Le directeur du Centre français de recherche sur le renseignement, Eric Denécé, explique dans cet entretien les raisons ayant amené la France à intervenir militairement au Mali. Il explique également pourquoi l’Algérie aurait autorisé le survol de son territoire par les avions et hélicoptères militaires français engagés dans la guerre au Mali.
Il évoque également plusieurs autres points liés au conflit, dont le risque pesant sur les otages algériens et français détenus au nord du Mali. Eric Denécé parle également des risques sécuritaires pour l’Algérie générés par l’action militaire française au Mali.
Le Temps d’Algérie : L’intervention militaire appuyée par l’armée de l’air française au Mali a débuté vendredi dernier. Quels en sont les enjeux, selon vous ?
Eric Denécé : Ils sont très clairs : stopper la progression des djihadistes vers le sud et protéger l’Etat malien. Les terroristes voulaient s’emparer de Bamako afin de rendre impossible toute opération de reconquête du nord du pays.
Il fallait donc réagir rapidement afin de protéger la capitale malienne, sa population et les institutions de ce pays et les ressortissants français et étrangers. Cela a été fait à la demande des autorités maliennes.
Quelle issue voyez-vous à la guerre actuellement en cours ?
Il est trop tôt pour le dire. Tout va dépendre des résultats des opérations en cours. Les terroristes vont-ils poursuivre leur offensive ? Vont-ils s’enfuir et refuser le combat ? Quelles sont les pertes qu’ils vont subir ? Les prochaines semaines devraient apporter des réponses. Une chose est intéressante en tout cas : lorsque des combattants irréguliers abandonnent la guérilla pour se lancer dans des actions militaires offensives, ils sont plus faciles à détruire, car ils perdent l’avantage que leur conférait leur tactique asymétrique.
Quelles seraient les conséquences de cette guerre sur la sécurité de l’Algérie ?
L’Algérie, au même titre que les autres Etats frontaliers du Mali, est directement concernée par l’évolution de la situation.
Alger, en toute légitimité, s’inquiète de voir des groupes terroristes venir se replier sur son territoire et y reprendre les exactions. Aucune opération militaire ne peut donc avoir lieu sans prendre en compte ses intérêts et sa sécurité.
Le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a annoncé que l’Algérie a autorisé, sans aucune condition, le survol de son territoire par les avions militaires français engagés dans l’intervention militaire au Mali. Comment interprétez-vous cela ?
C’est un acte de soutien exceptionnel dont peu de gens ont conscience en France. Mais tous les spécialistes mesurent et apprécient cette attitude courageuse et réaliste du gouvernement algérien.
Nous devons nous réjouir de cette coopération entre nos deux pays et souhaiter qu’elle se poursuive. Car il est indéniable que face à cette menace, il faut faire un nfront commun en respectant les intérêts et les attentes de chacun.
Croyez-vous qu’avec cette guerre, Ançar Eddine se radicalise et se range du côté d’Aqmi et du Mujao ?
Je le crains effectivement. La récente rupture des négociations par le chef d’Ançar Dine en est un signe. Jusque-là la patiente et sage politique algérienne avait obtenu des résultats encourageants. Mais il semble que les terroristes aient fait volte-face, remettant en cause les progrès obtenus. Cela explique sans doute la position du gouvernement algérien vis-à-vis de l’action française.
Quels seraient les risques encourus par les otages algériens, français et autres, avec cette guerre ?
Ils sont très grands. Et nous pensons tous au calvaire que connaissent les familles algériennes et françaises concernées. Je sais que dans nos deux pays, tout est fait pour les sauver. Maintenant, aucun de nos deux Etats ne conduit sa politique sur des cas particuliers.
Il fallait réagir, car les enjeux sont infiniment plus graves. A travers la crise malienne, ce sont des centaines de milliers de vie qui sont en jeu et la sécurité de toute la région qui est en cause.
A combien évaluez-vous les forces des groupes islamistes sur terrain au Mali ?
Elles sont estimées à 5-6000 hommes environ, solidement armés, très mobiles et très déterminés. Elles sont très bien connues et évaluées. Il n’y aucune surprise de ce côté-là. Elles ont commis une erreur en reprenant l’offensive et vont le payer cher.
La guerre est-elle appelée à durer dans le temps, selon vous ?
Cela est très difficile à dire et dépendra des résultats des engagements de ces prochains jours. En tout cas, la stratégie de la France n’est pas la reconquête du Nord. Nous avons pour l’instant déployé essentiellement des moyens aériens et aéroterrestres. Les unités de l’armée de terre arrivent peu à peu pour protéger Bamako.
C’est l’armée malienne qui est engagée dans les combats terrestres. Il faudrait vraiment qu’il y ait une déroute massive des djihadistes pour que, profitant de cette opportunité, la reconquête soit entreprise. Et je ne vois pas Paris se lancer dans cette aventure sans l’accord et le soutien de ses partenaires, au premier rang desquels l’Algérie.
Les islamistes armés fuiront-ils les zones désertiques soumises aux bombardements pour se réfugier dans les zones urbaines des pays voisins, dont l’Algérie, selon vous ?
Tout va dépendre de l’issue des combats. Dans un premier temps, je pense que le Nord Mali est assez grand pour que les terroristes s’y replient sur des bases qu’ils jugent sûres avant de franchir les frontières. De plus, ils savent très bien que, quitte à sortir du pays, mieux vaut aller dans les autres Etats de la zone dont les forces armées sont plutôt limitées, qu’en Algérie où les unités militaires sont plus nombreuses, entraînées et déterminées.
Entretien réalisé par Mounir Abi