Enquêtes bâclées et torture: L’image ternie de la gendarmerie nationale

Enquêtes bâclées et torture: L’image ternie de la gendarmerie nationale

Des chants de victoire ont, une nouvelle fois, retenti hier aux portes du tribunal d’Alger : les derniers détenus dans l’affaire dite de «cybercriminalité», ayant entraîné l’arrestation de journalistes, comédien, footballeur et présentateur TV, ont été libérés. Le dossier peut-il, cependant, être considéré comme étant clos ?

Abla Chérif – Alger (Le Soir) – Tenue en haleine de longues semaines durant, l’opinion publique suit avec grand intérêt les déclarations des mis en cause. Face aux caméras des télévisions venues couvrir l’évènement, ils n’éprouvent aucune crainte à informer les Algériens que leur incarcération fait suite à des décisions entrant le cadre de desseins qui les dépassent. Des avocats de renom et d’autres venus de diverses régions du pays se sont mobilisés de manière incroyable pour obtenir leur libération et démontrer à leur tour l’inconsistance des dossiers de leurs clients. Des faits graves ont été ainsi révélés au grand jour.

Durant le procès du responsable du site électronique Algérie Part et d’un journaliste de ce média, la défense a informé le juge que les mis en cause ont été convoqués par téléphone par la brigade de gendarmerie de Bab Ejdid et que ces derniers ont été placés en garde à vue sur la base d’une plainte déposée… trois heures plus tard. «L’action publique a été déclenchée avant le dépôt de plainte», insistent les avocats. Ces derniers relèvent également que ces plaintes, émanant officiellement du directeur de la chaîne Ennahar et du wali d’Alger, ont été déposées par des tierces personnes et qu’elles étaient, de ce fait, irrecevables. Les deux journalistes ont été, quant à eux, présentés à l’opinion comme étant auteurs d’opérations de «chantage et atteinte à la vie privée» via leur site électronique. Durant leur procès, la lecture des charges retenues à leur encontre démontrait tout autre chose : l’incrimination se basait sur des articles mettant en cause les plaignants.

Il y a quatre jours, un autre journaliste libéré, responsable du site Dzaïr Press, annonçait à sa sortie de prison avoir été «torturé dans la brigade de gendarmerie de Bab Ejdid». Son avocate a pris le relais quelques heures après. S’exprimant sur la chaîne de télévision Echourouk, elle soutient que son client a été «maltraité et torturé» au sein de cette «brigade où s’est déroulée l’instruction». Elle tient également à rectifier publiquement les informations faisant état de «chantage, pressions et atteinte à la vie privée d’autrui» et affirme que Adlène Mellah avait été, en fait, poursuivi pour délit de presse et que cette charge n’était pas privative de liberté.

Comme les trois journalistes, d’autres noms connus ont été placés en détention provisoire : le comédien Kamel Bouakkez, le footballeur Fodil Dob, un présentateur TV, un rappeur et le frère d’un facebookeur (Amir DZ) ont tous été arrêtés après un passage à la brigade de gendarmerie de Bab Ejdid. Hier, ils ont été mis en liberté provisoire avant même que leur procès ne se déroule. Le tribunal de Sidi M’hamed a décidé qu’il se tiendra le 24 février prochain. La réputation de la gendarmerie en prend en coup sévère. Les éléments relevés par la cinquantaine d’avocats mobilisés dans cette affaire ont, dans chaque cas, dénoncé des enquêtes bâclées, des défauts de procédure importants et d’autant plus incompréhensibles qu’ils sont le fait d’un organisme connu pour être fin procédurier.

Que s’est-il donc passé cette fois pour que des erreurs aussi graves et aussi facilement démontables puissent se produire ? Telle qu’elle se présente, cette situation a été inévitablement liée aux évènements en cours sur la scène politique nationale et donné lieu à de lourdes interrogations. La gendarmerie a-t-elle agi de manière autonome ? Se peut-il qu’elle ait subi des pressions qui l’ont poussée à commettre de telles erreurs ? Et de qui en même temps pourraient provenir de telles pressions ? Quoi qu’il en soit, l’image de cette institution organiquement rattachée au ministère de la Défense et donc sous le commandement du chef d’état-major et vice-ministre de la Défense est aujourd’hui ternie. Sa mise en cause dans une affaire de liberté d’expression et qui ne nécessitait nullement l’emprisonnement nous rappelle la triste réputation qui a été la sienne durant les évènements de Kabylie. Confrontée à des mouvements de masse qui refusaient sa présence, la gendarmerie s’est d’ailleurs réimplantée dans cette région il y a seulement quelques années. C’est dire à quel point son image s’est détériorée. Des sources bien au fait du dossier laissent entendre que cette situation inquiète grandement les plus hautes autorités du pays. Des mesures pourraient être prises et des sanctions tomber.

Les informations en cours accentuent, d’autre part, les rumeurs en cours sur un probable départ du chef de la gendarmerie pourtant récemment mis en place. Son prédécesseur, Menad Nouba, avait été arrêté et emprisonné durant un moment avant d’être remis en liberté pour «corruption», entre autres.

Cette affaire a mis également l’institution dans un état de fragilité. A travers le territoire national, les éléments de la gendarmerie se livrent à des tâches de haute importance pour résorber la criminalité dans le pays.

Le nouveau maillage ne limite plus ces actions au seul monde rural comme auparavant. Elles s’imbriquent inévitablement avec celles de la police. Dans certains domaines, tels que la cybercriminalité, elles se confondent ou se complètent sans pourtant obéir à la même hiérarchie. Faut-il donc réformer la gendarmerie ?

A. C.