Le deuxième transporteur français se voit empêché de rapatrier 35 millions d’euros bloqués par l’État algérien. D’aucuns y voient une manière pour celui-ci de défendre la compagnie nationale…
Et si les difficultés d’Aigle Azur en Algérie étaient une affaire de concurrence ? Alors qu’elle dessert ce pays depuis treize ans, la compagnie française, aujourd’hui spécialisée dans le transport des diasporas vivant dans l’Hexagone, s’est vu refuser par les autorités monétaires algériennes tout transfert de ses bénéfices réalisés entre 2002 et 2011. Pourtant, un accord signé entre Paris et Alger en 2006 l’y autorise.Des sources bien informées estiment le montant en jeu à 35 millions d’euros. Une somme qui pourrait sortir le deuxième transporteur aérien de l’Hexagone de l’impasse. Car selon le quotidien français Le Parisien, la compagnie, qui emploie un peu plus de 1 200 personnes, affiche des pertes nettes de 15 millions d’euros, soit le double du déficit de l’exercice clos au 31 mars 2014 (7,6 millions d’euros)Aigle Azur détient 42% du trafic passagers aérien entre la France et l’Algérie
D’après l’avocat d’affaires algérien Nasr-Eddine Lezzar, « les interdictions de transferts sont plutôt exceptionnelles en Algérie. Il y a eu le cas de l’opérateur de téléphonie mobile Djezzy en raison d’un contentieux fiscal. Dans le cas d’Aigle Azur, il s’agirait de montants non transférables – des taxes et des billets non utilisés -, donc d’un litige au fond ». Mais il est difficile d’avoir le fin mot de cet imbroglio. Sollicitée par Jeune Afrique, la Banque centrale algérienne se refuse à tout commentaire. Tout comme Aigle Azur : « La compagnie ne souhaite pas communiquer sur ce dossier », dit-on à l’agence de conseil Bernadette PY Consulting. Ce qui laisse libre cours à toutes les interprétations, par exemple à cette analyse d’un spécialiste français du secteur : « Dans cette affaire, c’est tout le pavillon français qui est visé, pour la simple raison que nos compagnies concurrencent sérieusement Air Algérie, actuellement en grande difficulté. »
Aigle Azur a pu en seulement cinq ans s’imposer comme l’incontournable leader de l’axe France-Algérie
Reprise en 2001 par le groupe GoFast du Kabyle franco-algérien Arezki Idjerouidène, Aigle Azur s’est vite frayé un chemin au sein du marché algérien. Avec un chiffre d’affaires de 330 millions d’euros au terme du dernier exercice et plus de 2 millions de voyageurs en 2014, la compagnie détient 42 % du trafic passagers aérien entre la France et l’Algérie. Le tout au moment où la compagnie nationale algérienne agonise, comme l’a avoué le ministre des Transports, Boudjema Talai : « Air Algérie est malade et doit tout réapprendre, jusqu’à l’organisation d’un vol », a-t-il lancé à l’occasion de la conférence des cadres de la compagnie, en juin.
Aigle Azur compte jouer de ses atouts et renforcer ses positions
Air Algérie est critiquée pour la mauvaise qualité de son service, alors que le patron d’Aigle Azur n’hésite pas, pour améliorer sa réputation, à jouer de son appartenance culturelle. Aigle Azur est par exemple la seule compagnie au monde à utiliser le kabyle dans ses annonces. « La grande majorité de la diaspora algérienne de France est kabyle. Et elle préfère du coup voyager à bord des avions Aigle Azur, où elle est chouchoutée », ajoute l’expert. Résultat : après les premiers vols réguliers lancés depuis les aéroports parisiens de Roissy et d’Orly en 2003, Aigle Azur a pu en seulement cinq ans s’imposer comme l’incontournable leader de l’axe France-Algérie.
Malgré ses difficultés actuelles en Algérie, Aigle Azur soutient vouloir y rester. Elle compte même y renforcer ses positions, d’après un communiqué diffusé fin juin pour répondre aux rumeurs concernant son retrait. La compagnie a ainsi annoncé une augmentation de ses capacités en juillet et en août, avec 15 000 sièges supplémentaires entre la France et l’Algérie, où elle opère 66 vols hebdomadaires vers dix destinations, dont Alger, Oran, Béjaïa…
Expansion mondiale
Ce renforcement sur son marché de prédilection s’accompagne d’une expansion mondiale. Depuis l’entrée dans son capital en octobre 2012 du géant chinois HNA (48 % des parts), propriétaire de la quatrième compagnie chinoise, Hainan Airlines, Aigle Azur porte des ambitions beaucoup plus grandes. La compagnie, qui dessert aussi Bamako, a ouvert dès 2013 de nouvelles liaisons avec la Chine et la Russie.