Jamais la presse algérienne ne s’est retrouvée dans pareille situation : une jungle législative qui complique davantage le travail et l’essor du secteur.
La promulgation, en janvier 2012 de la loi organique relative à l’information, censée corriger les imperfections de la loi de 1990, a rajouté une immense couche d’imprécisions et obstrue davantage le chemin vers une émancipation de la presse.
Des professionnels ne s’étaient pas trompés en disant que la corporation n’avait pas besoin d’un nouveau texte de loi et qu’il suffisait d’appliquer celui de 1990, malgré ses imperfections.
En fait, plus qu’une production à l’échelle industrielle de textes de loi, c’est de volonté politique qu’il s’agit. Et la presse, on le sait, a toujours été perçue par le pouvoir politique comme étant un instrument à contrôler par tous les moyens, en tout cas, à ne jamais laisser évoluer en toute liberté. Le président Bouteflika avait annoncé la couleur dès son accession au pouvoir et il ne changera pas de position à ce sujet. Pour preuve, le nombre de ministres et de responsables de communication qu’il a congédiés durant son règne.
Même si la loi sur l’information, érigée en loi organique, a été, enfin, débarrassée du volet pénal, notamment les emprisonnements pour les journalistes, elle a introduit les sanctions financières, souvent fort dissuasives.
La loi a surtout maintenu le flou, en mettant des lignes rouges à la presse, sous forme de principes flous et trop élastiques tels que la sécurité et la défense nationale, les exigences de l’ordre public, la souveraineté nationale et l’unité nationale. Des notions tellement vagues qu’elles laissent prêter à moult interprétations.
Pour une fois que la loi organique se veut en phase avec son époque, l’introduction de la presse électronique dans le texte, au lieu de clarifier et d’organiser ce nouveau média, a rajouté du flou sur la place ce nouveau venu, ses attributions, ses droits et ses obligations. On ne sait toujours pas qui fait quoi dans ce domaine et qui peut-on considérer comme média ou comme blog et qui est autorisé à le faire et qui ne l’est pas. Au vu de l’éclosion de médias électroniques, et en l’absence d’un cadre juridique les régissant, c’est toute leur existence juridique, celle de leur personnel et même leur financement qui posent problème. En effet, comment peut-on déclarer des journalistes lorsqu’on est soi-même non déclaré ? Comment peut-on recevoir de la publicité, alors qu’on est inexistant légalement ? Autant de questions auxquelles s’ajouteront d’autres, notamment lorsqu’on ouvre la boîte de Pandore de l’audiovisuel privé en Algérie.
Là, c’est carrément l’anarchie qui règne, et ce n’est pas le projet de loi sur l’audiovisuel, tel qu’annoncé, qui risquerait d’organiser ce secteur. En effet, et alors que la loi organique parle de chaînes thématiques uniquement, reprenant fidèlement le discours du président Bouteflika, jamais le mot “ouverture” du champ audiovisuel n’a été évoqué officiellement. L’on s’achemine, donc, vers une loi autorisant la création de chaînes thématiques avec un montage financier tellement compliqué qu’il dissuaderait les plus téméraires. Mais alors, qui a autorisé ces vingtaines de chaînes privées à s’installer, à recruter du monde et à émettre ? Jusqu’à présent, elles sont considérées comme des chaînes étrangères disposant de bureaux agréés à Alger. Une situation kafkaïenne, sachant que le projet de loi sur l’audiovisuel risque d’obliger la majorité de ces chaînes à rester éternellement étrangères, s’il maintient le principe des chaînes thématiques.
Il est clair que, dans un pays qui ne sait toujours pas de quoi sera faite l’élection présidentielle qui devrait avoir lieu, en principe en avril prochain, il est difficile de croire que le pouvoir va lâcher du lest à un moment aussi crucial.
C’est, donc, juste une histoire de gagner encore du temps, comme ce fut le cas avec la loi organique, qui prévoit plusieurs organes, comme l’autorité de régulation de la presse écrite, qui ne voit toujours pas le jour, ou l’histoire de la carte nationale du journaliste qui a fait couler beaucoup d’encre, sans jamais sortir des bureaux du ministère de la Communication, ou encore l’organe de régulation de l’audiovisuel qui devrait être mise en place après adoption et promulgation de la loi sur l’audiovisuel. Autant dire que ce n’est pas demain la veille !
A B