Alors que des millions d’enfants de leur âge ont pris ce matin le chemin de l’école, d’autres, ceux de cette Algérie profonde, de cette Algérie d’en bas, ne l’emprunteront pas. Des cas sont signalés ici et là et les motifs de leur non-scolarité sont multiples.
Aussi choquant que cela puisse paraître, dans l’Algérie profonde, des enfants en âge de scolarité sont privés d’un de leur droit les plus élémentaires, à savoir celui de s’instruire. Cela se passe dans certaines zones rurales de la wilaya de Tipaza. «Des enfants n’iront pas à l’école cette année.» C’est la déclaration que nous a faite, hier, un enseignant sur place.
«La première cause est due à la pauvreté accrue», selon les témoignages que nous avons pu recueillir au chef-lieu d’Aghbal, une commune de 7 200 habitants.
Le cas de ce père rencontré près d’un quartier d’Aghbal, est, en lui-même, édifiant. Il a eu du mal à nous raconter ses déboires, mais mis confiance, il a décidé de parler à cœur ouvert. «Je sais bien que je dois envoyer mon enfant à l’école, mais c’est la situation misérable dans laquelle je vis qui m’a obligé à prendre cette décision.» Il accuse.
«C’est l’Etat qui ne nous aide pas pour que nos enfants aillent à l’école. Je ne sais quoi faire, d’un côté le chômage qui me colle à la peau, et de l’autre, huit bouches à nourrir. Sortir le matin pour ne revenir qu’à la tombée de la nuit à notre baraque de fortune avec absolument rien, ne me laisse pas le temps de réfléchir à la scolarisation de mes enfants», nous révèle-t-il d’une voix attristée. «Ce sont la misère et les conditions de vie difficiles qui poussent les élèves à arrêter leurs études», disent aussi plusieurs personnes d’ici.
«Les concernés, les garçons en particulier, abandonnent leur scolarité, surtout cette année, pour aller gagner de l’argent, parce que les parents ne peuvent pas faire face aux faramineuses dépenses de cette rentrée scolaire», ajoute l’enseignant.
A ce propos, certains de ces fellahs déclarent : «C’est la faute de l’Etat ; il n’a pas tenu ses promesses pour épauler nos efforts tendant à transformer le désert en oasis verdoyantes. Pas de transport scolaire, pas de réseau électrique ni de réseau routier.»
Il faut noter, cependant, que des agriculteurs habitant ces hameaux préfèrent, il faut le dire, exploiter leurs propres enfants. «Deux mains ou deux bras gratuits sont préférables à un ouvrier agricole payé à plus de 1 000,00 dinars la journée.»
Par ailleurs, un autre problème se greffe à ces aléas.
Selon notre interlocuteur enseignant, «la surcharge des classes a favorisé cette désertion, surtout que la plupart des élèves sont livrés à eux-mêmes et n’ont personne pour les inciter à ne pas interrompre leurs études».
Outre la pauvreté et la surcharge des classes, il y a, selon nos interlocuteurs, «le problème de sécurité dont pâtissent en particulier les filles. Certains parents ont peur pour la sécurité de leurs filles.
Ils préfèrent les garder à la maison de peur qu’elles ne soient agressées et kidnappées», disent certains parents au niveau de la commune de Sidi Semiane, qui regroupe 3 000 habitants. Une attitude loin pourtant de faire l’unanimité, car les 28 communes qui forment la wilaya de Tipaza, sont logées à la même enseigne.
Les filles, plus touchées
Faute de statistiques, le nombre d’enfants qui ne vont pas être scolarisés et de ceux qui ont quitté l’école l’année dernière reste inconnu. Mais un enseignant d’une école de Chaïba n’a pas caché que «le nombre d’enfants qui ne vont pas rejoindre cette année les bancs de l’école, surtout chez les filles, est en train de battre des records. Un record jamais atteint dans l’histoire de l’enseignement à Tipaza.» Des habitants avec lesquels nous avons également discuté nous ont affirmé que toutes les familles sont convaincues de l’utilité de scolariser leurs enfants. «Je ne pense pas qu’il y ait des parents qui contraignent leurs enfants à abandonner les études pour les faire travailler dans les champs. Sincèrement, non ! Je ne pense pas. Peut-être à cause des aléas de l’insécurité, de la pauvreté», nous a confié un cadre de la commune de Chaïba . Des témoignages recueillis, il s’avère que les filles restent les plus touchées par ces abandons. «Après la 5e ou la 6e année, des filles sont contraintes de rester à la maison pour aider leur mère dans les travaux ménagers, plutôt que de courir un certain risque. Une tradition qui n’a pas évolué chez certaines familles. Il est très rare par ailleurs que celles qui ont échoué reprennent le chemin de l’école. Les parents bloquent les études de leurs filles et profitent par la même occasion pour les garder à la maison en attendant un potentiel prétendant», nous confie un employé du complexe touristique de Tipaza, un natif de Menaceur dans la wilaya de Tipaza.
R. K