Hassi Messaoud, son pétrole, ses multinationales et ses enfants qui crèvent la dalle. Il y a prés d’un siècle, Hassi Messaoud, qui ne portait pas encore ce nom, était une contrée désertique peuplée par quelques familles de chameliers et de nomades.
Messaoud Ben Hadj Rabah, bédouin originaire de la localité d’Oued Djellal, en faisait partie. Nous sommes en 1917. A la recherche d’un point d’eau pour sa famille et son bétail, Hadj Rabah décide de creuser un nouveau puits. A défaut de la précieuse eau, il découvre plutôt un liquide visqueux, de couleur noire, à l’odeur forte : le pétrole.
Si cette découverte bouleversera fondamentalement l’histoire de l’Algérie, elle ne fera pas le bonheur de la nombreuse descendance de Messaoud, décédé en 1924.
93 ans après que le chamelier ait creusé son puits, 55 ans après que l’or ait jaillit des entrailles des terres des Rouabah, la région est devenue le poumon économique de l’Algérie, ses puits de pétrole rapportent des dizaines de milliards de dollars par an, mais le puits du vieux Messaoud est à l’abandon. Et ses terres confisquées.

Des décennies plus tard, Hassi Messaoud, 800 km au sud d’Alger, est devenue la Mecque des multinationales pétrolières ; elle nourrit des millions d’Algériens, mais les descendants de Messaoud Rabah peinent à trouver un emploi, un logement décent, une dignité. Mais surtout, à récupérer leurs terres.
Leur colère, longtemps contenue, explose aujourd’hui.
Mohamed Rouabah est le petit fils du chamelier qui donna son nom à la ville. Incarnant une sorte de patriarche d’une lignée qui compte quelques 400 personnes, il réclame la restitution des terres qui furent jadis leurs propriétés. Lui, ses cousins, ses oncles mènent une action de protestation depuis samedi 15 octobre.
Devant le puits en forme de dôme, creusé par son grand-père en 1917, sur la paroi duquel est accroché une plaque commémorative et une pancarte « puits historique » et au pied du puits duquel est planté l’emblème national, Mohamed s’offusque que les pouvoirs publics refusent de leur restituer leurs biens mais autorisent la construction de parkings.
« Nous avons sollicité toutes les autorités pour nous venir en aide, mais nous nous recevons que des promesses, dit-il amèrement. Que des promesses chaque année. Nous ne voulons pas les puits de pétrole qui appartiennent à tous les Algériens, mais simplement nos terres ancestrales. Nous ne réclamons pas de logements, ni de travail, juste nos terres qui s’étendent sur une superficie de 4 km carrés. »
Mohamed ne nourrit guère de rancœur à l’égard des officiels. Pourtant, il peut. Sur les 8 enfants qu’il a engendré, un seul a eu la chance de trouver un emploi. Les autres chôment ou vivent d’expédients. Le reste des membres de la grande famille des Rouabeh ne sont pas mieux lotis. Seulement six d’entre eux sont salariés dans les sociétés pétrolières.
Quant à Bouka Rouabah, 87 ans, fille de Messaoud qui a enfanté 10 garçons et 5 filles, elle n’a que ses yeux pour pleurer. Percluse par la maladie et la vieillesse, elle vit encore dans les conditions miséreuses. Tellement miséreuses que la vieille Bouka n’est pas en mesure de subvenir à ses soins médicaux.
« Nous n’avons bénéficié de rien, même pas de travail. Mais sachez encore une fois que nous ne réclamons pas de travail, ni de logements », affirme encore le petite fils de Messaoud Raoubah.
« Les touristes étrangers viennent visiter ce lieu historique, mais nos responsables refusent de venir nous voir, venir nous écouter, dit-il encore. Ils disent que ce lieu doit rester touristique, mais ils laissent les gens s’emparent des parcelles de terres pour ériger des parkings. »
Alors, lui et les siens continuent de protester jusqu’à ce qu’on daigne les écouter.
Classée commune la plus riche en Algérie, Hassi Messaoud engrange bon an mal an des recettes dépassant 245 millions de dollars, recettes correspondant à la collecte d’impôts et taxes prélevés sur plus de 149 entreprises pétrolières et de services.
Une opulence dont sont exclus les descendants de Messaoud Rouabah, ce bédouin qui, en voulant trouver de l’eau pour sa famille et ses bêtes, a fait jaillir l’or noir des entrailles de la terre d’Algérie.