Erdogan à Tunis, Le Caire et Tripoli : La Turquie à la «conquête» du monde arabe

Erdogan à Tunis, Le Caire et Tripoli : La Turquie à la «conquête» du monde arabe
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Ankara, déçue par la fin de non-recevoir de Bruxelles verrouillant l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne, se tourne résolument vers le monde arabe.

La stratégie de redéploiement, impulsée par le Premier ministre Erdogan, se caractérise par un rapprochement de plus en plus marqué dans le Proche-Orient voué aux nouvelles destinées du «Printemps arabe» de toutes les contradictions. Elle est le fait d’une rupture de la relation de coopération avec l’ancien allié stratégique, Israël, entamée lors de la guerre d’agression menée contre l’enclave de Ghaza et totalement consommée avec l’assaut lancé contre le bateau turc Mavi Marmara, en mai 2010.

La quête d’un rôle de leadership régional, fort d’un prestige allant croissant, s’affirme dans le positionnement turc dans le marché arabe en devenir aux promesses certaines pour la 6e économie européenne et la 17e dans le monde.

Loin des turbulences de l’Europe minée par la crise d’endettement généralisée, l’émergence de la nouvelle puissance régionale turque est favorisée par le boom économique qui fait rêver (une croissance de 11,6% au premier trimestre 2011 et 8,8% au second) et un modèle politique qui a séduit par l’affirmation de la compatibilité entre l’Islam et la modernité. Si, à Tunis, le Premier ministre turc a réfuté l’existence d’une quelconque antinomie entre la «démocratie et l’Islam», il a clairement appelé, en Egypte, à la mise en place d’un «Etat laïc… à égale distance de toutes les croyances et opinions», garantissant les libertés des «musulmans, des cooptes et même des athées». Entre la jeunesse urbaine et les libéraux, partisans la démocratie libérale et les Frères musulmans réclamant un Etat islamique et dénonçant l’ingérence d’Erdogan dans «les affaires égyptiennes», l’alternative turque se meut dans une région en gestation et soumise aux convoitises des puissances euro-atlantiques.

Sur les traces de Sarkozy et de David Cameroun, instruits de leur rôle pionnier et des bienfaits attendus de leur engagement dans la chute du régime de Kadhafi, l’entrée en compétition de la Turquie, en campagne dans les capitales du «Printemps arabe» (Tunisie, Egypte et Libye), marque un changement d’envergure dans l’appréciation du rôle central d’Ankara qui se refuse à être un simple pont entre l’Orient et l’Occident pour être au centre de la triptyque en mouvement, Europe-Moyen Orient-Asie. Cette ambition de puissance tisse les nouvelles alliances de la Turquie, défiant Israël, prenant fait et cause pour la nouvelle Egypte, apportant son soutien au CNT libyen, se délestant de l’allié gênant syrien remplacé in facto par l’opposition siégeant à Istanbul. «L’ère de la Turquie, une force stratégique reliant le Moyen-Orient à l’Europe», selon la définition du quotidien britannique The Guardian, a-t-elle commencée ? Dans ce Moyen-Orient qui ne «sera plus la même», le professeur des relations internationales à l’université de Michigan, Mohamed Ayub, va plus loin.

Il estime que «la situation actuelle dans la région influencera l’avenir du Moyen-Orient. Cela prouve que l’Etat hébreu n’est pas sans rival dans la Méditerranée». De Tunis au Caire, la tournée triomphale d’Erdogan a trouvé sa confirmation dans l’accueil important que lui a réservé Tripoli sensible au message délivré sur la place des martyrs et dans le quartier de Tajoura.

«La révolution n’appartient qu’au peuple libyen, et l’avenir de ce pays est dans son unité», a-t-il dit pour mieux signifier le rejet du despotisme dépassé et des tutelles étrangères inopérantes. «Nous aspirons à un Etat démocratique et musulman en s’inspirant du modèle turc», a conclu le président du Conseil national de transition libyen, Mustapha Abdeljalil. A l’heure du GMO, le «modèle turc» se présente en force dans le marché arabe en refondation stratégique.