Entretien exclusif avec Mikir Shah, PDG d’Africa Specialty Risks (ASR)

Entretien exclusif avec Mikir Shah, PDG d’Africa Specialty Risks (ASR)

Alger accueille les travaux de la 49e conférence et de l’Assemblée générale de l’Organisation des Assurances Africaines (OAA). Placé sous le thème de la « Contribution de l’assurance aux défis de la sécurité alimentaire en Afrique », cet événement rassemble des leaders éminents du secteur de l’assurance à travers le continent. En marge de cette manifestation prestigieuse, nous avons eu le privilège d’obtenir une entrevue exclusive avec Mikir Shah, Président-directeur Général (PDG) d’Africa Specialty Risks (ASR) et ancien PDG d’AXA Africa Specialty Risks. Au cours de cet entretien, nous avons exploré une multitude de sujets fascinants, allant des défis aux opportunités, en passant par l’avenir de l’assurance en Afrique et ses perspectives en Algérie.

Pouvez-vous nous parler de votre Groupe, Africa Specialty Risks (ASR), et de votre rôle en tant que PDG ? Quels sont les domaines d’expertise spécifiques dans lesquels vous opérez en matière d’assurances sur les grands projets de génie civil et d’infrastructures en Afrique ? 

J’ai cofondé Africa Specialty Risks (ASR) en août 2020 en partenariat avec Helios Investment Partners Fund IV, dont les investisseurs sous-jacents sont la British International Investment PLC (institution britannique de financement du développement) et la Société financière internationale (membre du groupe de la Banque mondiale), avec l’intention d’offrir une large gamme d’assurances spécialisées dans différentes branches, comme un guichet unique.

Étant Kényan d’origine, je crois au potentiel du marché africain. La mission principale d’ASR est de réduire les risques liés aux investissements étrangers vers et à travers l’Afrique. Pour ainsi faire, nous offrons des produits d’assurance qui couvrent toute la chaîne de valeur ajoutée d’un investissement, allant de la phase de construction opérationnelle, et parfois même en amont de celle-ci. Notre objectif est de permettre au continent africain de tirer parti de ses propres opportunités et d’en bénéficier. Pour donner une estimation, ASR a commencé à souscrire en février 2021, et à ce jour, nous avons couvert des investissements et des capitaux à hauteur de treize (13) milliards de dollars.

En outre, je tiens à souligner le fait que notre équipe managériale est soit africaine, soit passionnée d’Afrique, elle compte des personnes ayant principalement travaillé en rapport avec le marché africain. Nous estimons que cette connaissance approfondie de l’Afrique nous permet de mieux comprendre les spécificités du continent et de répondre de manière adaptée à ses besoins en constante évolution, ce qui constitue notre avantage distinctif par rapport aux autres assureurs.

D’ailleurs, nous sommes le seul réassureur basé au Royaume-Uni entièrement dédié au marché africain. Ainsi, nous bénéficions d’un avantage unique, car Londres est la capitale du marché des assurances, avec ses innovations constantes dans ce domaine. Cette position privilégiée nous permet d’adapter ces avancées et ces innovations aux besoins du marché africain.

ASR se distingue également en tant que seul réassureur africain à adopter une structure interne divisée en branches spécialisées d’assurance, contrairement aux autres assureurs dits panafricains qui reposent sur des équipes généralistes. Cette approche spécialisée nous permet d’offrir une expertise approfondie pour répondre aux besoins spécifiques de l’Afrique et de renforcer ainsi notre position de leader sur le marché. Actuellement, le Groupe compte 80 personnes dans le monde, dont 9 personnes chargées de l’assurance risques politiques et crédit commercial.

ASR propose des services dans divers domaines d’expertise particulièrement pertinents pour le continent africain telle que la souscription de crédits commerciaux, l’énergie, la construction, les enlèvements et les rançons, la paramétrie et de nombreuses autres expertises toutes aussi importantes.

Quels sont les défis spécifiques auxquels vous êtes confrontés lors de l’assurance de grands projets d’infrastructures en Afrique ? Comment gérez-vous la complexité et les risques associés à ces projets ? 

Bien que les gouvernements africains contribuent avec des investissements publics, l’Afrique continue de faire face à un besoin criant d’investissements, aussi bien publics que privé. Chez ASR, nous nous efforçons de nous positionner en amont de la chaîne de valeur, voire au niveau des barrières de fond, pour faciliter l’idée d’investir en Afrique pour les investisseurs privés étrangers. Notre objectif est de créer un environnement favorable et rassurant pour encourager les investissements en Afrique.

Les projets d’infrastructure sont souvent caractérisés par leur complexité, leur lenteur et leur coût élevé. En raison de leur envergure, une collaboration étroite avec le marché local, ainsi qu’avec les réassureurs locaux et internationaux, est essentielle, car les risques associés à ces projets sont généralement très importants pour être couverts par une seule compagnie de réassurance.

Ainsi, nous proposons des solutions clés en main pour couvrir tous les aspects assurantiels de ces projets, aussi bien sous le volet technique que sous le volet de la responsabilité civile. Notre but est de nous positionner en tant que réassureur proposant une des solutions clé en main et une offre tout-en-un pour ces projets, en garantissant une couverture complète et adaptée aux besoins spécifiques de chaque projet.

Dans ce même sillage, prévoyez-vous d’augmenter votre présence en Algérie ? Et quelles sont, selon vous, les opportunités qu’offre notre pays, notamment en ce qui concerne les projets d’infrastructures ? 

Bien sûr ! ASR souhaite augmenter sa présence en Algérie. À ce jour, nous avons plus de 180 millions de dollars d’expéditions assurées en Algérie. Cela nous donne l’opportunité de nous rapprocher du marché algérien et de ses principaux acteurs et de mieux les comprendre, et ainsi identifier les besoins locaux, particulièrement en termes d’infrastructures et de nouveaux projets pour nous positionner rapidement et efficacement.

ASR souhaite donc être présent pour soutenir l’économie algérienne dans sa phase de croissance pour permettre aux investisseurs étrangers d’investir davantage en Algérie. En tant qu’acteur clé de la chaîne de valeur, notre objectif est d’offrir des solutions adaptées pour faciliter les investissements étrangers.

La 49e conférence et de l’Assemblée générale de l’Organisation des Assurances Africaines (OAA) se tient sous le thème de la « Contribution de l’assurance aux défis de la sécurité alimentaire en Afrique », que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

La principale mission d’ASR est de promouvoir la résilience économique au sein des communautés les plus vulnérables en Afrique, en proposant une gamme adaptée de produits d’assurance. L’Afrique est malheureusement le continent le plus touché par l’insécurité alimentaire.

Les produits paramétriques dans le marché de l’assurance peuvent jouer un rôle essentiel dans le soutien de l’industrie agroalimentaire en Afrique. Lorsque nous examinons de plus près les produits paramétriques, nous constatons qu’ils se basent principalement sur des critères indexés tels que les précipitations, l’ensoleillement ou la sécheresse, sans nécessairement prendre en compte les réalités qui affectent les agriculteurs.

Chez ASR, nous avons conscience de cette lacune et nous nous engageons à développer des approches plus holistiques et inclusives. Ainsi, même dans cette niche innovante, nous avons réussi à nous démarquer en nous concentrant exclusivement sur ce qui affecte réellement les agriculteurs, à savoir les pertes de rendement en fin d’année.

Notre approche consiste à travailler en étroite collaboration avec les agriculteurs pour comprendre leurs besoins spécifiques et développer des produits d’assurance qui leur offrent une protection adéquate. Plutôt que de se fier uniquement aux variables climatiques générales, nous prenons en compte les pertes de rendements réels subies par les agriculteurs, basées sur les résultats de leurs récoltes.

Ce qui est particulièrement essentiel dans ce contexte, c’est que les grands exploitants agricoles et les multinationales ont la possibilité d’acquérir des produits d’assurance classiques pour se prémunir contre des risques tels que la grêle et d’autres facteurs similaires. Cependant, notre collaboration avec les Gouvernements, qui à leur tour travaillent avec des coopératives agricoles, nous permet de protéger les agriculteurs qui possèdent parfois moins d’un hectare de terrain. Nous sommes ainsi en mesure d’aider les communautés les plus défavorisées qui n’ont pas les moyens de se prémunir contre ce type de risques.

En tant qu’expert des assurances sur les grands projets d’infrastructures, quelles sont les tendances émergentes que vous observez dans ce domaine en Afrique ? Quelles sont les perspectives d’avenir pour le secteur des assurances dans le contexte des projets d’infrastructure en plein essor sur le continent ? 

L’Afrique est le théâtre de nombreuses tendances en matière d’opportunités infrastructurelles, mais celles qui nous tiennent particulièrement à cœur chez ASR, ce sont les investissements et les projets d’infrastructures liés à la transition énergétique, de par son importance pour l’avenir durable du continent.

Dans cette perspective, nous accordons une importance primordiale au secteur des énergies renouvelables dans le cadre de la transition énergétique en Afrique. Il est crucial de souligner que seulement 40 % de la population africaine a accès à l’électricité et que de nombreux individus ne bénéficient pas d’un réseau électrique. Cette situation exige de nouvelles approches en matière de production d’énergies renouvelables, et c’est là que nous intervenons à tous les niveaux.

Nous jouons un rôle essentiel depuis les premières étapes de l’investissement jusqu’à la phase de construction et même pendant la phase opérationnelle. Notre approche clé en main, qui couvre l’ensemble du processus, du début à la fin, nous permet d’œuvrer activement dans ce domaine qui nous tient particulièrement à cœur.

L’exemple le plus concret se trouve au Mozambique, où nous avons mis en place une solution paramétrique pour couvrir les risques liés aux cyclones. Ce mécanisme innovant a été lancé fin 2022, et depuis le début de cette année, le cyclone Freddy a frappé à deux reprises, mais le paiement de l’indemnité financière a déjà été effectué par nos soins.

En guise de conclusion, avez-vous un dernier mot ?

Chez ASR, nous sommes ravis que l’Organisation des Assurances Africaines (OAA) ait choisi l’Algérie comme pays hôte cette année pour la 49e conférence et assemblée. Cet événement offre une occasion unique à un grand nombre de personnes de découvrir plus en détails l’Algérie. Pour nous, l’Algérie représente un pays riche en opportunités, et nous sommes fiers d’y être présents. Nous sommes impatients de participer à cet événement et d’échanger avec les acteurs de l’industrie de l’assurance, tout en renforçant notre engagement envers le développement économique de l’Algérie.

Hydrocarbures, agriculture, zone de libre-échange africaine … : les perspectives d’ASR pour l’Algérie

Lors de cette entrevue avec Mikir Shah, nous avons également eu le plaisir d’échanger avec d’autres responsables d’ASR. Il s’agit d’Amir Hussain, Souscripteur de risques politiques et de crédit commercial, Ian Bishop, Souscripteur de l’assurance paramétrique, et Zouheb Azam, Directeur du département Violence politique et terrorisme.

Pour sa part, Amir Hussain a abordé un point important concernant les investissements étrangers en Algérie, notamment dans le domaine de l’agriculture. En effet, il a indiqué que ASR travaillait étroitement avec le marché des hydrocarbures qui revêt une importance considérable en Algérie. Notant l’engagement du Groupe dans les investissements du secteur agricole, en mettant en œuvre des technologies de pointe, particulièrement dans la culture des tomates.

« Notre objectif est de soutenir l’industrie agroalimentaire en couvrant par exemple des investissements visant à produire des tomates de haute qualité dans le pays, en vue de leur exportation vers d’autre pays. Ces projets innovants représentent une opportunité majeure sur laquelle nous nous positionnons avec détermination », a affirmé Amir Hussain.

Le Souscripteur de risques politiques et de crédit commercial chez ASR a également évoqué l’importance de l’accord portant sur la zone de libre-échange continentale, notamment les besoins en infrastructures qu’il implique. En effet, selon lui, cet accord vise à établir des routes qui connectent les pays africains les uns avec les autres.

« C’est donc pour nous des opportunités immenses, car cet accord de libre échange douanier doit augmenter et intensifier les échanges intra-africains et ASR se positionne très clairement dans cette logique pour couvrir ces investissements », a encore soutenu Amir Hussain.

Amir Hussain, Souscripteur de risques politiques et de crédit commercial chez ASR.

De son côté, le Souscripteur de l’assurance paramétrique, Ian Bishop, a mis en avant les avantages de l’assurance paramétrique. À cet effet, il a expliqué que contrairement à l’assurance traditionnelle, qui se base sur des données antérieures pour établir des schémas de statistiques, et par conséquent, des couvertures, l’assurance paramétrique se focalise sur la probabilité d’occurrence de certains événements, à l’instar de la baisse des précipitations qui peut engendrer des sécheresses.

L’autre aspect distinctif, a encore souligné Ian Bishop, concerne le processus d’indemnisation qui se fait rapidement et plus simplement dans le cas de l’assurance paramétrique. En effet, dans ce type d’assurance, l’indemnisation est basée sur des modèles préétablis définis dans le contrat, ce qui élimine la nécessité pour l’assuré de présenter une preuve du sinistre ou d’impliquer un tiers tel qu’un expert pour s’occuper des dommages.

Cette approche novatrice de l’assurance permet une réponse rapide et efficace en cas de dommages causés par des événements paramétriques. Grâce à des critères clairement définis, l’assuré peut bénéficier d’une indemnisation plus rapide et d’une réduction des délais administratifs souvent associés aux processus de réclamation traditionnels. ASR a mis en œuvre cette approche afin de garantir une expérience fluide et satisfaisante pour ses clients, offrant ainsi une protection financière plus efficace face à des événements spécifiques et prévisibles.

Ian Bishop, Souscripteur de l’assurance paramétrique chez ASR.

Sur un autre volet, Zouheb Azam, Directeur du département Violence politique et terrorisme, a rebondi sur la diversité des domaines dans lesquels le groupe opère en Algérie. Il a indiqué que ASR offre une couverture pour certaines lignes de tramway dans le pays, en plus de son engagement dans d’autres secteurs tels que l’agriculture, les hydrocarbures, en collaboration avec la compagnie nationale, ainsi que les infrastructures.

Selon lui, l’Algérie est un marché riche en opportunités, et ASR souhaite renforcer sa présence et s’établir davantage sur le marché algérien. La compagnie reconnaît le potentiel de développement et les nombreux projets en cours dans le pays, ce qui motive son engagement à offrir des solutions d’assurance.

Zouheb Azam, Directeur du département Violence politique et terrorisme chez ASR.