Avec une croissance prévue par la Banque mondiale à 3,7% et un PIB à 17,8%, l’Algérie n’arrive toujours pas se nourrir.
L’année 2011 ne sera pas uniquement celle des révolutions dans le monde arabe, elle a aussi toutes les chances et malheureusement d’être celles de la famine. C’est en tout cas ce que prédisent les experts du secteur alimentaire mondial.
Unanimes, ils parlent d’un scénario similaire à celui de 2008 avec, rappelons-le, des émeutes de la faim qui ont secoué plusieurs pays du monde engendrant sur leur passage mort et désolation. En témoignent les seuils qu’a atteint l’indice de la FAO des prix alimentaires depuis le début de l’année. Il est apprécié à 231 points et est à son plus haut niveau depuis sa création il y a plus de 20 ans. Même les indicateurs de la Banque mondiale sont au rouge, puisque son propre indice est en hausse de 36% par rapport à l’année dernière. En cause, un déséquilibre entre les fondamentaux sur les marchés mondiaux des denrées alimentaires de base qui s’explique par plusieurs raisons dont, entre autre, les changements climatiques, le renchérissement du pouvoir d’achat des pays émergents ou encore le détournement de ces denrées au profit de la révolution verte. Alertés par cette situation, les Etats-Unis ont tiré la sonnette d’alarme mardi dernier à Chicago. Le représentant du Département américain du Trésor,
M. Brainard, a d’ailleurs exhorté les pays membres du G20 à soutenir le financement du programme mondial pour l’agriculture et la sécurité alimentaire (GAFSP) pour aider les pays les plus pauvres. Pour M. Brainard, il ne fait aucun doute que si la faim dépend de l’ensemble de la communauté internationale, le développement du secteur agricole incombe à la responsabilité des gouvernements concernés. En Algérie, même si la croissance économique se porte bien au regard des chiffres avancés par la Banque mondiale qui prédit un taux de croissance de 3,7% et un rebond de 8,4% du PIB pour cette année (17,8%, ndlr), que le secteur agricole a dégagé toute une stratégie pour subvenir aux besoins des citoyens, il reste encore des efforts à faire pour aller vers l’autosuffisance agricole.
La valeur des importations en produits alimentaires risque de doubler et d’atteindre les 10 milliards de dollars pour l’année en cours.
Entretien avec le Dr Nouad Mohamed Amokrane* :
Le Jour d’Algérie : Que représente l’excédent commercial (de l’ordre de 8,646 milliards de dollars durant les quatre premiers mois 2011) par rapport à la flambée des produits alimentaires de base ?
Nouad Mohamed Amokrane : L’indice des prix des céréales, qui comprend le coût des aliments de base tels que le blé, le riz et le maïs, a augmenté de 3,7% en février, pour atteindre son niveau le plus élevé depuis juillet 2008.
En février, les prix alimentaires mondiaux ont atteint un nouveau record historique, pour le huitième mois d’affilée, selon l’organisation de l’ONU pour l’alimentation et l’agriculture (FAO)
Au cours des derniers mois, on a pu observer une forte augmentation des prix alimentaires. En janvier 2011, l’indice des prix alimentaires de la FAO a atteint 231 points – une hausse de 3,4% par rapport à décembre 2010 – et son plus haut niveau depuis que la FAO a commencé à mesurer, en 1990, les prix des denrées alimentaires. L’indice FAO des prix des produits alimentaires s’établissait en moyenne à 232 points en avril – pratiquement inchangé par rapport à mars –, mais il était toujours de 36% plus élevé qu’en avril 2010 et inférieur de 2% seulement à son pic de février 2011. De même que l’indice des prix alimentaires de la Banque mondiale reste proche de son record de 2008. En dépit d’une légère baisse enregistrée récemment, l’indice des prix alimentaires en mars 2011 est supérieur de 36% au niveau qui était le sien il y a un an. Parmi les hausses majeures enregistrées depuis un an figurent celles du maïs (74%), du blé (69%), du soja (36%) et du sucre (21%). En revanche, le prix du riz est resté stable. La comparaison entre les prix moyens au premier trimestre 2011 et ceux du dernier trimestre 2010 montre que les hausses de prix ont concerné un large éventail de produits alimentaires de base. Depuis un certain temps, l’offre en denrées alimentaires de base sur les marchés mondiaux suit une tendance à la hausse pouvant être expliquée par certains déterminants tels que la demande en croissance des pays asiatiques et quelques pays émergents, la concurrence et la dualité entre les denrées alimentaires et les biocarburants et l’offre qui est de plus en plus liée aux changements climatiques (sécheresse et inondations).
Cela ressemble à une répétition du scénario de 2007-2008, les flambées des céréales, notamment du blé, sont dues au même ordre de grandeur.
En comparant les statistiques des Douanes du premier trimestre 2011 par rapport à ceux de l’année 2010, on constate qu’en valeur on est presque à 50% pour les céréales, autour de 40% et plus pour les laits et fromages, maïs et sucre. En maintenant le niveau constant, la valeur des importations en produits alimentaires risque de doubler et d’atteindre les 10 milliards de dollars pour l’année en cours. Au cas où cette tendance augmente, et c’est la probabilité fixée par des experts en la matière qui prédisent que la crise alimentaire qui avait secoué plusieurs régions du monde en 2008 sera encore plus dure en 2011, cette facture alimentaire risque de peser lourdement avec toutes les conséquences qu’il y a lieu de prévoir.
Les dividendes de cet excédent pour ces quatre premiers mois de l’année sont supérieurs au montant du projet de la loi de finances complémentaire pour l’année 2011 (l’ordre de 13.36 milliards de dinars). Mais face aux turbulences que connaît le marché alimentaire extérieur, cet excèdent peut-il contenir la flambée de ces prix pour toute l’année ?
Si on garde l’apport des exportations au même niveau de l’année 2010 (56.6 avec un excédent de 16.45 milliards de dollars), cet excédent va être affecté en 2011 et risque d’être réduit à 11.45 milliards de dollars, soit presque du tiers.
Certes, cet excédent peut contenir cette flambée mais au détriment d’autres programmes de développement engagés dans le cadre du quadriennal 2010-2014, tels que les financement des fonds de soutien agricoles et ceux de la régulation des produits de première nécessité.
Toujours sur la LFC et ses répercussions sur le marché extérieur alimentaire. Alors que les experts tablent sur une augmentation du prix des céréales et ses dérivés (alimentation du bétail) qui ne font pourtant pas partie des produits visés par cette loi dont les prix bénéficieront d’une exonération fiscale et douanière, quels impacts auront, selon vous, ces décisions sur les prix du fourrage, du bétail, de la viande, de la laine et sur le marché de l’informel de ce secteur ?
La flambée des prix du blé, mais aussi du maïs et de l’orge ainsi que des tourteaux utilisés pour nourrir le bétail, va renchérir les coûts de production des éleveurs et, par ricochet, de la viande.
Les prix des denrées alimentaires sur les marchés internationaux ont atteint un niveau record en février 2011, en raison notamment des coûts accrus des céréales, des viandes et des produits laitiers.
Les prix à l’exportation du maïs américain ont augmenté de 70% par rapport à juin 2010 en raison de la forte demande tant à l’intérieur qu’à l’étranger qui fait pression sur une offre moins importante aux États-Unis, en Argentine et au Brésil,
La persistance de la tendance haussière des prix mondiaux du maïs est attribuable à une combinaison de facteurs. En premier lieu, les stocks mondiaux sont faibles en raison, notamment, des sécheresses survenues en Argentine et aux États-Unis. Les stocks aux États-Unis, premier exportateur au monde de maïs, sont à leurs niveaux les plus faibles depuis 30 ans. En second lieu, les incertitudes pesant sur le niveau des importations chinoises en 2011 et sur la nouvelle récolte aux États-Unis continuent d’exercer des pressions sur les prix du maïs.
Enfin, en troisième lieu, la hausse du prix du pétrole brut accroît la demande pour la production de biocarburants à base de maïs, tandis que celle du prix du sucre accroît la demande pour les édulcorants à base de maïs. Les augmentations des matières premières utilisées dans la fabrication de l’alimentation animale et celles utilisés en l’état, tels l’orge ou les issues de meuneries (sons) et les semences fourragères, ont des conséquences directes sur les prix des produits animaux sachant que le chapitre alimentaire dans la structure des prix dépassent les 70%. Certes, le Syrpalac (système de régulation des produits agricoles de large consommation) a été étendu aux viandes blanches et rouges et des quantités importantes sont en train d’être prélevées sur le marché national pour les congeler et répondre à court terme à la flambée des prix attendue pour le mois sacré du ramadhan. Cette ponction sur le marché n’a pas que des effets positifs car elle est responsable également de la flambée des prix actuels sur les viandes rouges et blanches. Au total, même si les mesures de protection des consommateurs et d’encouragement à la production nationale ont dans une large mesure été prises, il reste que les prix à la consommation ont subi une augmentation sérieuse et que les ménages en souffrent. «A quelque chose, malheur est bon», dit l’adage. A la faveur de cette grande crise de l’alimentation, le temps est venu de redonner à notre agriculture l’importance qu’elle mérite.
Entretien réalisé par Djaouida Abbas