Et ils osent parler de violence du FLN !

Et ils osent parler de violence du FLN !

Dans votre livraison du 30 novembre 2011, votre correspondante à Paris, Khadidja Baba-Ahmed, dans un article intitulé «Sarkozy lance une offensive sans pareille pour laver l’OAS de tout crime», fait un compte-rendu du livre d’un certain Jean- Jacques Jordi auteur d’un ouvrage dont le titre est Un silence d’Etat. Je vous remercie par avance de m’offrir l’hospitalité de vos colonnes pour attirer l’attention de vos lecteurs sur les fantaisies de cet «historien… plutôt classé à gauche» qui embraye de nouveau le moulin des «disparus civils européens».

Dans le délire mémorialistes de l’OAS, il n’est pas du tout étonnant de rencontrer les thèses les plus fumistes érigées en «vérités vraies». Pour ce nouveau meunier, après les Accords d’Evian, un rapprochement se serait opéré «entre la mission C et le FLN prioritairement sur Alger et Oran». Hacq, chef de la mission C, et Lacoste seraient entrés en étroite relation avec moi, en tant que chef de la zone autonome d’Alger. Ainsi donc, j’aurai reçu d’eux «plusieurs listes de membres de l’OAS», listes que j’aurai utilisées pour «des actions» de représailles. Comprenez par «mission C» les barbouzes du général-président de Gaulle, chargés de la lutte contre l’OAS. Autrement dit, mes compagnons et moi aurions été les instruments des chefs de cette force C. C’est-à-dire des supplétifs chargés des liquidations «en toute impunité », précise cet étrange historien qui aurait pu se renseigner auprès des acteurs qui sont encore vivants, même s’ils se raréfient avec le temps. Pour sa gouverne et celle de tous les autres apprentis historiens, la mission qui a été confiée aux dirigeants de ce qui s’appellera la seconde zone autonome d’Alger, par le président du GPRA, Benyoucef Ben Khedda, était de faire respecter les Accords d’Evian. D’encadrer les populations afin qu’elles ne répondent pas aux provocations de l’OAS. Laquelle OAS avait été créée entre autres pour faire capoter le cessez-le-feu, pour entraîner une intervention de l’armée d’occupation sous le prétexte de «protéger la communauté européenne ».La stratégie de la terre brûlée n’a épargné personne. La chasse au faciès avait pour but d’excéder les Algériens pour les conduire vers l’irréparable : la transgression de l’interruption des hostilités. La presse mondiale de l’époque rapportait avec force détails les exactions des nervis de l’OAS. C’est ainsi que nous avons connu «la journée des fatmas», celles des pompistes, des préparateurs en pharmacie, des marchands de quatre saisons et bien d’autres jours, tous plus sinistres les unes que les autres. Plus de cent attentas par jour avec leur cortège de morts, plus de trois mille, et des milliers de blessés. Ils ont été jusqu’à assassiner des malades sur les lits d’hôpitaux. Un gamin mort que nous avions récupéré de la morgue avait été éviscéré. Ces monstres lui avaient arraché les entrailles ! Et ils osent parler de violence du FLN ! Il est une thèse que même les biens pensants de l’autre rive défendent avec des «oh et des ah !» de salons qui a fait et qui fait encore florès : celle de la violence qui aurait été exercée des deux côtés ! Match nul quoi ! Pendant que nous ramassions les morts de l’attentat du port d’Alger qui avait fait un massacre parmi les dockers (plus de 70 morts), les sicaires affidés à l’OAS nous canardaient à partir des terrasses des quartiers européens qui dominent les docks. Les ambulances de fortune constituées de véhicules de particuliers ont été également prises pour cibles. Après cette énième tragédie, la population d’Alger, réclamant vengeance, avait décidé d’investir les quartiers européens. Nous avons contenu sa colère et c’est pour cela que nous avons procédé à la riposte du 14 mai 1962, en effectuant des opérations spectaculaires contre des repaires des ultras à travers toute la capitale. Les contacts que nous avions c’était avec l’exécutif provisoire au Rocher Noir (auj. Boumerdès). Il se chargeait de répercuter les informations au peu d’autorité française qui demeurait. Tout comme nous informions Vitalis Cross, le préfet igame d’Alger, ou le capitaine Lacoste, patron de la gendarmerie pour leur dire : «Voilà qui ils sont, où ils habitent, où ils se réunissent, où ils sont, qu’est-ce qu’ils préparent, où ils activent.» Mais jamais pour prendre des consignes quelconques. Notre mission était de faire baisser la tension pour garantir la tenue et le bon déroulement du référendum d’autodétermination de juillet. Les desseins des extrémistes de l’OAS étaient tout à fait inverses. Les Européens qui partaient dans la précipitation et qui s’exilaient en France n’ont pas été exceptés par la politique du pire. L’OAS exerçait des représailles contre ceux qui quittaient l’Algérie et qui selon leurs dires appliquaient la «politique d’abandon du général de Gaulle». Je ne vois pas l’intérêt pour nous, après sept ans et demi d’une lutte âpre et meurtrière pour le recouvrement de notre liberté, de refuser le cessez-le-feu durement arraché, qui constituait à nos yeux une victoire face à un ennemi qui nous a imposé une guerre totale. Pourtant, nous savions et nous étions conscients que le cessez-le-feu n’était pas l’indépendance, mais qu’il n’était qu’un pas de plus vers la paix. De plus, l’OAS défiait déjà l’autorité française. Il faut dire que celle-ci était bien complaisante à l’égard des suppôts de Salan et Degueldre qui se manifestaient avec leur démence coutumière même dans le saint des saints qu’était à l’époque la métropole. Combien d’intellectuels en vue, d’anticolonialismes avaient été visés ? Pour la seule journée du 7 février 1962, à Paris, dix bombes au plastic ont explosé devant les domiciles d’hommes politiques, d’écrivains, d’acteurs et de journalistes qui affichaient la moindre des sympathies pour notre combat. On dénombrera sept blessés. Parmi ces blessés, la petite Delphine Renard, une enfant de quatre ans qui avait la malchance d’habiter le même immeuble qu’André Malraux, célèbre écrivain s’il en est et ministre de la Culture (1959 à 1969). Ce drame émeut toute la France et jette une lumière crue sur les tueurs des tenants de l’Algérie française. De Gaulle lui-même n’avait pas échappé à la furie des assassins présentés souvent par la presse de droite comme des desperados presque excusables. Il a été plusieurs fois leur cible, notamment en septembre 1961 et en août 1962. Aujourd’hui, je ne comprends vraiment pas comment des responsables politiques français au plus haut niveau persistent à se réclamer du gaullisme quand on décore un général putschiste comme l’ex-colonel Hélie Denoix de Saint-Marc, un des animateurs de la tentative de coup d’Etat d’avril 1961, condamné par un tribunal militaire la même année, embastillé jusqu’à l’amnistie de 1966, puis passé au lave-linge en 1978 par le président Giscard d’Estaing. Le voici magnifié par M. Sarkozy. La France de 2011 n’aurait-elle donc plus de grands esprits ou de héros à célébrer pour qu’elle aille fouiller dans ses corbeilles, à la recherche de tortionnaires comme Marcel Bigeard pour les canoniser ?

L.C. A.