Entre réformes, bilan des réformes et de probables «contre-réformes» Où va l’École algérienne ?

Entre réformes, bilan des réformes et de probables «contre-réformes» Où va l’École algérienne ?
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Aucun secteur n’a sans doute autant usé et s’est prévalu du terme de réformes que celui de l’Éducation nationale. En 2008 déjà, on a même fait savoir, par la voix de l’ancien ministre de l’Éducation nationale, Boubekeur Benbouzid, que la série de réformes prenait fin et qu’il s’agissait juste de les «consolider» dans le cadre de la loi d’orientation scolaire n°08/04 du 23 janvier 2008.

Cependant, un cadre de ce même Département ministériel, en l’occurrence, M. Hadous, indiquait en janvier 2009 que «la réforme du système éducatif est un processus continu et permanent et dont le souci premier demeure la recherche pédagogique pour améliorer la qualité de l’enseignement. C’est pourquoi les chantiers de la réforme ne sont jamais achevés».

N’y aurait-il donc aucun paradoxe à ce que le nouveau ministre du secteur, Abdelatif Baba Ahmed, envisage d’établir un bilan des réformes menées par son prédécesseur? Un bilan dont, officiellement, on ne peut préjuger ni de la pertinence ni d’éventuels couacs. Cela suppose que, le cas échéant, des correctifs  pourront être apportés à la démarche adoptée depuis presque une vingtaine d’années.

Bien avant que le nouveau ministre s’avance sur d’improbables «états généraux» de l’école algérienne, il a eu, au cours de ses trois premiers mois d’exercice, à se rendre compte de certaines vérités, notamment celles issues du bilan des examens du baccalauréat et du brevet de l’enseignement fondamental.

L’un de ses constats est celui, récurrent, du déficit en enseignants des langues étrangères (principalement le français et l’anglais), et ce, singulièrement dans les wilayas du Sud et celles des Hauts Plateaux. Le problème ne date pas d’aujourd’hui ; il ne fait que se compliquer davantage. L’ancien ministre en a parlé à toutes les occasions sans pouvoir y apporter les solutions idoines.

Le nouveau responsable de ce département ministériel réitère les mêmes constats, «déplore» le retard enregistré dans le traitement du problème et propose, comme son prédécesseur, le recrutement de…retraités de l’Education nationale pour prendre en charge ce volet important de l’enseignement, à savoir les langues étrangères, sans lesquelles l’école algérienne risquerait de devenir «aphone» devant les grands défis économiques mondiaux.

L’on se souvient que des milliers d’élèves, dans le Sud et dans les wilayas des Hauts Plateaux, ont fait les frais d’une gestion approximative, qui a fait qu’ils ont été exemptés, il y a trois ans, de la matière langue française pour la raison qu’ils n’ont pas eu d’enseignants dans cette matière. À elle seule, la wilaya de Laghouat enregistrait, en 2010, un déficit de 120 postes d’enseignants en langue française.

Après que la politique éducative du pays eut malmené l’enseignement du français dans notre pays – pour des raisons idéologiques surannées – les résultats des courses a été que des établissements scolaires dans certaines wilayas n’ont pas pu assurer cette matière importante.

La solution de facilité adoptée par les autorités de tutelle a été d’exempter les élèves «victimes» de ce traitement des épreuves de français dans les examens. Le ministère de tutelle décida que les wilayas concernées devaient recruter les enseignants retraités et les étudiants de 4e année d’université pour assurer les cours de français. La solution ne présente pas tous les avantages d’une pertinence à toute épreuve.

Outre que le recrutement des retraités constitue une entorse aux lois du travail – ce qui exigera des «dérogations» de l’inspection de la Fonction publique –  l’affectation dans le secteur de l’enseignement d’universitaires qui n’ont pas terminé leur cycle ne dénote pas un grand souci de pédagogie et du respect des règles didactiques.

L’on se demande pourquoi avoir démantelé de précieuses traditions et un capital humain presque unique sur le continent africain pour lui substituer, après constatation de dégâts quasi irréparables, des ersatz de solutions qui sont aux antipodes de l’esprit des réformes.

AMÈRE RÉALITÉ

Après les langues étrangères, d’autres matières de l’enseignement général – principalement les mathématiques et la physique – sont touchées par le déficit d’encadrement. Pour l’année scolaire en cours, la wilaya de Ouargla, par exemple, a recruté 700 nouveaux enseignants. Mais, le problème ne paraît pas être destiné à un règlement immédiat, puisque le degré d’«attractivité» de certaines zones rurales du Grand Sud s’avère des plus bas.

Les commodités de vie n’y sont pas réunies, outre les grandes distances séparant ces zones des agglomérations urbaines. À ce jour, certains nouveaux enseignants recrutés pour le village frontalier d’El Borma n’ont pas encore rejoint leurs établissements.

Si le nouveau ministre de l’Éducation nationale a hérité d’une situation peu sereine sur le terrain de la gestion de la ressource humaine (revendications incessantes, grèves…), sur le plan des défis pédagogiques, la situation paraît encore plus aléatoire.

Les objectifs de formation assignés à l’école algérienne – de façon à insérer facilement les jeunes algériens dans le monde du travail – sont aujourd’hui de moins en moins perceptibles, même si le taux de réussite au baccalauréat ne cesse de grimper chaque année.

En tout cas, le paradoxe paraît des plus insoutenables lorsqu’on déroule les nombreux projets dont a bénéficié le secteur de l’Éducation au cours des trois derniers plans quinquennaux d’investissements publics (lycées, collèges d’enseignement moyen, écoles primaires, cantines scolaires, logements de fonction pour enseignants, ramassage scolaire, laboratoires, santé scolaire…).

Sur le plan des infrastructures et équipements, notre pays se gargarise souvent de chiffres qui ont, malheureusement, peu de prolongement dans le niveau et la performance scolaires.

Les taux de réussite au baccalauréat – qui requièrent sans doute une expertise sur le plan docimologique – sont, en tout cas, loin de pouvoir servir de critère de réussite de l’école. Les mille et une difficultés qu’ont les nouveaux étudiants pour suivre leurs cours à l’Université est une illustration assez parlante de ce à quoi a abouti l’enseignement général.

Le système universitaire, lui non plus, n’est pas fait pour pouvoir faire rattraper aux étudiants ce qu’ils ont perdu pendant leur scolarité (du primaire au lycée); en a-t-il d’ailleurs la vocation? Un exemple vient de jeter à la figure des gestionnaires de l’Université l’amère réalité de la baisse vertigineuse de niveau.

À l’université de Blida, où un concours de magistère a été organisé il y a quelques semaines pour les licenciés en sciences économiques, les résultats annoncés la semaine passée…se passent de tout commentaire: entre 3,5 et 5,6 sur 20 ! Quelle relation peut être établie entre ces résultats et les notes que les candidats ont obtenues lors de leur soutenance de mémoire de fin d’études pour l’obtention de la licence?

LOURDES INTERROGATIONS

Cette chute aux enfers du niveau scolaire et universitaire se répercute ipso facto sur l’économie algérienne et sur l’avenir professionnel des futurs diplômés. Une réalité qui commence à être durement ressentie sur le terrain, malgré l’aisance financière dont jouit le pays depuis le début des années 2000.

L’effort de la collectivité a longtemps placé le secteur de l’Éducation au premier rang du tableau du budget de l’État. En agissant sur le volet quantitatif, le pouvoir politique, au cours des deux premières décennies après l’Indépendance du pays, avait pour principal objectif de relever le défi de soustraire une grande partie de la population à l’état d’analphabétisme dans laquelle elle était enfermée.

Nobles objectifs qui auraient pu, au moins dans leurs grands axes, être réalisés si l’idéologie, la politique politicienne et une économie rentière n’étaient pas venues remettre en cause les simples et limpides lois de la pédagogie et de la didactique. Il s’ensuivit une véritable prise d’otage de l’école algérienne par ceux qui avaient fait prévaloir beaucoup plus les enjeux idéologiques que les objectifs pédagogiques et de formation.

Comment, aujourd’hui, après tant d’errements et de navigation à vue, remonter la pente et ambitionner de réussir le grand dessein de créer une jonction salutaire entre l’enseignement général, la formation universitaire et la formation professionnelle, d’une part, et le défi de la relance économique par le moyen de ressources nationales, d’autre part, à commencer par la première d’entre elles, à savoir la ressources humaine?

Dans un contexte aussi chargé de lourdes interrogations émises par les élèves, les parents d’élèves et les capitaines d’industrie qui comptent s’appuyer sur les compétences nationales pour la gestion de leurs entreprises, quelle place aura l’école algérienne dans l’avenir immédiat? Quel rôle pourra jouer cette même école dans la mission de réalisation des aspirations de la société sur le plan de la formation qualifiante, et en tant que substratum de la formation de l’élite de demain?

Saâd Taferka