« Enfumades: Mazouna résiste dans la nuit coloniale », récit sur l’un des sinistres épisodes des crimes coloniaux

« Enfumades: Mazouna résiste dans la nuit coloniale », récit sur l’un des sinistres épisodes des crimes coloniaux

PARIS – « Enfumades: Mazouna résiste dans la nuit coloniale » est l’intitulé de l’ouvrage de l’illustre militant pour l’indépendance nationale Benali Boukortt, un récit de faits de guerre, et de résistance contre l’occupation coloniale, qui se sont déroulés dans la ville historique de Mazouna et dans la région des monts du Dahra (triangle Ténès, Cherchell, Miliana) entre 1840 et 1845.

Ce récit inédit, qui vient d’être publié à titre posthume, à Paris, aux Editions Alphabarre, évoque les destructions, les incendies, les pillages et l’extermination, à grande échelle, par enfumades, perpétrées dans les grottes Ghar El Frachih, lieu de génocide où se sont réfugiés hommes, femmes, enfants et troupeaux des Ouled Riah, livrés à une guerre ravageuse, fondée sur la razzia et la dévastation systématique des régions résistantes, pour achever l’occupation totale de l’Algérie.

Dans cet ouvrage de 200 pages, préfacé par l’anthropologue et éditeur Chekib Abdessalem, l’auteur apporte ainsi une précieuse contribution à la mémoire du peuple algérien, à travers une large fresque de la résistance nationale dans cette région qui s’est distinguée dès l’invasion et le début de l’occupation française, par des évènements tragiques à inscrire dans les pages noires de l’histoire universelle.

A travers le récit, quelques noms émergent dans la triste relation de la résistance du Dahra et des odieuses enfumades des grottes Ghar El Frachih, tels que ceux de Bugeaud, Pélissier, De Saint Arnaud, ainsi que les fiers et héroïques résistants au système colonial et ses pratiques barbares, Sidi Mohamed Ben Abdallah, dit Bou Maaza, et l’Emir Abdelkader Ben Mohiédine.

Benali Boukortt qui revient sur les atrocités de la colonisation évoque alors la méthode, inédite jusque-là, avec laquelle se sont illustrés les envahisseurs, consistant à enfumer et d’incinérer vives les familles qui se sont réfugiées dans les grottes où elles s’étaient crues en sécurité, après avoir fui leurs habitations détruites ou incendiées. « Un génocide qui s’inscrit parmi les tristes pages du martyrologe de l’humanité », commente l’auteur.

Enfumades pour réduire l’ampleur de la résistance

Il relate alors qu’à Orléanville (Chlef) le 11 juin 1845, le maréchal Bugeaud conseille ceci à ses subordonnés pour réduire l’ampleur de la résistance des populations de la région, n’ayant pas accepté le joug des envahisseurs français: « Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, enfumez-les à outrance comme des renards ».

Le colonel Pélissier, écrit encore l’auteur de l’ouvrage, n’hésita pas à asphyxier, après de terribles et interminables souffrances, plus de 1000 personnes, hommes, femmes et enfants, des Ouled Riah, « fiers montagnards du Dahra », pourchassés jusque dans ce refuge par une colonne de 2 500 militaires de l’armée d’occupation.

Après son forfait, relate l’auteur, Pélissier répond : « La peau d’un seul de mes tambours avait plus de prix que la vie de tous ces misérables », en allusion aux centaines de victimes enfumées, sans état d’âme, sous ses ordres, les 18 et 19 juin 1845. « L’un des pires massacres commis par l’armée d’occupation » en Algérie, attestent les historiens.

Benali Boukortt souligne aussi qu’ « au lieu d’être flétris et cloués au pilori de l’opprobre et du déshonneur national, les criminels de guerre, en la personne de Bugeaud, Pélissier, de Cavaignac, de Saint Arnaud, ou de tant d’autres, ont, au contraire, été les gloires nationales françaises et grimpé dans leur promotions en grades et en décorations ».

Inepties du discours officiel français

Il analyse par ailleurs, les inepties du discours officiel français et démonte les thèses que les chefs militaires présentaient pour justifier ce qu’ils avaient ordonné d’exécuter, tels que les déclarations de Bugeaud qui qualifie d’ »évènements inévitables » ce qui s’est produit dans le Dahra, pour blanchir l’armée coloniale de son implication dans cette sinistre tragédie.

« Nous espérons démontrer, dira encore Bugeaud, qu’au lieu de blâmer, c’est l’éloge qu’il faudra lui donner (à l’armée). Car si elle fait violence au sentiment d’humanité c’est par dévouement patriotique », rapporte Benali Boukortt dans son récit.

Dans un premier temps, l’ouvrage propose un récit de Mazouna, dans le feu de la résistance, puis relate la longue nuit coloniale que traversent cette ville et toute la région du Dahra.

Sur ce chapitre, l’auteur décrit les villages de colonisation qui se créaient sous l’impulsion de Bugeaud, au lendemain de la fin de la résistance héroïque de Bou Maaza et du génocide d’Ouled Riah, « s’épanouissant sur les décombres des douars expropriés et des centaines de fellahs ravis de leurs lopins de terre et précipités dans la pauvreté et la misère la plus totale ».

Il dépeint alors l’appauvrissement des Mazounis et de l’ensemble du Dahra qui s’aggravait d’année en année, relevant qu’alors que l’enrichissement des colons prenait de l’ampleur, la population algérienne se voyait de plus en plus acculée dans la misère et les fellahs accablés d’impôts et d’amandes se trouvaient dans l’obligation de vendre leurs propriétés qui servit alors à la plantation de la  vigne aux colons.

Après sa rupture avec le PCA, dont il était le Secrétaire général, Benali Boukort (1904-1983), fervent militant pour l’indépendance nationale, rejoignit le PPA dès 1944, où il collabora dans son organe clandestin, « L’Action algérienne ».

Emprisonné à plusieurs reprises, soumis constamment à la torture par les forces d’occupation française, il sera l’un des organisateurs actifs de l’UDMA et milita ensuite au MTLD jusqu’en 1954. Arrêté en 1957, il fut contraint à l’exil jusqu’en 1962.