Alors que le rejet de Bouteflika est de plus en plus manifeste, l’hypothèse d’une victoire de son ancien Premier ministre n’est plus si farfelue.Le « lièvre » n’est peut-être pas celui que l’on croit. Ali Benflis, principal opposant au président sortant Abdelaziz Bouteflika, au pouvoir depuis 1999, est considéré par une majorité de spécialistes et d’observateurs comme un adversaire fantoche. Mais, contre toute attente, l’homme, âgé de 69 ans, mène une campagne électorale qui bénéficie d’un large soutien parmi la population. Cette mobilisation crée une polarisation sans précédent dans la société algérienne.
Ali Benflis pourrait-il passer du statut de « candidat virtuel » à celui de « roue de secours » ? Lui-même semble désormais y croire. Face à l’équipe de campagne d’Abdelaziz Bouteflika, qui multiplie les couacs et les maladresses médiatiques, son adversaire gagne du terrain. Là où les partisans de « Boutef » sont hués et annulent les meetings les uns après les autres par crainte de troubles, les fidèles d’Ali Benflis, eux, sont acclamés aux sons des youyous. Dans les Aurès (est du pays), sa région natale, ainsi qu’en Kabylie, à l’est d’Alger – région berbère qui, dans l’histoire algérienne, a toujours été à l’avant-garde des mouvements protestataires -, Ali Benflis fait salle comble et galvanise les foules. Pour une élection prétendument « pliée d’avance », aux dires de l’opinion publique, il montre des signes de résistance.
Comme si lui-même, pourtant fin connaisseur des arcanes du système pour en avoir fait partie à une époque, croyait réellement en ses chances d’élection. Signe supplémentaire : le candidat Benflis a d’ores et déjà prévenu que son équipe de campagne déploierait 60 000 observateurs dans 60 000 bureaux de vote du pays afin de s’assurer du bon déroulement de l’élection et de pouvoir dévoiler ses chiffres avant les résultats « officiels ».
Un système à bout de souffle
Car, plus que la mobilisation inattendue qui se crée autour de sa candidature, Ali Benflis sait que les graves dissensions qui minent le pouvoir lui ouvrent une brèche dans laquelle il peut s’engouffrer. Le « triumvirat » DRS (renseignement et sécurité intérieure), armée et gouvernement qui dirige le pays souffre d’une crise ouverte sur la question du maintien au pouvoir de l’ancien président, ce qui paralyse toute prise de décision. Cette hydre à trois têtes jadis toute puissante, à l’image de son chef de vitrine, Abdelaziz Bouteflika, est aujourd’hui minée par le vieillissement.
Il n’est pas certain que cette assemblée de généraux presque tous octogénaires ait la force et l’entente nécessaires pour répondre aux violences qui s’annoncent en cas de victoire du raïs. D’autant que la situation politique, économique et sociale est tendue : aux conflits ethniques qui secouent depuis plusieurs mois la région de Ghardaïa, au sud d’Alger, et qui ont fait déjà plusieurs morts, s’ajoutent les manifestations incessantes des chômeurs dans le sud du pays, les immolations en série de jeunes en « désespérance » et l’émergence du mouvement « Barakat » (« ça suffit ! ») appelant à faire barrage à la réélection d’un chef de l’État jugé impotent. Un cocktail hautement abrasif !
Choisir de faire gagner Ali Benflis aux dépens d’Abdelaziz Bouteflika pour éviter l’incendie qui se profile au soir des résultats n’aurait rien de révolutionnaire. L’ancien Premier ministre de Bouteflika (de 2000 à 2003) est lui-même issu du FLN. Sous son air vaillant et débonnaire, il est un digne fils du sérail. Comme l’a avancé le journaliste algérien Saïd Djaafar lors d’une émission de web radio indépendante : « Si Benflis venait à être élu, l’Algérie avancerait d’un millimètre. »