Rarement deux villes auront été si proches et si lointaines à la fois. Elles ne sont distantes que de 26 km.
Pourtant, il y a encore deux années, il fallait faire un détour par Afir ou Tizi-Ouzou pour se rendre de la première vers la seconde ou vice-versa. « Je travaille à l’hôpital de Dellys, je vois la ville de loin quand je me réveille mais je m’oblige à remonter 40 km vers Tizi et puis rejoindre mon lieu de travail presque autant » témoigne le docteur Saïd Djebbar. Cette anomalie s’explique par le terrorisme qui, des années durant, a fait de la forêt de la Mizrana un de ses sanctuaires. Le massif forestier, une sorte de frontière naturelle entre les wilayas de Boumerdès et de Tizi-Ouzou, est devenu un haut lieu d’insécurité. Des explosions de bombes, des attentats contre des civils et des militaires ont alimenté la chronique du terrorisme au point où la région a acquis une exécrable renommée. Il a fallu l’installation, sur de nombreuses crêtes, de plusieurs postes avancés de l’armée pour venir à bout des groupes qui avaient commis de nombreux attentats. C’est cette insécurité qui a poussé les autorités à fermer le tronçon de la Route nationale 24 à partir de 1994. « En d’autres temps, la route était très prisée par les touristes. Elle serpentait entre mer et montagne boisée et de nombreuses sociétés choisissaient ses sites verdoyants pour des colonies de vacances en plein air » se souvient Ahmed, un habitant de Dellys. « On peine à croire que nous avons vécu une situation qui a duré autant d’années alors qu’entre les deux villes, il y a beaucoup de relations, même familiales. »
Le lycée technique de Dellys, qui fut l’un des meilleurs d’Algérie avec celui du Ruisseau et d’Annaba, était fréquenté par tous les lycéens de haute et basse Kabylie. Les vendeurs de sardine qui, à partir de Dellys, parcouraient les villages des Aït Ouaguenoun, d’iflissen, pour écouler leur produit, s’aventuraient moins sur les routes. Le mausolée de Sidi Mhand Sadi qui avait une zaouïa et qui était chaque année le lieu de réjouissances des Aït Selgam (région d’Afir), n’existe plus. Il est tombé en ruine et dans l’oubli ». Même la liaison qu’assurait depuis les années 70 un bus de la SNTV qui continuait son parcours sur Alger a disparu. Aujourd’hui encore, il n’existe pas de transport public entre les deux cités maritimes.
Sortir et respirer
Rouverte depuis décembre 2011 après des travaux de réfection, la route témoigne en premier lieu de la défaite du terrorisme. On y roule désormais à toute heure, sans crainte ou appréhension. Certes, la belle forêt a presque totalement disparu et beaucoup de villages ne sont plus lovés dans des écrins de verdure. Ce sont des collines pelées qui, presque partout, toisent la Grande Bleue. Les amoureux de la nature pleurent sûrement ce massacre écologique mais les commerçants applaudissent. « Nous préférons mieux nous approvisionner à partir des régions agricoles de Sidi Daoud et Baghlia qu’à partir de Tizi-Ouzou où tout est cher » nous confie un vendeur de fruits et légumes. Les automobilistes, qui se rendent vers Béjaia ou Azzefoun, empruntent également cette route du littoral où il y a moins de bouchons ». Récemment, une famille de Boumerdès nous disait également toute sa joie de venir jusqu’à Tigzirt moins austère que les villes de Boumerdès. On y vient pour passer une belle journée au nouveau port qui compte quelques manèges et des terrasses en plein air. « Pour nous, venir à Tigzirt est une manière de respirer et d’oublier un peu le stress de Dellys, Cap Djinet où, même s’ils n’ont plus la même capacité de nuisance, les extrémistes imposent encore leurs idées » nous dira-t-elle. Si un jour l’envie vous prend d’aller rejoindre Béjaia, vous ne regretterez pas d’emprunter ce tronçon dont la beauté n’est pas encore altérée par le béton et l’air vicié par la pollution.
R. Hammoudi