L’Arabie saoudite risque de se faire bien mal par l’effet boomerang de sa politique de défense des parts sur l’échiquier pétrolier mondial. Les Américains commencent à parler d’un pays pris à son propre jeu, mais qui fonce dans le mur conséquemment à la guerre menée contre les autres producteurs.
La guerre déclenchée par l’Arabie saoudite sur le marché pétrolier pourrait se retourner contre elle, écrit le très influent journal The Washington Post. « La prochaine victime qui tombera dans la guerre des prix du pétrole déclenchée par l’Arabie saoudite pourrait être sa propre économie ». Le journal fait allusion aux conséquences néfastes de la chute des cours du brut sur l’économie saoudienne, un pays pris en tenaille entre une stratégie de défense des parts de marché qui ne se révèle pas encore payante et le coût désormais insoutenable de cette politique. Alors qu’elle termine une année avec un déficit record de 98 milliards de dollars, l’Arabie saoudite vient d’ouvrir un nouveau foyer de tension qui ne serait aucunement d’un impact positif sur les prix du pétrole. Son différend avec l’Iran, un autre poids lourd de l’OPEP, démontre qu’il n’y aurait plus aucune entente possible au niveau de l’Opep sur une quelconque action commune sur le marché. Plutôt que de faire remonter les prix, les tensions entre les deux grosses cylindrées de l’Opep ne fait – jusqu’ici – tout compte fait qu’exacerber les inquiétudes sur les marchés pétroliers. Les tensions se font sentir tant sur les marchés que sur les indicateurs financiers du royaume wahhabite. Les Américains avertissent que les producteurs de schiste parviennent à tirer leur épingle du jeu même avec des prix plus bas que les planchers actuels. « Cherchant à évincer ses concurrents, l’Arabie saoudite inonde le marché de pétrole bon marché, mais aujourd’hui cela devient de plus en plus problématique », souligne The Washington Post, précisant dans la même édition que la production de pétrole de schiste peut parvenir à être rentable même avec des prix encore plus bas. D’autant plus qu’elle peut, le cas échéant, être suspendue et relancée à moindres frais. « Même si les Saoudiens réussissent à les (les producteurs du pétrole de schiste, NDLR) ‘’mettre en hibernation’’, ils sont toujours capables de se mobiliser très rapidement pour prévenir une hausse des prix supérieure à 50 dollars le baril », lit-on encore. L’Arabie saoudite est ainsi confrontée à un triple défi : les déficits qui s’aggravent au fur et à mesure que les prix baissent, une tension sociale due à la remise en cause du système des subventions et une flambée de sa monnaie sous l’effet de la décision de la FED d’augmenter ses taux d’intérêt. Le problème est que la monnaie saoudienne est suspendue à la valeur du billet vert. De ce fait, le royaume est contraint d’augmenter ses taux d’intérêt dans le sillage de la Réserve fédérale, ce qui a débouché sur une flambée du riyal, alors que l’économie du pays a besoin qu’elle se dévalue. Mais si les prix de pétrole ne montent pas, il va falloir que les Saoudiens recourent à une dévaluation, ce qui serait un acte encore à double tranchant. Ainsi, la chute des prix pourrait contraindre l’Arabie saoudite à jouer les mêmes cartes que certains autres producteurs ruinés par sa stratégie de défense des parts du marché. C’est l’histoire de l’arroseur arrosé ! L’Azerbaïdjan et le Kazakhstan ont déjà renoncé à l’ancrage de leurs monnaies au dollar, alors que les monnaies d’autres pays, à l’image de l’Algérie et de la Russie, ont connu une forte dépréciation sous l’effet de la crise. L’Arabie saoudite sera-t-elle le prochain pays à renoncer à l’ancrage du riyal au dollar ? L’hypothèse parait tout à fait probable, tant il s’agit de limiter les dégâts d’une chute des prix qui s’avère « durable » de l’avis même de la patronne du FMI, Christine Lagarde. Sous l’effet de la crise, le royaume wahhabite s’est déjà prononcé en faveur de deux autres mesures, non moins importantes et contraignantes. L’Arabie saoudite s’est notamment résignée à réduire les généreuses subventions sur les carburants, des mesures qui auront un impact douloureux sur une population habituée à l’Etat-providence. A la fin de la semaine dernière, des informations ont fait état de la volonté des Saoudiens à se séparer de certains de leurs bijoux, dont la puissante compagnie pétrolière Aramco. L’hypothèse d’une entrée en bourse d’Aramco intervient alors que Riyad a fait état, fin décembre, d’un déficit budgétaire record pour 2015 (89,2 milliards d’euros) et d’une prévision pessimiste pour 2016 (déficit de 80 milliards d’euros), sous l’effet d’une baisse de plus de 60% des prix du brut depuis l’été 2014.
