Il y a des parcours qui forcent l’admiration non par leur éclat tapageur, mais par la constance d’un engagement, la fidélité à une vision et la passion pour un métier. Celui d’Amar Lounas, architecte algérien originaire de Kabylie, s’inscrit dans cette veine. Lauréat du Grand Prix du Geste d’Or en 2023 pour un bâtiment d’habitation réalisé à Pantin, détenteur du Geste d’Argent en 2022 pour la surélévation d’un immeuble rue Rambuteau à Paris, finaliste, dès 2007, du prestigieux concours international d’extension du Parlement roumain, il trace depuis la France une trajectoire singulière, profondément enracinée dans sa terre natale.
À la tête de l’agence AL – Architecture, qu’il a fondée en France, Amar Lounas conçoit aux côtés de son équipe pluridisciplinaire (des architectes, des urbanistes, des paysagistes ainsi que des designers) des projets d’une grande diversité, comprenant des équipements culturels, sportifs, hospitaliers, l’hôtellerie, des logements individuels ou collectifs, mais aussi des aménagements paysagers… Du croquis à main levée jusqu’aux maquettes 3D et outils numériques, chaque support devient pour lui un prolongement du regard, un moyen de donner corps à l’idée. Mais au-delà de la technique, c’est une philosophie de l’espace, de l’humain, du territoire qu’il défend avec ferveur.

Centre Hospitalier à Tlemcen. Source : Portfolio AL – Architecture.
« Ouvrir les yeux », l’architecture comme acte de lucidité
Pour cet amoureux de l’architecture, tout commence par un regard. « L’essentiel, c’est d’ouvrir les yeux », confie-t-il. Car c’est bien dans la vue que réside, selon lui, l’essence de notre rapport au monde. Voir pour comprendre. Voir pour transmettre. Voir pour créer.
D’ailleurs, l’Algérie, son pays d’origine, n’a jamais cessé de nourrir cette vision. Il la décrit comme une terre d’inspiration, foisonnante de joyaux architecturaux, trop souvent méconnus ou oubliés. Il rappelle, avec justesse, combien de figures majeures de l’architecture moderne, à l’image de Le Corbusier, ont puisé dans ce patrimoine : après son voyage dans la vallée du M’zab, le maître suisse imagina sa célèbre Cité Radieuse comme une lecture verticale de Beni Isguen.
Pour Amar Lounas, l’Algérie est un palimpseste vivant. Une stratification de civilisations, de formes et de savoir-faire. Chaque bâtiment est porteur d’histoire. Chaque ruelle, chaque place, chaque seuil raconte un mode de vie, une mémoire, une sagesse de l’habitat que le temps n’a pas effacée. Et c’est précisément cela qu’il cherche à préserver et à transmettre : une architecture du sensible, de la justesse, du respect des contextes.

À gauche, vue aérienne de la vallée du M’zab wilaya de Ghardaia. À droite, la Cité Radieuse de Le Corbusier, Marseille.
À la découverte de nos joyeux architecturaux : réapprendre à regarder nos territoires
Cependant, ce que déplore l’architecte, c’est notre tendance à négliger l’observation du quotidien. Hélas, nous passons à côté de ce qui fait l’identité profonde de nos villes et villages, de nos montagnes et déserts, de nos quartiers populaires comme de nos sites historiques. Pourtant, comprendre les logiques sociales, spatiales, topographiques propres à chaque région d’Algérie, c’est aussi comprendre comment y bâtir demain.
La Casbah d’Alger, qu’il prend pour exemple, illustre cette sagesse urbaine héritée. Un urbanisme de la négociation, de la coexistence, loin des tracés rectilignes des villes occidentales. Ici, on ne circule pas : on chemine. Le relief guide le pas. L’ombre, la lumière, les pentes dessinent une expérience sensorielle. Monter, descendre, croiser un voisin dans un coude de ruelle : tout est échange, adaptation, respiration.
« Ce sont des leçons qu’il faudrait peut-être réapprendre dans les écoles d’architecture« , affirme-t-il. Car l’enjeu, aujourd’hui, est de ne pas perdre le lien entre le construit et la vie. De ne pas céder à la tentation du geste architectural spectaculaire, mais vide de sens. D’oser, à contre-courant, restituer à l’architecture sa vocation première : donner forme à l’habiter.
Amar Lounas, le choix d’un engagement fidèle et assumé
Installé en France, reconnu à l’international, Amar Lounas n’en reste pas moins viscéralement attaché à l’Algérie. À chaque occasion, il répond présent. Pas par simple nostalgie, mais par conviction. D’ailleurs, il était présent à Alger cette semaine à l’occasion de la 14ᵉ édition de la Charrette d’Or, où il a participé en tant que membre du jury.
« Quel est le plus bel apport qu’un individu puisse offrir à une société, surtout à la sienne ? C’est d’y contribuer », affirme-t-il avec simplicité. Là où vivent sa famille, ses amis, là où reposent ses souvenirs d’enfance, il ressent un devoir naturel : celui d’agir, d’améliorer et de transmettre.
Dans son métier, cela se traduit par des réponses concrètes. Être utile, proposer des solutions, accompagner les évolutions. Depuis 2007, il revient régulièrement en Algérie, d’abord à travers des concours, puis en collaborant avec des bureaux d’études locaux.
Sa présence devient plus ancrée en 2015, après avoir fait reconnaître son diplôme. Il ouvre alors un bureau à Alger et s’engage dans des projets variés : hospitaliers, hôteliers, résidentiels, mais aussi muséaux. Chaque étude, chaque croquis, chaque chantier est pour lui un acte de contribution à cette terre qui l’a vu naître.

Complexe sportif à Alger. Source : Portfolio AL – Architecture.
Au-delà du rêve, seule la persévérance construit l’avenir !
Pour cet architecte de conviction, rêver n’a de valeur que si l’on se met immédiatement au travail. « On peut rêver autant qu’on veut, mais si on ne se met pas au travail tout de suite, on n’en réalisera même pas un centième », confie-t-il. Le rêve n’est pas un état contemplatif. Il est une impulsion vers l’action.
Son parcours, il le décrit comme presque banal. En 1992, il est admis dans une école d’ingénieurs, avec l’ambition de devenir ingénieur des ponts, une passion de jeunesse. Mais un stage manquant vient bouleverser ses plans. La rentrée approche, il lui faut rebondir. Ainsi, il s’inscrit alors, presque par hasard, à l’école d’architecture de Paris-La Villette. C’est pour lui un nouveau départ.
Il étudie, enseigne et travaille. Il ne monte pas tout de suite sa propre agence, préférant d’abord se former auprès de grands noms, accumuler de l’expérience, se confronter à la complexité du métier. Puis vient le moment de voler de ses propres ailes. Il fonde sa propre agence, tout en gardant un lien solide avec son pays d’origine.
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Ainsi, il s’emploie toujours à « faire ». Faire exister une idée, transformer une vision en réalité tangible. Car, ce qui le pousse, c’est l’acte même de créer. « Je suis de ceux qui croient qu’on apprend en forgeant. Je ne dis jamais que je suis fatigué. En effet, ce mot ne fait pas partie de mon vocabulaire », dit-il, sans emphase.
À l’heure où beaucoup rêvent d’« ailleurs », Amar Lounas revendique l’ancrage. En effet, il ne fantasme ni sur l’exil ni sur l’évasion. Ce qui l’anime, c’est ici, cette terre d’Algérie qu’il retrouve à chaque étape de son itinéraire. Une terre à laquelle il veut rendre ce qu’elle lui a donné, sans bruit, mais avec constance.
« Si Dieu me donne la santé, je continuerai à travailler, encore et toujours ». Une déclaration simple, qui résume tout. Une vie de labeur, de passion, mais aussi de fidélité. Ainsi qu’un regard qui ne se détourne jamais, même lorsqu’il est tourné vers l’horizon.

Radisson Hôtel à Jijel. Source : Portfolio AL – Architecture.