INTERNATIONAL – Elle s’appelle Fadumo Dayib, compte une quarantaine de printemps et se présentera aux élections présidentielles de 2016 en Somalie. Dans ce pays patriarcal et clanique dévasté par les conflits internes et voisins, la jeune femme a peu de chances d’accéder au pouvoir, de par sa qualité, mais aussi parce que son programme centré sur la lutte contre la corruption et les milices armées lui attire quantité d’ennemis puissants.
De plus, « une loi vient d’être votée excluant la possibilité du suffrage universel pour ces prochaines élections », déplore la femme politique lors d’un entretien téléphonique avec le HuffPost.
Comme pour le précédent scrutin, c’est le Parlement qui choisira le président. Exit la société civile, qui représente le principal soutien de Fadumo Dayib. Elle devra faire campagne auprès des députés. Sa seule chance, s’il y en a une, c’est la création prochaine d’une nouvelle chambre haute, une sorte de Sénat, qui est prévue à l’agenda politique et qui devrait être constituée de 30% de femmes.
« Les femmes de ce pays sont suffisamment fortes pour briguer de telles fonctions, commente-t-elle, je suis en contact avec des mouvements de femmes et des jeunes qui ont envie de s’investir en politique, tout est à construire et tout le monde est prêt. Les hommes ont détruit notre pays, alors qu’ils devaient l’indépendance de 1960 aux femmes. Elles ont accepté de se taire lorsqu’il a été question de distribuer le pouvoir. Aujourd’hui, nous allons nous lever, pour nos enfants. »
« Je cherche toujours à sortir de ma zone de confort »
Fadumo tient cet optimisme de son parcours hors du commun. « Je suis née au beau milieu de l’exil de ma famille vers le Kenya. Nous étions des nomades, sans pays, sans aucune ressource. Je suis la première de mes onze frères et soeurs à avoir survécu. Puis, le Kenya nous a mis dehors à son tour. C’était la meilleure chose que ce pays puisse faire, il m’a fait réaliser que notre terre était la Somalie et aucune autre ».
L’instabilité permanente de la corne de l’Afrique et la guerre civile qui éclata en 1990 obligea sa famille à plier maigres bagages vers la Finlande. Ce pays lui a « offert une éducation », comme elle dit. Elle apprit à lire à 14 ans, sa mère à 68 ans, raconte-t-elle dans Le Monde. De retour en Somalie en 2005, elle s’est à nouveau fait évacuer vers le Kenya pour sa sécurité. L’entrée des troupes éthiopiennes a commencé quelques mois plus tard. Mais Fadumo Dayib reviendra encore et encore.
« Je ne suis pas faite pour vivre tranquillement en dehors de mon pays. Je cherche toujours à sortir de ma zone de confort, explique-t-elle au HuffPost. Pour mener campagne, elle a mis en place une levée de fonds sur Internet, une sorte decrowdfunding, où chacun donne en fonction de ses ressources ou de son engagement, et surtout où la redistribution de l’argent peut se faire en toute transparence.
« La Somalie est un pays hautement corrompu, explique Fadumo Dayib, je veux montrer à ceux qui veulent changer le pays qu’il existe des moyens d’y parvenir en-dehors des sentiers salis par les élites politiques et militaires antérieures. »
Premières mesures
Sa première mesure si elle accède au pouvoir ? « Stabiliser la région, en engageant nos propres forces militaires et policières, en les payant suffisamment pour qu’ils puissent subvenir aux besoins de leur famille et se défendre contre les tentations de la corruption. Ensuite, je tendrai la main aux milices islamistes shebabs. J’accepterai de négocier avec eux s’ils désarment, renient toute affiliation à des filières terroristes étrangères et s’engagent à ne plus tuer personne. S’ils refusent, nous leur tournerons le dos et ferons en sorte d’assécher leurs filières de recrutement en éduquant nos jeunes. Nous travaillerons aussi à la mise en place d’une sécurité sociale. Nous devons changer la structure du pays dans son entier. »
De telles ambitions nécessitent des fonds considérables. Où Fadumo Dayib espère-t-elle trouver cet argent? « La Somalie en a plein, répond celle qui ne compte pas s’octroyer de salaire si elle est élue. Chaque année, le pays reçoit 65 millions de dollars d’aides internationales, nous pouvons redistribuer cet argent différemment. »
Fadumo porte un projet idéaliste. Mais, après 46 années de guerres intestines, la Somalie est peut-être en droit de croire à sa part de rêve.
Fadumo Dayib participera le 23 février 2016 aux Débats du Monde Afrique au musée du Quai Branly à Paris sur le thème : Les femmes, l’avenir du continent africain.