Cinquante ans après, la France s’est enfin décidée à indemniser les victimes des essais nucléaires qu’elle a effectués de 1960 à 1996 dans le Sahara algérien et en Polynésie. Le ministre français de la Défense Hervé Morin a présenté hier en Conseil des ministres un projet de loi pour l’indemnisation des victimes.
«Le gouvernement a décidé de faciliter l’indemnisation des personnes atteintes de maladies radio-induites provoquées par les essais nucléaires réalisés par la France, entre 1960 et 1996, au Sahara et en Polynésie française», est-il indiqué dans le communiqué du Conseil des ministres français, cité par l’AFP. Cette indemnisation «doit assurer la réparation intégrale des préjudices subis», est-il encore précisé. L’accès à ce régime est ouvert aux personnes (qu’il s’agisse des personnes ayant participé aux essais ou des populations locales) justifiant avoir résidé ou séjourné dans les zones des essais, durant les périodes fixées par la loi, et atteintes d’une pathologie figurant sur une liste arrêtée par décret en Conseil d’Etat. L’indemnisation sera versée sous forme de capital. Les indemnisations antérieurement perçues par le demandeur au titre des mêmes préjudices en seront déduites, est-il également indiqué. Au mois de mars, M. Morin avait annoncé le déblocage d’une première enveloppe de 10 millions d’euros en 2009 pour indemniser les victimes. Le ministre avait alors précisé que «quelques centaines» de personnes avaient pu développer depuis un cancer, victimes de radiations liées à ces essais nucléaires. Il avait également reconnu quatre «problèmes de confinement» lors des tirs effectués dans le Sahara et dix épisodes «de retombées radioactives significatives, sur des zones circonscrites» lors des essais aériens en Polynésie. Il est à rappeler que la France a effectué son premier test en Algérie le 13 février 1960 à Reggane sous le nom de code Gerboise (bleue, rouge, blanche et verte). L’explosion de la bombe atomique -qui était quatre fois plus puissante que la bombe d’Hiroshima, selon des rapports français- a entraîné ce jour-là des pluies noires au Portugal et au Japon. Treize autres essais souterrains dans la montagne de Tan Afella à In Ecker, ont fait beaucoup de dégâts à cause des fuites. Selon d’autres versions, des expériences ont eu lieu clandestinement. On parle d’au moins une quarantaine sur le site de Hamoudia près de Reggane.
Officiellement, la France reconnaît 210 essais nucléaires français réalisés dans le Sahara algérien entre 1960 et 1966 puis en Polynésie française, sur les atolls de Mururoa et Fangataufa, entre 1966 et 1996. Au cours de quarante-cinq d’entre eux, des populations ont été irradiées. En Algérie, les victimes de ces essais sont estimées à plus de 27 000 personnes. L’Association algérienne des victimes des essais nucléaires avance le chiffre de 30 000 victimes. Pour l’instant, les officiels français s’arrêtent à 20 000. En fait, le nombre exact des victimes civiles algériennes reste toujours imprécis. A ce jour, aucun bilan détaillé n’a été établi.
Il faut préciser par ailleurs que, pendant de nombreuses années, le ministère de la Défense français avait refusé d’ouvrir le dossier des victimes des essais nucléaires. Un dossier qui a empoisonné les relations bilatérales entre la France et l’Algérie pendant longtemps, suscitant même le courroux du gouvernement algérien qui, en l’absence de toute indication sur les graves conséquences sanitaires et écologiques de ces tirs, avait exigé de Paris l’ouverture des archives de l’armée française, en vue de connaître la vérité sur la question. A Cordoue, en Espagne, où il a participé en avril dernier, à la réunion des 5 + 5, M. Mourad Medelci, le ministre des Affaires étrangère, avait évoqué la question avec le secrétaire général du ministère des Affaires étrangères français, Pierre Sellal.
Il avait alors dit que ce dossier devait être traité d’«une manière plus diligentée». La France a décidé de prendre en charge le dossier mais pas uniquement pour répondre à la demande algérienne. Cette décision est le fruit d’une bataille très longue engagée par de nombreuses associations, dont l’Association des vétérans des essais nucléaires (AVEN), le Comité de soutien vérité et justice, l’Association polynésienne des victimes des essais nucléaires et, pour ce qui concerne les victimes algériennes, l’Association algérienne des victimes des essais nucléaires. Mais ce que semble omettre le gouvernement français, c’est que le nombre de victimes justifiant avoir résidé ou séjourné dans les zones des essais, durant les périodes fixées par la loi, est loin d’être le nombre réel des personnes irradiées. A ce nombre devront s’ajouter les générations qui ont souffert des effets des radiations, des années plus tard, à cause de la présence encore aujourd’hui, sur les lieux, des équipements ayant servi aux essais, enfouis après le départ des Français, mais qui ont réapparu, au gré de l’érosion, et constituent des sources de radiation importantes. Un chercheur en génie nucléaire avait affirmé en 2007 que, contrairement aux idées reçues, les victimes ne sont pas seulement les habitants des zones où les expériences ont eu lieu, mais se trouvent aussi très loin avec des possibilités de contamination à plus de 700 kilomètres des régions des essais. Certains spécialistes disent qu’ils ne disparaîtraient pas de sitôt. Pas avant 240 000 ans. Les effets dévastateurs de ces essais ravagent la santé de la population locale et affectent l’écosystème.
Fausses couches, malformations des nouveau-nés, cancers et autres maladies rares sont très répandues dans ces régions, allant de Reggane au Hoggar. Plusieurs chercheurs ont établi un lien direct entre ces maladies et les rayonnements radioactifs. Un rapport établi par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) en 2005 relève 4 zones contaminées, autour des essais Gerboise blanche et bleue, de manière faible et localisée, et au sortir des tunnels des essais Béryl et Améthyste dans le massif Tan Afella. C’est là que la radioactivité résiduelle est la plus forte. Même le rapport annuel du Commissariat à l’énergie atomique (organisme public de recherche scientifique français dans les domaines de l’énergie, de la défense, des technologies de l’information et de la santé) de 1960 montrait l’existence d’une zone contaminée de 150 km de long environ. Mais il n’est nullement dans l’intention du gouvernement français d’indemniser cette génération d’irradiés. La décision française a pour principal objectif de calmer ses propres troupes. D’ailleurs, et c’est le plus important, la France officielle qui a décidé l’indemnisation n’a pour l’instant pas présenté officiellement des excuses solennelles pour les expérimentations effectuées.