Enquête-Témoignages: Coma au boulot durant le Ramadhan

Enquête-Témoignages: Coma au boulot durant le Ramadhan

Tout le monde connaît le refrain. Le coma national professionnel reprend du service chaque année durant le mois sacré. Les entreprises tournent  au ralenti. Encéphalogramme plat. Pour la production, il faut repasser. Les employés baillent devant leur écran d’ordinateur, réprimant une impérieuse envie de dormir.

Certains ferment la porte de leur bureau et s’autorisent une sieste en se calant sur deux chaises. D’autres bavent sur internet en faisant défiler les recettes de bourek, chorba et chbah essafra. Puis, ils s’emparent des journaux à la recherche de mots fléchés et de cases à noircir. Durant le Ramadhan, les minutes deviennent des heures et les heures des journées. Pour tuer le temps,  les fonctionnaires font une petite escapade au marché du coin. Retour au bureau deux heures plus tard les bras chargés de sachets.  Les dossiers languissent sur les bureaux en attendant que quelqu’un veuille bien s’occuper de leur sort. Puis sonne l’heure de la fuite.

Après s’être assuré que le patron n’est pas dans les parages, les jeûneurs prennent la poudre d’escampette. Direction  le canapé de leur living, face à  la télé, en attendant l’heure du f’tour.

Zaina, 43 ans

«Chaque année, c’est le même topo.  Je travaille dans une société nationale et je peux vous dire que le mois de Ramadan est très particulier. Mes collègues arrivent vers 10h. Ils sont déjà très fatigués par une longue nuit de veille. Tout le monde baille. Il n’y a aucun entrain, aucune motivation. Même le directeur est souvent absent. On passe le temps en parlant des séries TV et caméras cachées vues la veille sur l’une des nombreuses chaînes algériennes. On s’échange des recettes de cuisine. Tout est fait pour passer le temps et oublier la faim, la soif et l’addiction au tabac et à la cigarette. On va travailler une heure en pointillé et on se sauve à la maison. Le boss est absent,  alors on se sert les coudes. Quand le chat n’est pas là, les souris dansent ! Les femmes sont privilégiées. Le bon prétexte  est vite trouvé. Les fourneaux les attendent ! Il y a de la complaisance partout. Dans notre pays, on fait du social plus que de raison durant le Ramadhan. On ne fiche absolument rien. Les entreprises devraient carrément fermer et le personnel mis en congé. Ça diminuera au moins les embouteillages sur nos rues !»

Habib, 53 ans

«Grand fumeur et grand consommateur de café devant l’Eternel, je dois avouer que je n’ai pas les yeux en face des trous au bureau durant le mois sacré. L’entreprise où j’émarge en tant que  chef du personnel ronronne. Je ne peux pas exiger des autres d’être performants alors que moi-même je ne le suis pas.

C’est intégré dans l’inconscient collectif : Ramadhan rime avec zéro production. Les horaires sont aléatoires et la société prend des allures de grande récréaction. On passe plus de temps au marché et dans les superettes à se fournir en denrées alimentaires.

Les jeux en ligne sont très prisés durant le mois de Ramadhan. On regarde aussi des séries et des films sur le Net. Le personnel use de subterfuges pour filer en douce. ‘‘J’ai la facture d’électricité à payer’’ ; ‘‘je dois accompagner mon père chez le toubib’’ ; ‘‘j’ai peur de rater le bus…’’ C’est comme un jeu. On ferme les yeux car ça ne sert à rien de sévir. Il faut s’y faire et attendre l’après-Aïd pour reprendre le travail.»

Chahrazed, 45 ans

«En tant que commerciale, je peux vous dire que le Ramadhan est un mois de tirs à blanc. Lorsque j’appelle les entreprises pour des rendez-vous, je ne trouve jamais personne. On me demande de téléphoner plus tard dans la journée. Mais les personnes ne sont jamais joignables.

Les portables sont éteints et vos correspondants ne vous rappellent jamais. Il n’y a rien à faire. Les rendez-vous sont décalés.

La phrase magique est : ‘‘laissons après l’Aïd.’’  C’est quand même incroyable de paralyser tout le pays parce qu’on a les boyaux vides et qu’on passe la nuit à festoyer au lieu de se coucher pour être d’attaque au réveil ! Mais c’est ainsi. L’Algérien se rend au boulot pour quelques petites heures, mais il n’en fiche pas une rame. Les échanges tournent autour des programmes télé, des nouvelles sitcoms, des caméras cachées les plus renversantes, du meilleur vendeur de zalabia et du menu prévu pour le prochain f’tour. Dans cette atmosphère de laxisme et de laisser-aller, dur dur de penser au travail. Dans mon cas, je ne trouve aucun interlocuteur.

Je laisse couler, comme on me le préconise.     

Je n’ai guère le choix.» Ramadhan a bon dos. Sous prétexte que l’on jeûne, on se met au vert. En vérité, ce n’est pas la faim et la soif qui épuisent, mais plutôt les nuits blanches passées à festoyer et à faire bombance. Rien de tel que de s’occuper les mains et l’esprit pour ne pas subir la lourdeur des heures qui s’égrènent.

A bon entendeur…