Ces parents racontent leur galère commune, leur destin, celui de leurs enfants pris entre les mâchoires de leur maladie et l’ostracisme des pouvoirs publics.
L’infirmité motrice cérébrale (IMC) est appelée également paralysie cérébrale. Elle résulte de lésions cérébrales précoces survenues pendant la grossesse de la mère, ou au cours de la petite enfance chez un enfant dont le cerveau est encore immature. Elle se traduit par des troubles de la motricité touchant le mouvement et la posture et/ou certaines fonctions cognitives qui regroupent le langage, le savoir-faire, la reconnaissance visuelle et les fonctions exécutives qui organisent et contrôlent les actes volontaires. Qu’en est-il de cette infirmité en Algérie ? S’il s’agit, en fait, d’une affection rare, il n’en demeure pas moins que les enfants qui en sont atteints ne bénéficient pas d’une prise en charge à la hauteur de la maladie, dont les dommages collatéraux sont en premier lieu les parents qui ne trouvent pas d’interlocuteurs à même de les soulager un tant soit peu du calvaire qu’ils vivent, eux et leurs enfants. Nous les avons rencontrés, jeudi, devant l’entrée de l’école pour handicapés d’El-Harrach. Sainte-Cécile, comme continuent à l’appeler certains anciens de Maison-Carrée, était gérée par les sœurs, elle est la seule, nous dit-on, en Algérie qui dispose d’éducateurs spécialisés, même si l’enseignement qui y est dispensé n’est pas tout à fait aux normes exigées pour les enfants présentant cette infirmité les rendant totalement dépendants. Les parents n’ont pas d’autre choix, et le problème n’est pas là.
Cette école rescapée d’une première fermeture en 2003, après une opposition farouche des parents d’élèves, ne va pas tarder, selon nos sources, à connaître, dans peu de temps, le même sort. La directrice, qui ne nous a pas autorisé à pénétrer à l’intérieur des locaux car n’ayant pas l’autorisation de sa tutelle, a quand même montré sa bienveillance en nous expliquant que le ministère de l’Emploi et de la Sécurité sociale ne serait pas concerné par la gestion de cette école qui devrait, selon une autre source, passer sous la coupe du secteur de la solidarité. Ce qui explique d’ailleurs, comme nous l’ont confié les parents d’élèves, la coupure d’eau de plusieurs jours subie par l’établissement. Et puis il y a ce climat peu rassurant de diminution des effectifs qui augure de l’idée avancée. Ce qui va suivre montre, en effet, la face cachée de la prise en charge sociale claironnée par les services concernés.
Ces parents d’élèves constitués en association, pour la majorité des dames amères, dépitées, au verbe acéré et justifié par la circonstance, racontent leur galère commune, leur destin, celui de leurs enfants pris entre les mâchoires de leur maladie et l’ostracisme des pouvoirs publics. Il faut dire que cet établissement n’ouvre pas ses portes à tout le monde. “Ces handicapés ont le droit d’aller à l’école, droit conféré pas la Constitution. La directrice nous aide en acceptant nos enfants, mais nous voulons une école officielle. Des déclarations creuses comme celles de l’ancien ministre de la Solidarité, on n’en a que faire. Il faut des solutions”, dira Mme Mimouni, parente d’un enfant de 10 ans. Sa collègue de l’association, Mme Mansouri, renchérit : “Cela fait 5 ans que j’essaie d’inscrire mon fils, en vain. À 10 ans, il n’est toujours pas scolarisé. J’ai écrit au président de la République, j’ai saisi toutes les instances, même l’ONU. En guise de réponse, on m’a demandé de trouver un auxiliaire. J’en suis malade.” Pour M. Zemmouri, un cadre paramédical de longue expérience, le quotidien des parents est un cauchemar. Alors que dire des enfants ? Ces innocents sont bien conscients de ce qu’ils endurent eux et leurs parents, mais ne comprennent pas pourquoi l’État ne leur donne pas leur droit, l’un des plus indispensables à leur futur, à leur vie de tous les jours : le droit à l’éducation, conféré par toutes les Constitutions à travers le monde. Son enfant de 10 ans né en souffrance fœtale est dépendant. C’est dans cette école qu’on essaie de lui donner le minimum, car admis en externe de 8h à 11h. “Je ne suis pas très satisfait de cette situation, mais c’est tout ce qu’il y a pour le moment. Il n’existe aucune autre école ailleurs, même dans le privé. Je suis prêt à débourser 3 millions de centimes par mois pour l’éducation de mon fils”, confie-t-il. Il est relayé par cette dame qui a quitté Jijel dans l’espoir de faire bénéficier son fils d’un minimum de savoir. “Cette école reste mon unique voie de salut. C’est pour cette raison que je suis partie de ma ville natale en affrontant tous les aléas d’un tel déracinement. Ce n’est pas facile pour une femme”, raconte-t-elle tristement. Ou encore cette autre parente contrainte de faire des kilomètres à son fils en chaise roulante. La galère quotidienne. Son enfant n’est pas assuré, car les parents ne travaillent pas. La maman a été contrainte de quitter son emploi pour s’occuper de son enfant. D’autres mères viennent de Khemis El-Khechna et de Thénia. Imaginons les conditions de déplacement durant l’hiver. Cette parente est obligée de rester à l’école tout le temps des cours. Elle a deux enfants handicapés. L’un est inscrit officiellement, l’autre est “clandestin” si l’expression est juste. Le pire est que l’accès à cette école est aléatoire, puisqu’à part une trentaine d’élèves d’inscrits officiellement, les autres, des dizaines, voire des centaines sont en liste d’attente. Beaucoup d’enfants sont pratiquement imposés de “force”. La directrice, explique-t-on, ne peut les renvoyer, par humanisme, mais elle reste pour sa part tributaire des instructions de sa tutelle. Quelle tutelle, quand on sait que l’établissement est à cheval sur deux ministères ? Le département ministériel de Benmeradi aurait signifié son désengagement. Quant au secteur de la solidarité, il faudrait peut-être ressusciter le père Noël.
Alors qu’ailleurs, la prise en charge de l’IMC prévoit les aides humaines et techniques, les aménagements matériels et pédagogiques, les temps de soins dans l’emploi, le confort, l’accès aux toilettes et à la restauration scolaire, chez nous ces enfants nécessitant des soins et un suivi médical, rééducatif, psychologique, scolaire au long cours, sont à la merci de l’aléatoire. Comment préparer la vie adulte en amont alors que le minimum n’existe pas. L’avenir de la seule école pouvant assurer ce minimum est aujourd’hui hypothéqué. L’établissement est assez spacieux pour des centaines d’enfants. Il suffit d’une volonté politique, et pour cela, la conjoncture est très favorable.
A F