Entreprise: La résistible mise à niveau des PME

Entreprise: La résistible mise à niveau des PME

« Le programme de mise à niveau n’a pas atteint ses objectifs ». Cette sentence a été proclamée par le vice-président du FCE, Djamel Benabdesslam, au cours du débat qu’il a supervisé, hier au siège du Forum, sur la question de la mise à niveau des entreprises dans notre pays.

Pour l’argument qui lui a servi de fil d’Ariane tout au long des discussions qui ont duré une demi-journée, M. Benabdesselam, aidé par l’expert du FCE Amar Yahia, s’est appuyé sur deux éléments : « le temps » et l’« argent ». Dans des pays qui ont lancé des programmes similaires à celui en vigueur en Algérie, l’opération, a-t-il expliqué, n’a pas duré plus de cinq ans et parfois moins. Après cette période déterminée, c’était fini, a-t-il déclaré.

Après avoir cité l’exemple allemand à l’époque de la réunification et l’expérience de relance du tissu entrepreneurial en ex-RDA puis l’exemple portugais « qui a été limité dans le temps », le vice-président du FCE s’est interrogé sur le fossé qui existe entre les résultats d’un programme juridiquement lancé en 2001 après la promulgation de la fameuse loi d’orientation de l’entreprise et les ressources financières que l’Etat s’est engagé à mobiliser : « 4 milliards de dollars ! », s’est-il exclamé pour donner de la vigueur et de l’efficacité économique à nos PME.

Au cours du débat, Rachid Moussaoui, « trente ans d’expérience dans l’administration et d’observation du tissu économique national » au compteur, n’a pas rejeté le constat du FCE. Il a cependant insisté sur les nuances et les « explications » qu’il faut donner à l’opinion pour « lever certains malentendus » et « défauts de perception », a-t-il dit en aparté à Reporters.

LG Algérie

Pour M. Moussaoui, le programme de mise à niveau n’a effectivement démarré qu’en mars 2013 lorsque les arrêtés interministériels ont été enfin signés pour permettre à l’agence qu’il dirige de jouir de certaines dispositions lui permettant une « meilleure intervention sur le terrain ». Le statut d’entreprise publique administrative, EPA, qualifiée avec humour par un intervenant d’« entreprise à agilité limitée », a-t-il indiqué, limite ses prérogatives et son champ d’action.

Des experts aux compétences limitées et des objectifs loin du compte

Le domaine d’expertise que son agence a sollicité s’est révélé très limité en termes de compétences et il a fallu faire pendant longtemps une sélection pour parvenir à une « short list » permettant le tri entre les bons experts et ceux qui, n’ayant ni adresse, ni bureaux, ni qualification requise, n’étaient attirés que par le montant important annoncé par les pouvoirs publics pour le financement du programme. Un récit que le nouveau directeur général de la PME au ministère de l’Industrie et des Mines a confirmé.

Abdelghani Mebarek, connu dans le milieu de l’entreprise algérienne pour avoir été l’architecte du programme ANSEJ d’aide à l’« emploi jeune », a dit que beaucoup d’entre les candidats à l’expertise se sont avérés peu outillés pour ce travail d’accompagnement et de conseil important. C’est ce qui a perturbé les prévisions de l’Agence, a-t-il supposé, du fait qu’il n’est aux commandes de la « DGPME » au ministère que depuis 4 mois.

Le résultat, lui, n’est pas très encourageant. Depuis le lancement du programme de mise à niveau, 4023 entreprises, des PME pour l’essentiel, y ont adhéré. 2000 d’entre elles, a indiqué Rachid Moussaoui, sont réellement dans le « pipeline » et ont déjà entamé au moins une action importante du programme. Pa rapport à l’objectif affiché au lancement du programme, 20 000 entreprises à toucher pour qu’elles performent leur mode de gouvernance, de management et de leur outil productif, on est évidemment loin du compte. Outre les tracasseries bureaucratiques et les logiques de chapelle d’un département ministériel à l’autre, les raisons de ce bilan pour le moins très mitigé sont à trouver, selon Rachid Moussaoui, dans l’« absence d’une culture d’entreprise » chez les opérateurs eux-mêmes, dont beaucoup sont venus le voir « pour demander le chèque », croyant que la mise à niveau, « c’était de prendre de l’argent et repartir ».

Les entreprises industrielles aux abonnés absents

Le directeur de l’Agence de développement de la PME a révélé, par ailleurs, que les opérateurs du Sud et des Hauts-Plateaux ont été complètement rétifs au programme en raison de la pratique des taux d’intérêt qu’ils refusent pour des raisons religieuses. 900 PME de ces régions présentées comme émergentes ont ainsi disparu, selon lui, du radar de l’ANDPME. Dans le lot des entreprises qui ont accepté de rejoindre le programme, a-t-il précisé, la plupart d’entre elles viennent : 2475 entreprises, soit 62% de l’ensemble des PME candidates, du BTPH, 197 entreprises activent dans le secteur de l’agroalimentaire, 411 dans les services, 73 dans la pêche, 92 dans les transports, 57 dans le tourisme et 64 autres entreprises dans d’autres branches d’activité non spécifiées.

Ce recensement faisant état d’une présence dominante du secteur du BTPH a fait réagir des experts pour lesquels la pléthore des entreprises du bâtiment et des travaux publics en général est révélatrice de l’échec du programme à toucher les entreprises industrielles, qui devraient être la première cible à atteindre sachant que l’objectif, a rappelé un expert, était de préparer des entreprises de manufacture essentiellement à se préparer à faire face à la concurrence internationale et à la mondialisation des marchés qui touche aussi l’Algérie. Un autre a suggéré que des opérateurs comme ceux de la pêche et de l’agriculture ne devraient pas figurer dans le programme de mise à niveau « dès lors qu’ils bénéficient déjà d’importants programmes d’accompagnement des ministères et département dont ils dépendent».

Quid de l’efficacité du programme en lui-même ?

Au cours de cet échange, a surgi alors la question de l’efficacité du programme en lui-même. Djamel Benabdesselam en a profité pour rebondir pour rappeler que la position du FCE sur le dossier de la mise à niveau se situe à trois niveaux de réflexion : celui de la vision et de « ce qu’on veut faire du programme de la mise à niveau », celui de la « gouvernance du programme » et de la façon dont il faut le mener sur le terrain « par des instruments de contrôle rigoureux » et la mise en place de « structures paritaires » impliquant les acteurs non gouvernementaux du champ économique, l’imposition d’un cahier de charges faisant de l’entreprise candidate un « intervenant redevable » du programme – le terme a été lancé par le même expert qui a pointé le défaut d’agilité de l’agence. Celui, enfin, du mode opératoire pour «savoir enfin comment agir et comment faire » sur le terrain.

En relance à la remarque du directeur général de la PME au ministère de l’Industrie, M. Mebarek, sur la difficulté de mettre en place une banque spécialement dédiée à la PME et qui pourrait servir de levier stratégique à la mise à niveau, en raison de l’inexistence d’un marché financier en Algérie et de la prudence des banques, M. Benabdesselam a relevé que l’Etat a accepté de mettre 5 milliards de dollars pour le programme.

« Nous, on demande uniquement 1/5e de ce montant pour monter cette banque qui facilitera beaucoup de choses y compris dans l’organisation des actions à mener sur le terrain » et pour «créer l’engouement» dont a besoin le programme de mise à niveau pour être généralisé aux entreprises. D’ici à ce que ce projet de création d’une banque pour les entreprises voit le jour – la demande du FCE à ce sujet est récurrente depuis une dizaine d’années au moins –, le directeur de l’Agence de développement de la PME, Rachid Moussaoui, a indiqué qu’en dépit des « contraintes », il ne baisse pas les bras. « Trois appels d’offres vont être lancés pour le positionnement stratégique des entreprises, l’étude des branches d’activité au niveau des wilayas.

Il est projeté, a-t-il dit, la création d’un centre des compétences pour la promotion de l’expertise et le recrutement d’une vingtaine d’experts de haut niveau dans les prochains mois. L’objectif, a-t-il conclu, est de mettre à niveau 4000 entreprises à l’horizon 2017, soit 1000 par année. Une prévision dont beaucoup ont douté.