Entretien : Mouloud HEDIR, spécialiste du commerce extérieur : “Pas de bilan du régime des licences d’importation”

Entretien : Mouloud HEDIR, spécialiste du commerce extérieur : “Pas de bilan du régime des licences d’importation”

Le Collectif Nabni : Le gouvernement a annoncé pour 2018 la fin du système des licences d’importations lancé en 2016 et son remplacement par une série de mesures : suspension temporaire de plus de 1 000 produits fabriqués localement, des mesures tarifaires de sauvegarde par le biais de taxes douanières et de taxes intérieures sur divers produits de consommation… Quel serait l’impact de ces mesures et que faudrait-il en penser ?

Mouloud Hedir : Globalement, on peut estimer que la baisse annuelle à attendre en termes de flux d’importation oscillera autour de 2 Mds de $US. Mais en tout état de cause, cette pression à la baisse des importations sera insuffisante pour répondre à ce qui semble être la préoccupation ultime du gouvernement, à savoir contenir le déficit de la balance des paiements. On n’a pas connaissance de tous les chiffres, mais celui-ci devrait se situer pour l’année 2017 à quelque 18 à 20 milliards de $US.

Ainsi, ces mesures de réorganisation des procédures à l’importation ne répondent pas à la contrainte immédiate du déficit de la balance des paiements, de même qu’elles ne permettent en aucune façon d’esquisser une trajectoire de sortie de crise dans le moyen et long termes.

Les autorités elles-mêmes parlent de mesures transitoires ; il y a donc tout lieu de penser que cette “réorganisation” n’est qu’une énième péripétie qui sera elle-même abandonnée en cours de route, de la même manière que cela vient d’être fait partiellement pour le régime des licences. À cela, il faut ajouter deux observations : d’une part, sur l’absence de présentation d’un véritable bilan de ce régime des licences, ne serait-ce que pour en tirer les leçons, avant de l’abandonner ; d’autre part, on ne peut passer sous silence le fait que l’interdiction d’importation est en principe prohibée par la loi algérienne, en dehors de cas liés à la sécurité, la santé ou la morale. L’habillage juridique de la loi des finances est loin d’être convaincant.

Les engagements internationaux de l’Algérie permettent-ils de telles mesures, comme annoncé par le gouvernement ? Quelle est la marge de manœuvre de l’Algérie par rapport à ces engagements ?

Au plan juridique, les accords internationaux dûment ratifiés sont supérieurs à la loi interne. Les engagements pris au titre de ces accords doivent être pleinement respectés. Si l’on estime que le fonctionnement d’un accord quelconque ne répond pas à nos intérêts bien compris, il existe des procédures claires pour en sortir.

Dans le cas de l’Accord d’association avec l’Union européenne, la relation est tendue depuis les mesures restrictives prises par la loi de finances complémentaire de l’année 2009.

La situation ne s’est pas arrangée avec le régime des licences mis en place en 2015 et maintenant avec ces dernières mesures qui viennent d’être mises en œuvre, les partenaires européens le disent clairement, notre régime commercial s’écarte du texte comme de l’esprit de nos engagements.

Au-delà, ce qui est incompréhensible, ce sont les restrictions aux investissements étrangers, sachant que, sans des flux massifs d’IDE européens, le projet de zone de libre-échange est un non-sens économique et politique.

Il faut enfin rappeler que le Conseil des ministres algérien avait, en octobre 2015, dénoncé solennellement cette relation économique déséquilibrée avec l’Union européenne et avait appelé à réajuster l’Accord d’association en conséquence.

Plus de deux années plus tard, et malgré une renégociation formelle, il n’y a rien de changé sur le terrain.

Les observateurs soulèvent de plus en plus les problèmes de gouvernance dans ce volet (instabilité juridique, manque de transparence dans le choix des licences, influence des “lobbys” des importateurs…). Qu’en pensez-vous ?

Le problème de gouvernance est patent. Il tient à une organisation économique fondamentalement calibrée pour stimuler l’importation. La surévaluation chronique du taux de change du dinar algérien est une prime directe versée aux importateurs et, a contrario, une pénalité financière imposée aux producteurs et aux exportateurs algériens ; la subvention directe à la consommation de produits de base importés (laits, céréales, carburants etc.) est un appui indirect versé aux fournisseurs étrangers de ces produits ; les restrictions aux IDE sont une entrave pour les étrangers qui voudraient venir produire sur notre sol et par ricochet une forme d’exclusivité aménagée aux exportateurs étrangers sur notre marché ; le climat détestable des affaires est une nuisance quotidienne imposée aux producteurs et aux investisseurs sur le territoire national et conduit à faire de l’importation la seule offre disponible pour le consommateur algérien.

À ce stade, la logique qui préside à la gestion actuelle de nos échanges extérieurs n’est pas inspirée par la défense des intérêts de notre économie.

L’interview complète est disponible sur le site www.nabni.org