Entretien avec Khaled Ziari, ancien commissaire divisionnaire à la DGSN : « L’assassinat de Ali Tounsi est une erreur du pouvoir ! »

Entretien avec Khaled Ziari, ancien commissaire divisionnaire à la DGSN : « L’assassinat de Ali Tounsi est une erreur du pouvoir ! »
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Ancien divisionnaire à la police, engagé dans la lutte antiterroriste durant des années, Khaled Ziari est actuellement expert dans les affaires sécuritaires et livre ses analyses à des médias nationaux et étrangers. La commémoration du 3e anniversaire de la mort du DG de la Sûreté nationale ne le laisse pas indifférent. D’où cet entretien sans concession sur la gestion de l’ancien patron de la DGSN.

Vous semblez avoir bien des griefs à l’encontre du défunt Ali Tounsi…
Oui, évidemment. Tout d’abord, le fait de désigner un ancien militaire à la tête de la DGSN constitue une faute monumentale pour le pouvoir. Car au niveau de l’institution, c’est un intrus, qui, il faut le dire, ne connaissait rien de l’institution. Et encore moins de l’esprit policier, et évidemment, du fonctionnement de ses structures.
Il avait quand même réformé la police de fond en comble, en la dotant de moyens efficaces qui ont fait sécuriser le pays…
Il y a beaucoup à dire sur la gestion de Tounsi, mais je dirais ceci : le pouvoir n’a pas été inspiré en le plaçant à la tête de la police, et encore moins inspiré en le maintenant longtemps en poste.
En vertu de quoi, ce même directeur général recrute à son tour un militaire à la retraite, Chouaib Oultache  en l’occurrence, qu’il a ensuite permanisé dans le poste, avec un grade supérieur.
C’est, disons, de la gestion privée dans une institution publique. D’ailleurs, même sa liquidation rentre plus dans ce cadre des relations privées que professionnelles.
Que reprochait-on réellement à Tounsi au sein de la direction de la DGSN ?
Tounsi a déstructuré la DGSN. Concernant la gestion des ressources humaines ce fut réellement une catastrophe ! On passe, sous son règne, du grade d’inspecteur de police, avec un niveau extrêmement faible, à celui de divisionnaire, en l’espace d’une décennie. C’est-à-dire qu’en quatre ans, sous ses ordres, on passait rapidement sur quatre grades, alors que le poste de commissaire divisionnaire devrait couronner une longue carrière dans la police.
Par conséquent, cela se répercute négativement sur le rendement des services.Un subalterne se retrouve de ce fait, du jour au lendemain, à la tête d’un service très important. Par exemple, le chef de sûreté de wilaya, avec le niveau d’un AOP, se retrouvait ainsi à gérer une ville importante, avec toutes ses exigences sécuritaires.
Après quelques semaines, qu’est-ce qu’on constate ? C’est la dérive totale : corruption, incapacité de gérer morale et professionnelle, trafic d’influence, abus d’autorité, etc. Ce qui est arrivé avec lui ne s’est jamais produit avant, car il ne passait pas une semaine sans qu’une dizaine ou une quinzaine de policiers, tous grades confondus, ne soient présentés devant la justice pour divers griefs.
Beaucoup de ses ennemis lui concèdent d’avoir mis les moyens qui manquaient entre les mains de la police…
C’est vrai, je l’avoue. Mais je vais être précis, là-dessus. Ce qu’il a fait de bon pour la police, c’est d’avoir usé de son influence pour avoir auprès des autorités les crédits nécessaires pour le bon fonctionnement des services.
Je dirais, sans aucune gêne, ni ressentiment, que concernant les moyens et les équipements, il a réussi, mais que concernant les ressources humaines, il a lamentablement échoué.
Je pourrais aussi ajouter qu’il a pu être, à certains moments, induit en erreur, ou carrément manipulé par ses plus proches collaborateurs.
Khaled Ziari a toujours été un partisan d’un syndicat dans la police…
Oui, évidemment, mais Tounsi refusait catégoriquement d’en entendre parler. Je lui ai un jour proposé, il a répondu : « C’est moi le syndicat !»
La manière dont Tounsi a été tué laisse perplexe le commun des Algériens…
Non, non. En tout cas, pas pour moi. Je ne le tiens pas en haute estime, comme vous pouvez le constater, mais je le dis : sa mort a été humiliante, et d’abord pour le pouvoir ! Sa mort était prévisible, et si ce n’était pas Oultache, cela aurait été quelqu’un d’autre qui l’aurait tué !  Sa mort est pratiquement un aboutissement logique de son parcours dans la police. Il s’était fait des ennemis, beaucoup d’ennemis, des centaines d’ennemis, je vous l’assure.
C’est le pouvoir qui est aussi responsable de sa mort, car Tounsi aurait dû être relevé de ses fonctions beaucoup plus tôt. Il a battu le record de longévité au poste, alors que normalement, au bout de cinq ou dix années, il devait laisser le poste à d’autres.  Il y a eu une dénonciation collective de la part des officiers supérieurs de la police, s’agissant de la gestion irresponsable des ressources humaines, des moyens généraux et des infrastructures.
Mais, le ministère de l’Intérieur n’a pas bougé le petit doigt. A ce moment, le pouvoir aurait dû le relever de ses fonctions et on n’en serait pas arrivé à l’assassinat.
D’ailleurs, à ce jour, Chouab Oultache n’est pas passé devant un tribunal criminel pour son acte criminel, trois années après la mort de Tounsi, ce qui est très curieux et suscite interrogations aussi bien chez les fonctionnaires de police que chez les citoyens. Le délai de détention est largement dépassé.
Le pouvoir continue d’ailleurs à refaire les mêmes erreurs, ne tirant aucun enseignement du passé, en désignant un autre homme à la tête de la police, un responsable qui a fait ses classes hors de la police…
Entretien réalisé par F. O.