Dans cette interview accordée au «Jour d’Algérie», Mohamed Arkab, P-DG de la Sonelgaz, revient en toute transparence sur de nombreux aspects relatifs au développement de son groupe. Avec un franc-parler, il explique comment donner le cap à son groupe vers une entreprise économique équilibrée en sortant de l’étau de la consommation vers des investissements à valeur ajoutée, à travers l’orientation de plus de 40% de la production électrique vers différents secteurs productifs.
Entretien réalisé par Lynda Naili
Le Jour d’Algérie : Suite à la décision du gouvernement d’assainir les dettes de Sonelgaz, cela va-t-il permettre au groupe de mieux poursuivre ses investissements ?
Mohamed Arkab : Absolument, la décision des pouvoirs publics d’intégrer les mécanismes du financement non conventionnel dans la loi sur la monnaie et le crédit a permis à la BNA de récupérer une grande partie de ses créances détenues sur Sonelgaz, rachetées par le Trésor public, au titre des crédits long terme couvrant la réalisation des projets d’investissement des infrastructures énergétiques de production, de transport et de distribution de l’électricité et du gaz naturel.

En effet, les crédits long terme octroyés par la BNA couvrent le financement de la réalisation dont celui de la production de 8 000 mégawatts d’énergie électrique à travers la construction de huit centrales électriques, celle de plus de10 000 km de réseaux électriques de haute et très haute tension, ainsi qu’un nombre important de postes de transformation d’électricité, des gazoducs et des ouvrages d’extension et de renforcement des réseaux électriques et gaziers de la distribution. Tous ces projets sont financés par la BNA à travers des crédits à long terme.
Beaucoup d’entreprises sous-traitant avec votre groupe se plaignent de ne pas avoir été payées pour les travaux réalisés au
profit de Sonelgaz.
Le seront-elles grâce à cette décision ?
Ce qu’il faut savoir est que Sonelgaz gère deux types de projets. Le premier englobe des programmes d’investissements propres à Sonelgaz financés directement par elle à travers un prêt bancaire contracté auprès de la BNA. Le deuxième porte sur des projets qui relèvent du programme de l’Etat consistant en des projets de distribution de gaz et d’électrification rurale dont le financement est supporté à hauteur de 75% par l’Etat et 25% par Sonelgaz. C’est pour ces projets là que nous attendons la mobilisation des fonds par l’Etat, via le ministère des Finances, à travers un contrat ministère de l’Energie-Sonelgaz.
A ce titre, le Trésor public vient de mobiliser la totalité des fonds pour payer les entreprises ayant réalisé les projets portés sur le programme de l’Etat. Ce qui fait que nous avons déjà commencé à payer les entreprises concernées depuis avril dernier jusqu’à assainissement total des états de créances de la Sonelgaz d’ici la fin juin.
Où en est la Sonelgaz dans le recouvrement des créances de consommation auprès de ses clients publics et privés ?
Les recouvrements auprès des clients résidentiels ont enregistré beaucoup d’amélioration induite par les efforts consentis en direction de la relation-client, une meilleure proximité, l’ouverture des agences commerciales les samedis ainsi que la possibilité d’échelonnement des montants à payer. Ne faisant que le recouvrement des créances (auprès des clients résidentiels) qui est de 77,5 milliards de dinars a connu une progression de 27% selon le bilan du premier trimestre 2018.
Pour ce qui est du reste de la clientèle (entreprises et administrations), depuis l’instruction du Premier ministre en décembre 2017, elles ont commencé à répondre dans ce sens.
Cependant, il reste beaucoup à faire pour recouvrer les créances détenues par les administrations, car dans l’esprit des gestionnaires, la Sonelgaz étant une entreprise étatique, son paiement peut donc attendre. (Parce qu’en tant qu’entreprise publique, elle intègre les aspects de service public…).
Or, la Sonelgaz est certes propriété de l’Etat, mais elle est aussi une société économique qui doit chercher et protéger ses revenus par le recouvrement des créances, la réduction des taux de pertes et par la protection de l’énergie et par là même, réaliser des bénéfices qui nous permettront de financer les investissements énergétiques importants et améliorer nos prestations de service au profit de notre clientèle. La Sonelgaz doit vivre de ses ressources.
Une police de l’énergie a été annoncée pour 2018. Qu’en est-il
concrètement ?
En fait, ce n’est pas une police mais une structure de contrôle et de proximité dont la mission principale est d’aller vers les clients, leur expliquer comment mieux consommer, comment avec des gestes simples réduire la facture. Elle s’assure également des branchements et des installations intérieurs électricité/gaz afin de sécuriser les foyers. Ce qui permet aux agents de déceler les branchements et autres pratiques illicites. Elle est opérationnelle sur les 48 wilayas
En effet, le prix de l’électricité étant ce qu’il est, il n’encourage pas l’économie d’énergie, le client ne fait pas attention à sa consommation, mais au bout de la chaîne le comportement des 10 millions de clients pour la Sonelgaz, ce sont des infrastructures énormes à rendre disponibles afin de répondre à la demande, or nous n’avons pas les ressources nécessaires pour leur réalisation.
C’est pourquoi, notre priorité est d’avoir des investissements équilibrés par rapport à nos revenus et aux prix actuels de l’électricité. Une équation que nous pouvons résoudre en consommant utile ce qui fera que Sonelgaz retrouve son équilibre et oriente plus de 40% de la production électrique vers des investissements à valeur ajoutée dans divers secteurs.
Quelle est l’estimation financière actuelle du vol de l’électricité ?
Les chiffres du bilan du premier trimestre 2018 donnent un taux global de 14,8% de pertes y compris les pertes techniques, soit 14 milliards de dinars.
La Sonelgaz a fait part de son intention d’exporter l’énergie électrique. Où en est cette opération ?
La Sonelgaz veut aller vers deux types d’exportation, celle de l’électricité et celle de nos services études et réalisations. La première figure parmi nos axes stratégiques. C’est ainsi que nous avons commencé à travailler avec la Tunisie, le Maroc et récemment la Libye. Avec l’achèvement de l’interconnexion du réseau électrique de 400 kV entre l’Algérie, la Tunisie et le Maroc, pays avec lesquels nous avons des contrats d’échanges. Pour l’instant, nous vendons des quantités de l’ordre de 150 MW que nous envisageons d’augmenter à partir de cette année. Pour ce qui est de la Libye, qui est très loin du réseau d’interconnexion, nous sommes en discussion pour examiner les meilleures voies et moyens pour concrétiser des échanges d’électricité avec ce pays (soit via la Tunisie ou directement à travers la région frontalière de Debdeb).
Le deuxième volet consiste en des prestations clés en main commençant par les études, la réalisation jusqu’à la mise en service des installations. Nous avons l’un des plus grands réseaux électriques au niveau africain dont 29 000 km de réseau haute tension, la technologie et les équipements fabriqués en Algérie et la compétence nationale. C’est un travail réalisé en partenariat entre les filiales du groupe Sonelgaz et entreprises algériennes du domaine. Nous avons lancé une étude dans ce sens pour faire un business gagnant-gagnant dans les régions subsahariennes. Actuellement, nous ciblons des marchés tels que le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Cameroun, le Mali, le Niger. Nous sommes également prêts à réaliser des études de faisabilité et par la suite chercher le business dans l’étude de détail qui est notre métier.
Compte tenu des expériences précédentes, Sonelgaz pourra-t-elle assurer cette année un été sans coupures ?
Depuis la fin de l’été dernier, nous avons travaillé au détail près sur les maillons faibles que nous avons éliminés. Nous avons conforté notre capacité de production, dans le sens où nos prévisions pour cette année sont de 15 700 mégawatts contre
14 000 mégawatts l’année dernière. Toutefois, nous allons mettre à disponibilité plus de 18 000 mégawatts. La différence est une marge réserve pour prévoir des éventuels arrêts de turbines ou encore comme l’année dernière des arrêts de transit causés par les incendies. En outre, nous avons également travaillé sur le réseau, la transformation et sur la distribution, nous avons multiplié les brigades d’intervention pour minimiser les taux de coupures. Faisant que d’une manière absolue, je dirai que oui, nous avons préparé les conditions pour avoir un été sans perturbations, sans délestage, sans coupures volontaires. Cela reste bien entendu tributaire de l’environnement du réseau et particulièrement celui de la distribution souvent perturbé par des agressions.
Pouvez-vous nous faire part de vos nouveaux projets…
Nous allons passer aux compteurs numériques pour offrir plusieurs services aux clients, permettre une rationalisation de la consommation de l’énergie, et parallèlement rendre impossible toute tentative de fraude. Sur le plan industriel, nous ambitionnons de généraliser le cycle combiné dans les centrales d’électricité pour produire 30% de l’électricité à travers la récupération des gaz brûlés. Enfin, un projet sur l’interconnexion du réseau haute tension dans le Sud du pays pour renforcer le réseau dans cette région.
L. N..