Enquête sur le business électoral dans l’Est algérien: Des milliardaires draguent le FLN et le RND

Enquête sur le business électoral dans l’Est algérien: Des milliardaires draguent le FLN et le RND

A l’approche des élections locales et pour la députation, une faune sauvage d’affairistes jamais connue dans le monde politique national s’emploie à côtoyer les élus locaux possédant des influences avec leur direction politique centrale.

Les campagnes électorales prévues durant le printemps 2012 pour les élections législatives et locales font beaucoup d’ambitieux.

Non pas chez les populations les plus démunies à travers plusieurs wilayas de l’Est algérien, et vraisemblablement encore pareillement dans d’autres wilayas du pays. Cette nouvelle race qui s’intéresse désormais à la politique de gestion de la population est constituée de milliardaires fortement célèbres à Annaba, El-Tarf, Guelma, Skikda, Souk Ahras et Tébessa.

Ces milliardaires étaient, il y a moins de vingt ans, de simples commerçants, manœuvres chez des particuliers ou simples fonctionnaires dans les administrations locales. Mais, aujourd’hui, cette nouvelle catégorie de milliardaires qui distribue de l’argent ici et là à la classe pauvre algérienne au nom d’un parti ou de plusieurs partis politiques semble donner de l’inquiétude à travers ses gestes charitables. Trois témoignages des plus importants parmi des dizaines d’autres.

« C’est moi qui me suis lézardé à coups de lame la poitrine à la daïra d’Annaba pour obtenir un logement social. J’ai 40 ans, et j’ai finalement obtenu un logement de type F3 ; je me suis marié grâce au soutien financier d’un entrepreneur proche d’un élu local qui a favorisé l’obtention de mon logement.» L’entrepreneur, pour rappel, est lourdement endetté chez les banques et poursuivi par la direction des impôts.

Notre interlocuteur nous a priés de ne pas divulguer le nom de son bienfaiteur, ainsi que l’appartenance politique de l’élu. «Je suis prêt à faire tout pour eux (…). Ils me connaissent à Bormat El-Gaz, mon ancien quartier, et toute la population me surnomme Ché Guevara.»

Le deuxième témoignage à El-Tarf, très dur, émane d’un père de famille qui allait se faire exploser avec ses deux enfants à l’aide d’une bonbonne de gaz lorsqu’il a été dissuadé par un ex-promoteur de l’immobilier et détenteur de l’exploitation d’une sablière (aujourd’hui fermée sur décision de l’administration locale), de prendre en charge toutes ses doléances.

Ce qui a été fait. Toute la famille sinistrée a été relogée dans une luxueuse villa appartenant à cet homme d’affaires, et ce dernier ne s’est pas empêché de faire autour de lui une publicité du genre «regardez comme je suis bon, si j’avais plus, je vous le donnerai !»

Le troisième cas, le plus édifiant de tous, a concerné un ex-maire d’une commune x de la wilaya de Tébessa.

Celui-ci, ancien maquignon à ses heures perdues, aujourd’hui devenu milliardaire grâce uniquement à son élection pour un seul mandat, ne cesse de sensibiliser ses concitoyens pour l’élire de nouveau.

Accusé, même par les membres de sa tribu de n’avoir rien fait de bon pour la commune, il a eu l’audace de déclarer, selon des sources sûres : «C’est vrai que je me suis enrichi lors de ma première élection.

Aujourd’hui, je suis riche, je ne vais rien voler et ne travailler uniquement que pour vous. Imaginez, si notre aarch va élire un autre maire sans le sou, il ne pensera qu’à se remplir les poches comme moi lorsque j’étais un jeune maquignon à la tête de 8 à 10 têtes de moutons.»

FLN et RND, les deux partis les plus convoités par «les nouveaux rapaces de la politique»

En octobre 2010, le sénateur Zitouni, d’obédience Fln, n’a pas hésité une seconde à brandir une arme de poing, en plein centre d’Annaba, en face des militants redresseurs de son parti qui avaient, pour rappel, occupé la mouhafada afin de le chasser lui et son staff qui sont «accusés de corruption et de favoritisme avec de tierces personnes n’ayant aucune relation avec le parti FLN».

Les «redresseurs du parti d’Annaba», comme ils aiment se déclarer ainsi, n’ont pas tourné le dos à Abdelaziz Belkhadem, secretaire général du parti FLN, au contraire des militants de Tébessa, réunis le 18 juillet dernier, qui avaient porté de graves accusations contre la direction politique de leur parti.

A Annaba, premier bond des redresseurs pour le nettoyage des rangs de leur parti, «souvent occupé soit par des milliardaires qui ne sont là que pour s’enrichir ou régler leurs problèmes antécédents avec les différentes administrations publiques, soit par des élus novices proposés sur la liste du FLN en tête de liste et qui sont souvent de véritables bons de commande vierges par leur désignateur, très souvent leur chef de parti local si ce n’est pas sur injonction de leur direction politique nationale», nous a confié un avocat célèbre à Annaba, militant de longue date à la formation politique de Belkhadem.

A Tébessa, lundi 18 juillet dernier, 8 militants ont été blessés par un groupe pro Belkhadem pour empêcher une réunion du mouvement des redresseurs.

Selon le porte-parole du mouvement des redresseurs, Mohamed Seghir Kara, dans une déclaration faite à la presse, « la réunion a regroupé plusieurs militants des wilayas de l’Est et du Sud Est du pays et à l’issue de laquelle réunion un certain nombre de recommandations ont été adoptées, telles les récupérations des kasmas et des mouhafada inféodés par Belkhadem «. M. Kara ira plus loin jusqu’à accuser Belkhadem d’»utiliser le FLN à des fins personnelles (…)

Il a écarté les militants authentiques au détriment de personnes pour leur soutien financier».

Enfin, les redresseurs, sous l’égide du trio Goudjil-Kara-Abada, ont menacé, la dernière semaine à Draria, de présenter des listes indépendantes si aucune solution n’est trouvée au conflit qui les oppose à leur direction politique.

Ils ont aussi accusé ouvertement le député Mohamed Djemaï, sur instigation de Belkhadem, d’avoir saboté la réunion du 18 juillet tenue à Tébessa, et d’avoir donné «des milliards au FLN» pour être désigné vice-président de l’APN et membre au sein du Comité central.

13 milliardaires pleins aux as à Annaba et à El-Tarf prêt à donner leur fortune pour être député ou sénateur

A Annaba et à El-Tarf, c’est du jamais vu. Plusieurs milliardaires qui se sont enrichis par l’importation des produits ferreux, le bâtiment et la transformation de la tomate ne cessent de courtiser les responsables locaux des partis FLN et RND. On les voit coude à coude avec ces militants sur les différentes terrasses du cours de la Révolution.

Renseignement pris auprès d’autres militants de ces formations politiques, il s’est avéré que tel ou tel milliardaire s’»intéresse à notre parti et cherche à militer avec nous pour être soit député, soit sénateur». Le comble, selon notre enquête avec observation, c’est que ces milliardaires fréquentent les deux partis à la fois ; on les voit entrer et sortir dans les locaux des deux partis, et cela ne semble poser aucun problème. Nos mêmes sources nous affirment : «Ils sont en train de réfléchir quel parti est le bon avant qu’ils foncent avec leur fric.» Incroyable !

Des observateurs chevronnés de la politique, questionné sur cet intéressement soudain de milliardaires à la politique alors que cette classe aisée, dans un passé récent, n’a fait que compter son argent et loin de toute demande d’un poste d’élu : «Aujourd’hui, nous confie un ex mouhafedh du FLN, les choses ont changé.

Autrefois, un bourgeois pour ne pas dire un milliardaire arrive à régler ses problèmes avec l’administration facilement, aussi, milliardaire soit-il, devant les nouvelles lois législatives et les différents contrôles de l’Etat, j’ai vu plusieurs de ces milliardaires se faire casser les dents et mis en prison comme de vulgaires voyous pour avoir triché ici et là avec l’administration.»

Un ex-directeur des impôts, aujourd’hui à la retraite, nous a déclaré sur le même sujet : «Hier, avant l’arrivée de ces nouveaux riches, les recettes fiscales chez les particuliers étaient insignifiantes, aujourd’hui, grâce à la libéralisation du marché, ces particuliers d’hier sont surtout devenus milliardaires durant la décennie noire (…) leur intéressement à la politique et leur désir d’occuper un siège au Sénat ou à l’APN est pour eux un moyen pour protéger leurs biens, car ils pensent que dans ces deux Chambres du Parlement ont côtoyé chaque jour les décideurs du pays.»

Il y a une autre question qui taraude les esprits de ces milliardaires s’intéressant soudainement à la politique : Bouteflika va-t-il rester président du parti du FLN ? Ouyahia sera-t-il le successeur de Bouteflika à la tête de l’Etat ?

Le FLN va-t-il connaître une traversée du désert comme après la fin du règne de Chadli Bendjedid ? Le RND sera-t-il le parti fort de demain ? Sur quel parti dois-je miser pour occuper un siége à l’APN ou au Sénat ?

Telles sont les questions absurdes posées par «ces milliardaires qui ont la peur au ventre de se voir tout perdre du jour au lendemain et pensant qu’un siège d’élu de la Nation les protégera», a conclu le vieux mouhafed du FLN.

Nabil Chaoui