Entre Abou-Djerra Soltani, Sidi-Saïd et Bennaceur, ex-DG de la CNAS, Dépôts à Khalifa Bank : qui dit la vérité ?

Entre Abou-Djerra Soltani, Sidi-Saïd et Bennaceur, ex-DG de la CNAS, Dépôts à Khalifa Bank : qui dit la vérité ?

Le magistrat a entendu, hier, l’ex-ministre du Travail et de la Sécurité sociale, Abou-Djerra Soltani, et l’ancien DG de la Cnas, Bennaceur, en l’absence du secrétaire général de la Centrale syndicale, Abdelmadjid Sidi-Saïd, en déplacement à Genève. Le président de l’audience s’est contenté de lire son PV d’audition devant le juge d’instruction.

L’ex-ministre du Travail et de la Sécurité sociale Abou-Djerra Soltani s’est présenté, très préparé devant le juge, pour apporter sa version des faits, en sa qualité de témoin. Il déclare que durant son exercice en tant que ministre du Travail du 27 décembre 1998 au

28 mai 2001, il n’a jamais été informé des placements des caisses de Sécurité sociale à Khalifa Bank. “Sidi-Saïd ne m’a informé ni par écrit ni verbalement. S’il a un écrit qu’il me le montre. Rien ne dit que le conseil d’administration de la Cnas s’est tenu autour de cette question”, dit-il sur un ton de défi. Selon lui, même l’Inspection générale des finances (IGF)  n’était pas au courant.

Il précise qu’effectivement, selon le décret exécutif 92-02, régissant l’organisation juridique de la Cnas, les caisses de Sécurité sociale sont sous contrôle du ministère de tutelle. Abou Djerra Soltani ajoute que le conseil d’administration de la Cnas devait informer le ministère du Travail et de la Sécurité sociale de sa décision d’effectuer des dépôts d’argent à Khalifa Bank dans un délai n’excédant pas une quinzaine de jours comme le stipule l’article 30 de ce décret publié le 24 janvier 1992. “Le ministère a un délai de 30 jours pour approuver cette décision, demander son annulation ou procéder à une modification”, affirme Soltani.

“N’y avait-il donc pas d’autres moyens de vous informer ?”, demande le magistrat. Abou-Djerra Soltani réplique : “Le ministre n’a pas d’espions. Le conseil d’administration devait m’informer. Pourquoi quand les caisses connaissaient des perturbations, j’étais immédiatement informé et non quand il s’agissait de dépôt de cette importance. C’est une chose étrange. Si j’avais reçu ne serait-ce qu’une lettre anonyme sur ces dépôts j’aurais réagi.”

Abou-Djerra Soltani : “Si j’ai commis un crime, je suis prêt à payer”

Il indique qu’il y a eu une erreur qu’il qualifie “d’effrayante” dans l’arrêt de renvoi le présentant comme étant encore en poste en 2002. Le juge veut savoir si une enquête a été ouverte par le ministère du Travail autour de ces dépôts. “J’aurais pu ouvrir une enquête si j’avais été au courant. Une enquête a été effectivement menée après mon départ et c’est là que le trou financier a été découvert.”  Il insinue au juge que le secrétaire général de la Centrale syndicale est derrière cette décision de dépôt. Il rappelle que le conseil d’administration de la Cnas était composé en majorité de représentants des travailleurs, de 2 représentants du gouvernement et le reste des membres était issu du patronat privé. “J’ai demandé, à l’époque, un équilibre entre les membres”. Le magistrat, lui, demande à titre indicatif s’il avait été informé de ces dépôts, comment aurait-il réagi ? La réponse du ministre : “J’aurais refusé du point de vue religieux. Car la philosophie de la caisse de Sécurité sociale est similaire à la zakat. C’est un argent qui ne peut pas être fructifié à travers des intérêts. Pour moi, cela aurait été un refus de principe et non technique.” Il reconnaît avoir connu Moumen Khelifa lors de la fête organisée à l’hôtel Hilton pour célébrer la délivrance de l’agrément de Khalifa Airways. Il a participé à cette cérémonie à l’invitation du ministre des Transports. “Il y avait tout le monde. Il ne manquait que le président de la République. Le cheikh Google que j’ai consulté hier m’a montré des images d’une pléiade de hauts responsables qui ont assisté à cette fête. Tout l’État algérien était là.”  Il poursuit sur la défensive : “Cette banque avait un agrément délivré par l’État algérien. Qu’est-ce qui m’empêchait d’assister à cette cérémonie. Si j’ai commis un crime, je suis prêt à le payer.” Il prodigue ensuite des louanges à Khalifa Airways qui aurait, dit-il, réglé le problème du transport aérien dans le pays en couvrant des destinations qui n’étaient pas assurées par Air Algérie.

Le procureur général commente : “32 millions de dinars représentant l’ensemble des dépôts des caisses des assurés et des non-salariés, c’est énorme. C’est peut-être pour bénéficier de privilèges.” Abou-Djerra Soltani se contredit en soutenant que s’il enlevait “sa casquette de ministre, peut-être je l’aurais fait. J’ai questionné des personnes durant le procès de 2007 et elles m’ont dit que Khalifa Bank offrait des taux d’intérêt entre

8 et 18%. Ce sont des conditions alléchantes. 18% de taux d’intérêt est un hameçon. Beaucoup de poids lourds du système ont déposé leur argent aussi”. Un avocat demande s’il était au courant du dépôt de 2001, mais il refuse de répondre estimant que la question est ambiguë du fait qu’elle ne précise pas le mois et le jour.

L’avocat de Moumen Khelifa ose la question qui fâche : “Le ministre dit qu’il n’a pas été informé par le conseil d’administration de la Cnas et n’avait pas d’espions pour lui rapporter cette donnée. N’a-t-il pas appris ces dépôts par les journaux ?”. L’ex-ministre du Travail et de la Sécurité sociale défie quiconque lui apporterait un article entre janvier 2000 et mai 2001 qui aurait rapporté de tels faits. “Saisir et informer au préalable le ministre d’une telle décision sont une décision fondamentale, mais certains savaient qu’un ministre ne durait pas à l’époque plus de 18 mois et ont joué sur ce registre”. Me Lezzar questionne : “Les caisses de la Sécurité sociale sont des Epic et donc ont un caractère commercial, pourquoi dire qu’elles ne peuvent pas faire fructifier leur argent ?”.

Abou Djerra Soltani se tourne vers l’avocat et le toise du regard en disant : “Ce sont des convictions religieuses qui m’auraient dicté un refus et puis je rappelle que l’article 2 de la Constitution stipule que l’islam est religion de l’État.” L’avocat Lezzar revient à la charge : “Le groupe Khalifa employait 22 000 personnes. N’êtes-vous pas content quand une entreprise crée de l’emploi ?”. Le représentant du ministère public intervient pour signifier que du moment que cette question hors sujet a été posée, il peut, lui aussi, le questionner sur les 2 millions d’euros trouvés sur trois collaborateurs de Khelifa lors de leur arrestation sur le tarmac de l’aéroport d’Alger. Me Zoubir désapprouve cette intervention du procureur général. “Il a demandé à un témoin de donner son avis sur une question sur laquelle le tribunal a rendu un jugement à l’époque et qui est devenu définitif. Le parquet pousse le témoin à commenter une décision de la justice. Or, il y a un texte du code pénal qui réprime l’acte consistant à commenter une décision de justice.”

Selon l’ex-DG de la Cnas, une résolution

a été bel et bien envoyée au ministre

L’ex-directeur général de la Caisse nationale de Sécurité sociale certifie, lui, avoir envoyé une résolution signée par Abdelmadjid Sidi-Saïd, le président du conseil d’administration de la Cnas, à l’époque des faits, au ministre du Travail et de la Sécurité sociale Abou Djerra Soltani. Bennaceur Abdelmadjid a occupé le poste du DG de la Cnas de 1996 à 2005. Il avoue que la Cnas a effectué des dépôts de

10 milliards de dinars à l’agence Khalifa Bank d’El-Harrach. De cette somme, 3 milliards de dinars ont été sauvés. “Sur ce point précis, je dois expliquer qu’il y a eu une résolution du conseil d’administration en mars ou avril 2001 pour déléguer à la direction générale la décision de faire des placements dans des banques sans préciser si c’est une banque publique ou privée. En avril 2001, j’ai demandé au président du conseil d’administration, Sidi-Saïd, si je pouvais mettre l’excédent des budgets des caisses de Sécurité à Khalifa Bank à des taux d’intérêt intéressants. Il m’a dit pas de problème. Je lui ai alors demandé de me signer une résolution en ce sens et c’est ce qu’il a fait”. Il affirme qu’une résolution approuvant ce dépôt a été signée, plus exactement, le 12 février 2001 par le SG de la Centrale syndicale, en tant que président du conseil d’administration, à l’insu du reste de ses membres.

Il révèle qu’entre janvier 2001 et mars 2002, le conseil d’administration a continué à fonctionner en dépit de sa fin de mandat, et à ce titre il a pris plusieurs décisions. “De toute façon toutes les décisions de Sidi-Saïd étaient approuvées par les autres membres du conseil d’administration, puisque les deux tiers de sa composante sont de l’UGTA”.

Le magistrat lui rappelle que la loi ne lui permet pas d’exécuter la décision de ces placements sans accord du ministre. “Je connais cette procédure. On a envoyé au ministre du Travail cette résolution. Effectivement, il fallait un délai d’un mois pour que le département de tutelle nous rende une réponse. C’est vrai qu’on n’a pas attendu car certaines caisses avaient déjà effectué des dépôts depuis des mois sans susciter une réaction de la part du ministre. La résolution de Sidi-Saïd me suffit en tant que gestionnaire.”

Sidi-Saïd préfère Genève

La Caisse a également signé une convention avec Khalifa Airways pour un rabais de 50% sur le prix des billets d’avion. Bennaceur avoue avoir utilisé une carte de voyage mise à sa disposition une fois pour un déplacement à Lyon. Il a bénéficié aussi d’une Mastercard contre un dépôt de 100 euros, alors que comme le lui a rappelé le juge, il fallait verser entre 3 000 et 5 000 euros pour ouvrir droit à ce genre de carte bancaire. Deux membres du conseil d’administration de la Cnas, en l’occurrence Benouda Mohamed et Louchi Tayeb confirment au magistrat qu’ils n’ont été ni informés ni associés à la démarche de dépôts de fonds des caisses de Sécurité sociale à Khalifa Bank. Le tribunal criminel près la cour de Blida a noté, hier l’absence du secrétaire général de l’UGTA qui devait être auditionné en sa qualité de témoin.

Il se trouve, apprend-on, à Genève pour assister au conseil d’administration du Bureau international du travail pour sa deuxième session ordinaire de l’année. Son PV d’audition a été lu à l’audience.

À rappeler que durant le procès en première instance en 2007, Sidi-Saïd avait déclaré que le conseil d’administration avait tenu une réunion en février 2001, mais qu’entre-temps, le nouveau conseil d’administration n’ayant pas été installé, il a dû gérer la question en tant que président.

La magistrate en charge de l’affaire à l’époque, lui avait fait savoir que dans la résolution, il est fait état non seulement de la réunion du conseil d’administration qui n’a jamais eu lieu, mais aussi de l’adoption de la résolution. Sidi-Saïd, très gêné, avait déclaré : “Il est possible que l’on considère cette résolution comme antiréglementaire, et j’en assume la responsabilité.”

N.H.