défaits. “Mes clients ont des habitudes. Ils achètent les mêmes titres, depuis des années”, raconte l’un de nos interlocuteurs.
Le langage des tirages est, dans ce sens, assez éloquent. 83 journaux arabophones impriment 1 770 000 exemplaires par jour. El-Khabar, Echourouk et Ennahar se placent en haut du peloton, loin devant les autres. Les 59 titres francophones cumulent, pour leur part, 863 000 exemplaires par jour.
Une dizaine d’organes réputés (dont en tête et dans le désordre El- Watan, Liberté, Le Soir d’Algérie et Le Quotidien d’Oran) se taillent la part du lion de ce tirage et impactent effectivement sur le lectorat. Le reste compte davantage le nombre des invendus, en dépit d’un tirage insignifiant. Les hebdomadaires généralistes et spécialisés totalisent 693 000 exemplaires par semaine.
Au-delà de l’aspect de la visibilité sur le marché, c’est la qualité du produit qui fait, aujourd’hui débat. Bien qu’à contrecoeur, il serait honnête de reconnaître que la presse nationale évolue, certes, en volume, mais pas forcément en valeur. Les entorses à l’éthique, la déontologie et les bonnes pratiques du métier sont légion. Beaucoup de journaux invertissent dans le sensationnel, sans prendre la peine de vérifier l’information ni mesurer ses effets souvent dévastateurs. Y compris dans les rédactions relativement professionnelles, les bons usages du journalisme ne sont pas systématiquement respectés.
Les éditeurs et le staff privilégient souvent les articles sources d’annonces publicitaires, ou conformes à des convictions politiques et autres intérêts personnels. Les écrits sont publiés sans que la langue soit maîtrisée ou le sujet cerné. Au fil des années, la presse écrite, née de l’euphorie de l’ouverture démocratique et développée dans la douleur du terrorisme, s’est éloignée des standards en matière de professionnalisme.
“C’est vrai, il y a, sur le plan qualitatif, des lacunes (écriture souvent bâclée en arabe ou en français, irrespect des règles de l’éthique et de la déontologie, non-transparence dans la gestion des entreprises…), mais citez-moi un secteur algérien qui n’en a pas. La presse n’est que le reflet fidèle de l’économie et de la gouvernance du pays et sa responsabilité (sociale) est aussi lourde que celle du juge, du policier ou du gendarme, de l’élu, du haut fonctionnaire…”, admet Ahcen Djaballah.
“Je dirais même plus : la presse n’est que le fruit et la résultante d’un système qui n’arrive pas à se défaire de comportements obsolètes et, hélas, déviants, mettant à mal, bien souvent, la réglementation existante. Donc, qualitativement, la presse ne se développera qu’avec le développement parallèle du système dans son entier… tout particulièrement en matière d’éducation et de morale politique et sociale”, poursuit- il, implacable. Les gens du métier assistent, par intermittence, à des dérives graves.
La parenthèse de la présidentielle du 17 avril 2014 a révélé une presse qui ne sait pas adopter une position par rapport à une joute électorale, sans invectiver, insulter, diffamer et désinformer. Ce n’était pas là un épisode isolé. Autant de dérapages ont été constatés lors de la présidentielle de 2004 et durant des conjonctures de crise. Dès lors, il serait temps de se remettre en cause et d’opérer une mise à niveau.
D’autant qu’il devient urgent de se pencher sur la situation socioprofessionnelle des journalistes, qui ne cesse de se dégrader. Les fortes augmentations salariales dont ont bénéficié les travailleurs du secteur public, ont levé le voile sur l’indigence de leurs confrères, recrutés par les entreprises privées.
Les personnels de Liberté sont parvenus, après avoir mené un dur combat, à obtenir la grille des salaires du public. El-Khabar, Le Temps d’Algérie et Le Quotidien d’Oran ont suivi, mais dans une moindre mesure. El-Watan se prépare à leur emboîter le pas. Il demeure, toutefois, une nuée de journaux qui continuent à exploiter leurs journalistes, en leur exigeant de produire jusqu’à trois articles par jour en contrepartie d’un salaire de misère. Nombreux d’entre eux n’ont même pas une couverture sociale.
Il est dit que 6 000 universitaires sont employés comme journalistes. Il est pourtant difficile de déterminer les professionnels, des pigistes, des collaborateurs et des travailleurs au noir. Le ministre de tutelle procèdera, mardi prochain, à l’installation de la commission provisoire de délivrance des cartes de presse. Cette instance permettra une décantation dans la corporation et servira de référence pour l’élection du conseil de l’éthique et de la déontologie.
Souhila Hammadi