Le siège du FLN
Le FLN, alors parti unique, imposait aux Algériens la vision unique, la voix unique, le candidat unique, le journal unique, l’information unique, le discours unique, le fantasme unique et même le rêve unique.
Le FLN est le plus vieux parti du pays et, de ce fait, son nom est forcément associé à toutes les évolutions qu’aurait connues l’Algérie depuis novembre 1954. Une liaison si forte qu’elle finit forcément par donner lieu à des évolutions semblables et même entremêlées. Pendant une longue période, l’Algérie était forte et elle avait fait alors un FLN fort qui, à l’image du pays, jouissait de force et de stabilité légendaires. Il était connu pour sa discipline à toutes épreuves et son importance certaine dans la vie économique et sociale du pays.
Algérie-FLN une histoire chargée
A son tour, ce parti avait donné à l’Algérie, sa vision du monde. Le FLN, alors parti unique, imposait aux Algériens la vision unique, la voix unique, le candidat unique, le journal unique, l’information unique, le discours unique, le fantasme unique et même le rêve unique qui transperçait le cerveau de millions d’Algériens.
Tout était unique, seules les promesses étaient multiples et les déceptions plus nombreuses encore.
A partir des années quatre-vingt, beaucoup de mensonges cultivés dans nos cerveaux arrivaient au délai d’expiration et commençaient à éclater comme des bulles avec la chute du prix du pétrole d’alors. On sait ce qui arriva. Durant toute cette décennie qui, telle une impasse, donnait droit sur le mur, beaucoup de choses arrivèrent et allaient aboutir aux fameux évènements d’Octobre 1988.
Le FLN paya sa domination et son monopole lors d’un vote sanction qui le fit disparaître de la scène publique un long moment avant que des hommes de la trempe de AbdelHamid Mehri ne prirent sur leurs épaules de le replacer sous les feux de la rampe. Mais le passage du parti unique au multipartisme allait mettre au monde une manie peu commune chez les responsables du FLN. Ils ont acquis, en un temps record, une capacité extraordinaire de faire et de défaire leurs propres responsables.
Mehri fut victime d’un coup d’Etat scientifique, Boualem Benhamouda qui lui succéda fut écarté de manière peu cavalière, Benflis fut lâché avec des troupes à ses trousses, Abdelaziz Belkhadem fut descendu de son piédestal et maintenant, depuis quelques jours, les signaux annoncent que c’est au tour de Amar Saâdani dont le trône commence à trembler.
Les signaux sont encore certes, très faibles mais faut-il rappeler que lorsqu’on parle du FLN, il faut savoir que dès qu’une idée de destitution se met à germer, la destitution doit arriver. Il n’y a jamais eu d’autres possibilités. C’est dire que, pour le sort de Saâdani, il pourrait s’agir d’une simple affaire de temps.
En réalité, beaucoup de raisons expliquent ce comportement peu normal des responsables qui passent leur temps à descendre leurs propres responsables.
Evoquer le FLN c’est d’abord évoquer son capital historique qui le fait peser de tout son poids dans la politique du pays. Un capital que d’aucuns voudraient lui préserver en entier en l’envoyant au musée, du moment que, soutiennent-ils, le FLN, dans sa version glorieuse et historique, est la propriété de tous les Algériens.
Mais un tel capital, il en est beaucoup malheureusement qui ne veulent pas s’en éloigner car il ouvre les chemins de l’avenir pour les uns et assure la pérennité des carrières pour les autres. C’est cette capacité à faire l’avenir qui est au centre des bagarres à répétition et des débats houleux qui ont pris la malheureuse habitude de déborder le plus souvent sur le trottoir.
Mais pourquoi tout ce brouhaha du militantisme?
En plus, il est nécessaire aussi de rappeler le capital affectif de ce parti qui, qu’on soit d’accord ou pas, relie les Algériens avec leur passé récent et ce, quelle que soit l’idée qu’ils se font de l’utilisation de ce passé par certains. Cet aspect compte aussi pour beaucoup dans les considérations de ceux qui aiment rôder autour du siège d’Hydra car ils savent qu’il continue à leur assurer (jusqu’à quand?) un minimum de respect dans la société.
Mais plus que tout cela, le FLN c’est d’abord une machine à gagner les élections. C’est sa capacité à gagner les élections qui en a fait un parti derrière lequel court tout prétendant au poste de président de la République chez nous.
Mais cette caractéristique en a fait un parti d’occasions. D’évènements. Et, du coup ce n’est plus qu’un parti à reconnaissance évènementielle. Certains ne se rappellent du FLN que la veille du 1er novembre pour lui relire la Déclaration du 1er Novembre 1954 et lui jeter quelques fleurs flétries. D’autres l’évoquent à l’occasion des anniversaires de la mort de quelques martyrs et lui passent une gerbe de fleurs autour du cou. D’autres s’en rappellent en enterrant les derniers acteurs d’une période perdue à jamais. Mais il y a aussi ceux qui lui donnent des secrétaires généraux lorsqu’ils en ont besoin dans des moments cruciaux et les lui enlèvent lorsqu’ils en trouvent d’autres pour les remplacer. C’est la tâche réservée aux redresseurs. Mais, qu’on s’entende, les redresseurs, ce ne sont pas ces individus qui, du temps de Benflis, s’amusaient à casser les portes des mouhafa-dhas ou ceux qui, pour destituer Belkhadem, s’adonnaient devant le siège d’Hydra à des spectacles dévalorisants, vociférations, bagarres et menaces à l’appui. Les redresseurs, les vrais, ce sont ceux qui tirent les ficelles, tapis dans l’ombre d’une Algérie qui ne sait plus rien d’elle-même. A part ce qu’on lui raconte, bien sûr, et ce qu’on veut bien ne pas lui cacher.
Tout cela est dans la norme imposée des choses mais, ce qui compte c’est qu’on se rappelle surtout le FLN à la veille des élections. On le ramène au bon endroit au bon moment, on leur laisse une marge de manoeuvre de 180°, le temps que tout soit bien et puis on rétrécit peu à peu jusqu’à ce qu’un autre redressement survienne. A ce jeu de descente commandée certains responsables ont pris un plaisir fou. Ils ont même développé un comportement opportun à outrance. On les a vus applaudir Benflis des quatre mains puis figurer parmi les premiers de ses détracteurs. On les a vus prendre Belkhadem sur leurs épaules pour faire dix tours de stades et dire sur tous les toits et sur toutes les terrasses de cafés poussiéreux qu’ils fréquentent de nuit qu’ils supporteraient cet homme contre tout et contre tous. On les a vus ensuite courir avec les premiers qui avaient demandé la destitution de Belkhadem. Ils s’étaient opposés à Saâdani pour se retrouver dans son staff. Et le pari est ouvert qu’ils sauteront bientôt de l’autre côté.
La crédibilité d’une rumeur
Aussi bizarre que cela puisse paraître, la rumeur autour d’une certaine manoeuvre récente pour destituer Saâdani entre bien dans le cadre du comportement des responsables du FLN. En plus, elle est pourvue de certaines caractéristiques qui en renforcent la crédibilité. L’appel de Saâdani au renfort des mouhafadhas n’est que la preuve, s’il en faut, de la panique de ce dernier et du sérieux qu’il accorde à cette nouvelle donne.
Dire cependant que c’est Belkhadem qui manoeuvre, ne peut être qu’une fadaise sans importance, car Belkhadem est parti réellement et pour longtemps du FLN. Son tort inexpiable c’est d’avoir voulu la présidence de la République pour lui alors que la règle au FLN c’est justement de ne jamais la vouloir pour soi.
Ceux qui tirent les ficelles aujourd’hui pour déstabiliser le FLN puis en destituer son premier responsable ne cherchent certainement pas à se faire élire dans une élection présidentielle quelconque. C’est ce qui fait de leur arrivée un moment à prendre au sérieux et leur donne beaucoup de chance de réussir.
Le FLN est connu pour avoir consommé le plus de secrétaires généraux depuis l’avènement du multipartisme en Algérie et ce n’est pas à cause de son penchant pour la démocratie mais parce qu’il est victime de sa capacité à remporter les élections. Comme une machine, il n’intéresse que par son efficacité électorale, on y apporte des touches à chaque fois que des élections pointent ou risquent de pointer.