par R.N.

La peur du jugement de l’autre
Youcef vit sous le toit de la grande maison familiale, avec ses parents et ses deux frères également mariés. Il partage tout avec eux, sauf son secret. S’il cache la maladie de sa femme et ses enfants, même aux plus proches, c’est parce qu’il craint leur jugement. Voir ses enfants exclus et boudés le hante. Et sa femme ? Si lui fait preuve de cette confiance inébranlable en elle, les autres ne la ménageront pas. «Quand ma fille a eu une des maladies opportunistes du sida, la tuberculose, j’ai vu le comportement des gens vis-à-vis d’elle. Ses propres cousins et cousines la mettaient à l’écart, refusant d’avoir un contact avec elle. Comment vont-ils réagir s’ils sauront qu’elle a le sida ?» s’exclame-t-il. Devant l’entrée de la pharmacie du service, là où les patients viennent chaque trimestre s’approvisionner en médicaments, on remarque de dizaines de boîtes vides entassées dans de grands cartons. Les patients préfèrent ne pas emporter les emballages de peur que quelqu’un lise les notices ou reconnaisse la marque, explique le Pr. Mouffok. Si la plupart des malades préfèrent taire leur maladie vis-à-vis de leur entourage, révéler ce secret de la maladie aux plus proches s’avère un véritable dilemme et une décision difficile à prendre. C’est le cas de Soumia, rencontrée dans la salle de consultation du service des maladies infectieuses réservée au suivi des femmes enceintes porteuses du virus. Elle reconnaît que la décision de lever le voile sur son état a coûté la vie à son propre père, mort de chagrin et de culpabilité d’avoir marié sa fille à un homme qui lui a transmis le sida. Cette jeune maman de 29 ans a vécu un véritable drame. Mariée à l’âge de 19 ans à un homme qui semblait avoir tout d’un bon parti, le conte de fée qu’elle vivait s’est subitement transformé en cauchemar après la découverte de la maladie chez sa première fillette de 2 ans. Alors enceinte du second enfant, elle a été également diagnostiquée séropositive tout comme son mari. Les drames se sont enchaînés. Sa petite fille ne survit pas à la maladie. Son père, pris de remords d’avoir lui-même choisi son gendre, décède quelques mois après. «Et le regard de ma famille a été très lourd à porter pendant des années», témoigne-t-elle. Le Pr. Mouffok suit le couple depuis des années. Elle a tenu à relever que le mari «n’est pas le monstre qu’on imagine. C’est un homme intègre et plein de valeurs», dit-elle, ajoutant qu’il reconnaît avoir fait des erreurs avant son mariage et qu’il a transmis le VIH à sa femme sans même le savoir. Depuis, les choses sont plus ou moins rentrées dans l’ordre dans la vie de Soumia, prise en charge avec son mari au niveau du centre. Son deuxième bébé est venu au monde, sain, grâce à une prise en charge spécifique qui empêche la transmission mère-enfant. Elle a eu après lui, trois autres enfants, tous sains. Malgré les cicatrices de cette période houleuse, Soumia a repris confiance. Elle a beaucoup de projets d’avenir, pour elle et pour ses enfants, fort heureusement nés sains.
Quel avenir ?

Youcef se pose, quant à lui, mille et une questions sur l’avenir de ses deux enfants malades. Qu’adviendra-t-il si on apprenait leur maladie à l’école ? Vont-ils faire leurs vies, se marier, avoir des enfants ? Seront-ils condamnés à vivre seuls ? Difficile de trouver des réponses à toutes ses questions. Le Pr. Mouffok se veut toutefois rassurante. Dans son service, elle refait souvent les carnets de santé des enfants sur lesquels leur séropositivité ou celle de leur maman est mentionnée. Comme tous les malades, ils ont le droit de préserver leur vie privée, dit-elle, rappelant que le sida n’est pas une maladie contagieuse mais transmissible. Ces malades peuvent espérer à une vie normale. Faire des projets et avancer dans la vie, précise le Pr. Mouffok.