En plein mois de Ramadhan dans les palmeraies de Biskra, La datte de toutes les sueurs

En plein mois de Ramadhan dans les palmeraies de Biskra, La datte de toutes les sueurs

En ce mois de Ramadhan, la datte est le fruit de la rupture du jeûne mais peu d’entre nous savent dans quelles conditions elle est produite. C’est sous un soleil de plomb, entre 30°C et 50°C en ce début d’août et au gré de la tension électrique, que les agriculteurs s’activent de 6h à 12h, puis de 17h jusqu’à El Adhan pour tailler, accrocher et traiter des palmiers « assoiffés ». Des conditions pénibles pour un salaire mensuel compris entre 18.000 et 25.000 DA. Pour découvrir cette réalité, nous avons suivi les agriculteurs, propriétaires et ouvriers sur leurs lieux de labeurs dans les palmeraies de Ghiyada, dans la commune de Daoucen, wilaya de Biskra.

Il est 18h 30 à Lioua dans la palmeraie de Belkacem Belabdi, originaire de Draa El Mizan et son associé Idir Djenad de Tizi-Ouzou. Le premier a acheté 18 hectares de terre pour se lancer dans la plantation de palmiers en 2001. Son ouvrier, Kaddour, « chahar » (permanent), est agriculteur de père en fils. Originaire de Sidi Khaled, âgé de 48 ans et père de 7 enfants, il a vu sa famille perdre tout son patrimoine de palmiers hérité des aïeux. Il s’est décidé alors à aller travailler chez les autres. En 2007, il rencontre son actuel patron par l’intermédiaire de son oncle. Les journées de Kaddour ne sont pas de tout repos même s’il ne travaille que 6 heures, voire 4 heures par jour à cause de la chaleur. Mais ce qui complique le travail à Kaddour, ce sont les chutes de tension électrique l’obligeant ainsi à effectuer plusieurs fois le trajet entre les palmiers, les oliviers, les arbres fruitiers et les vannes d’eau ainsi que le transformateur électrique qu’il devra surveiller pour éviter tout court-circuit.

Il inspecte à plusieurs reprises le flux électrique et, en cas de nécessité, il éteint le transformateur et met en marche le groupe électrogène. Un va-et-vient incessant entre les 1.000 palmiers dattiers, les 800 oliviers sans compter les arbres fruitiers. Pour l’irrigation au goutte-à-goutte, deux bassins d’accumulation de 100 m3 d’eau chacun sont remplis grâce à trois forages. Cette palmeraie est parmi les rares dans la région à posséder un groupe électrogène pour parer aux fréquentes baisses et coupures de courant dont souffre la population de ces hameaux. Ici, la terre semble aride mais, selon nos guides, elle est pourtant si fertile.

La cause ? Cela fait deux ans que les fortes chaleurs apportées par le « Chili », un vent chaud, brûlent tout sur leur passage. Et en dépit des moyens consentis, la terre est sèche et les arbres assoiffés. Mais il n’y a pas que ces inconvénients. Le « Boufaroua », un acarien parasite, menace les palmeraies. Le lendemain, il est 6h 30 mn. Kaddour, réveillé depuis 4h, est déjà sur le champ d’où il revenait pour avertir son patron que le traitement prévu pour éradiquer le « Boufaroua » qui s’est propagé dans toutes les palmeraies de la région n’est plus disponible. La chaleur se fait déjà sentir à cette heure-ci avec des températures dépassant les 30°C, peuvant atteindre à l’heure du zénith les 48°C, voire 50°C à l’ombre.

En attendant l’arrivée du traitement, Kaddour poursuit la taille du surplus de branches et de dattes pour permettre au palmier de bien se développer. L’ouvrier attache aussi les grappes de dattes à une palme pour éviter aux hampes (branches qui les supportent) de casser. Cela permet ainsi au palmier de donner un meilleur fruit. Kaddour passe d’un palmier à un autre en désignant le parasite qu’il devra combattre et qui se propage grâce à la poussière et à la chaleur. Ce parcours est ponctué par une surveillance permanente du transformateur électrique dont dépend le pompage de l’eau et donc l’irrigation. Le cycle de celle-ci dure entre 10 et 15 jours à raison de 200 m3 par jour. Durant ce temps, Kaddour ouvre la vanne pour l’irrigation de 28 palmiers durant 3 à 4 jours selon le débit et surtout le courant électrique.

LES PARASITES PULLULENT

Comble de malchance, cette année, la vague persistance de chaleur a permis à plusieurs maladies de se propager comme le « Boufaroua » et le « Bayoudh ». Et depuis deux ans, le déficit en eau s’accentue faute d’autorisation pour de plus importants forages. Autour des palmiers, des cultures potagères viennent se greffer pour profiter de la qualité du sol fertile et de l’irrigation. Des arbres fruitiers sont plantés dans le même espace que le palmier. On y trouve des pommiers, des poiriers, des abricotiers, des vignes, des amandiers, des grenadiers, des figuiers et des oliviers. Le travail dans la palmeraie est réparti en trois phases : « El taadal », la taille et l’attache de la hampe à la branche de la palme et le traitement des palmiers. « On met aussi sous plastique les grappes dès le début de leur maturation quand le sucre commence à peine à se produire », explique Kaddour. Malheureusement, les palmiers n’arrivent pas à bien se développer faute d’eau. Un palmier donne jusqu’à 12 grappes soit entre 10 et 16 kilos de dattes. Cette année, les hampes sont fragilisées par le manque d’eau, la récolte ne sera pas aussi bonne quand on sait qu’un palmier nécessite au moins 3h d’irrigation par jour. La technique de la taille a été lancée par un agriculteur dans les années 80 qui a constaté que lorsque les animaux mangeaient les bouts des grappes de dattes le palmier donnait un fruit de meilleur calibre et de meilleure qualité. Pour reconnaître un palmier bien développé, son cœur doit se situer plus haut que les grappes.

Il est 7h 45 mn, une chute de tension intervient. Kaddour s’en est aperçu à l’arrêt de l’irrigation au goutte-à-goutte. Il se dirige vers le transformateur pour vérifier la tension qui oscille entre 240 volts et 340 volts maximum alors qu’elle devrait se maintenir à 500 volts. Il se dirige alors vers le groupe électrogène pour l’allumer. Son fils Ziyad, âgé de 14 ans, l’aide en mettant de l’eau dans le radiateur pendant que lui verse de l’huile et va charger la batterie car le moteur a du mal à démarrer. Autre obstacle : la batterie a des difficultés à se charger faute de courant électrique. C’est seulement à 8h que le courant est rétabli.

« EL KHOBZA EL MORRA »

A 8h 45 mn, la camionnette contenant la citerne de 200 litres de traitement destiné à lutter contre « Boufaroua » est arrivée. C’est un privé qui s’occupe de l’acheminement de ce traitement. Le traitement est remis gratuitement par le ministère de l’Agriculture. Et c’est sous un soleil de plomb que Kaddour, entouré de ses enfants, pulvérise lui-même le produit. Son fils, Amjad, âgé de 11 ans l’aide en dénouant le tuyau. C’est une autre tâche qui complique la journée de ce père de famille qui lancera : « Je suis obligé de supporter cela en raison d’el « khobza el morra ».

Une fois sa mission terminée, Kaddour rentre chez lui pour 2 ou 3 heures de sieste. Il ne peut rien faire au moment du zénith en raison de l’extrême chaleur. En outre, l’intensité du courant électrique baisse considérablement. C’est seulement vers 16h30 qu’il retourne ouvrir les vannes d’eau pour irriguer. Souvent, en raison de la chute de la tension électrique, il doit faire des aller–retour entre la palmeraie et la maison à proximité de laquelle se trouvent le transformateur, le groupe électrogène et l’un des deux bassins.

L’agriculteur poursuit son travail jusqu’à 18h et parfois jusqu’au moment de l’Adhan, si les conditions sont plus ou moins supportables. A la rupture de jeûne, Kaddour se contente de dattes et de lait et de quelques bouchées de repas. Sa soirée est encore longue. Il devra retourner à la palmeraie jusqu’à 2h du matin pour surveiller le cours d’eau et le courant électrique et éviter d’éventuels dégâts. Le tout pour un salaire mensuel de 20 000 DA. En plus de cela, « Kaddour affronte un autre danger, les piqûres de scorpions », affirme son patron.

F. M